Réseaux sociaux Les marques sous influence
Avec des internautes toujours plus influents et des plateformes qui se multiplient, les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour les marques. Ces espaces peuvent aujourd'hui leur permettre de réinventer le lien avec le consommateur.
Je m'abonneSommaire du dossier
Historique! Pour la première fois en 23 ans, Pepsi renonce à ses traditionnels spots TV pendant le Super Bowl 2010, pour consacrer les 20 millions de dollars que lui coûtent ces publicités à une campagne sur les réseaux sociaux: le Pepsi Refresh Project, pour le financement de projets citoyens individuels ou collectifs. Si une telle décision reste unique, elle reflète bien la tendance actuelle des marques à se désintéresser des médias classiques pour se tourner vers de nouveaux supports, comme les réseaux sociaux. Avec près de 25 millions d'utilisateurs, rien qu'en France, qui consacrent entre 25 et 30 % de leur temps à Internet, le succès des espaces communautaires n'est plus à démontrer. Nouvelles plateformes de communication et outils relationnels par excellence, ils sont de plus en plus prisés par les marques qui y voient une occasion de se rapprocher de leurs consommateurs. Selon une étude Performics, 46 des 50 plus grands annonceurs français sont présents sur Facebook via une page, un groupe ou une application. 70 % d'entre eux y figurent de façon officielle, 88 % font l'objet d'un groupe créé par des fans. Les marques font donc naturellement partie des conversations. Certaines décident de prendre la parole pour ne pas la laisser totalement aux internautes. Certes, les réseaux sociaux sont devenus incontournables, «mais les marques doivent encore déterminer les intérêts qu'elles ont à y participer», souligne Reynald Sauvet, directeur général en charge du planning stratégique de Digitas, et savoir les utiliser à bon escient.
Apporter une vraie valeur ajoutée
Utiliser les réseaux sociaux pour accroître sa notoriété ou le trafic sur son site est «un objectif totalement vain. Les choix qui s'offrent à l'internaute sont déjà saturés», selon Cyrille Chaudoit, directeur et fondateur de Scanblog. Les marques devraient, au contraire, s'appliquer à « offrir une véritable utilité pour favoriser les affinités avec les internautes et les amener, éventuellement, à en devenir les ambassadeurs», ajoute-t-il. Les réseaux sociaux étant avant tout axés sur l'individu, les marques doivent donc le remettre au coeur de leur stratégie, sous peine d'être perçues comme trop intrusives. Selon une étude d'ETO et Market Audit, 57 % des utilisateurs le pensent. «Sur les réseaux sociaux, c'est l'internaute qui décide», souligne Reynald Sauvet. En identifiant ses attentes et en produisant un contenu adapté et exclusif, les enseignes peuvent éviter cet écueil et offrir une expérience enrichissante. Ainsi sur Facebook, Chanel a décidé de ne pas avoir de fan page officielle, mais de créer une application, Chanel Gifts, qui permet aux membres de s'envoyer des cadeaux virtuels. Résultat: c'est aujourd'hui l'une des applications les plus utilisées. «Il est nécessaire de construire une expérience autour de la marque et de se mettre au rythme du consommateur», selon Jérôme Delaveau, directeur général de Human to Human. Le message doit aussi être pensé en fonction du réseau, ou du site, sur lequel il sera diffusé.
Reynald Sauvet, (Digitas): « Sur les réseaux sociaux, c'est l'internaute qui décide. »
Jérôme Delaveau (Human to Human): « Il est nécessaire de construire une expérience autour de la marque et de se mettre au rythme du consommateur. »
A chaque stratégie son réseau
Entre Facebook et Twitter, les attentes et profils des utilisateurs sont très différents. Le premier est plutôt considéré comme un média d'appartenance. Ses membres affichent leurs affinités avec certains groupes et leurs centres d'intérêts. Ils font davantage sentir ce que Cyrille Chaudoit qualifie de «besoin d'exister». Sur Twitter, en revanche, le contenu a pour but d'alimenter une communauté de leaders d'opinions, de prescripteurs, etc. Ainsi, de nombreuses marques ont choisi de l'utiliser comme plateforme de relation client. Par exemple, sur la page de British Airways, il est possible de suivre des conversations entre les clients et la compagnie aérienne. Statut des vols, disponibilités, conditions d'annulation et conseils sont visibles sur la timeline de l'entreprise.
D'autres, à l'image de Christian Dior et Net-a-Porter, profitent de l'audience ultra qualifiée de Twitter pour recruter responsable en communication, directeur marketing, etc. Dell utilise cette plate-forme pour écouler ses stocks, toujours en visant son coeur de cible, les professionnels. En opérant ainsi, il convient de redéfinir le rôle du site corporate dans la prise de parole de la marque. Skittles, confiserie du groupe Mars, a adopté une stratégie radicale, en transformant son site officiel en un condensé des différents réseaux sociaux: présentation de l'entreprise sur Wiki, photos sur Flickr, vidéos sur YouTube et dernières news sur Facebook. En incluant le participatif dans le corporate, Skittles a su faire le buzz sur la Toile.
Cette participation ne fonctionne que si elle est réutilisée par la marque. En ce sens, les projets de cocréation sont devenus populaires. Vitaminwater a laissé aux consommateurs le choix de la nouvelle saveur de sa dernière boisson «Connect» via sa fan page Facebook. Starbucks, avec son espace de discussion My Starbucks Ideas, mais aussi Ben & Jerry's ont également développé de nouveaux produits. Chez Unilever, les consommateurs participent même à la conception et à la production de la campagne publicitaire. Au printemps 2010, le groupe lance la compétition Consumer Creative Challenge pour 13 de ses marques. Le principe est simple: ce sont les consommateurs qui réalisent une vidéo publicitaire. Si celle-ci est sélectionnée par le jury, elle sera diffusée à la télévision et en ligne. Le grand gagnant recevra un chèque de 80 000 euros signé Unilever, qui s'emparera alors de la vidéo pour en faire sa nouvelle campagne. Le groupe se sépare, au passage, de son agence de communication, Peperami, devenue inutile.
A l'heure où chacun rêve de son «quart d'heure de célébrité», ce type d'opérations devrait perdurer. Développement de produits, création de campagnes publicitaires et relations publiques sont quelques-uns des services que les réseaux sociaux peuvent rendre aux marques. «Le community manager, c'est le futur marketing manager», conclut Cyrille Chaudoit de Scanblog. Les grandes marques ne sont pas les seules à profiter de cette évolution. L'avènement de la géolocalisation offre de belles perspectives aux commerces de proximité. Foursquare, sorte d'annuaire en réalité augmentée sur mobile, a le mérite d'encourager les utilisateurs à se rendre dans le point de vente, introduisant du réel dans des expériences virtuelles. On peut s'attendre à une croissance significative sur le marché français, une fois ce réseau ouvert aux annonceurs nationaux, ce qui est prévu pour l'automne 2010. Son équivalent français, Plyce, s'applique, quant à lui, à concrétiser les rêves de ses créateurs. «Plyce est magique car il permet de savoir ce que font ses amis et de créer du lien avec les gens à proximité. Nous travaillons sur un secteur du Web qui s'envole: l'Internet gêolocalisê sur mobile», s'enthousiasme Martin Destagnol, fondateur de Plyce. La géolocalisation s'intègre dans une autre grande tendance, celle du social commerce.
On connaissait les commentaires et recommandations d'un produit à un ami. Facebook va plus loin avec son bouton «J'aime». Déjà intégré sur 50 000 sites marchands, celui-ci permet aux membres de Facebook d'afficher automatiquement sur leur mur les sites visités, les produits achetés et, bien sûr, tout ce qu'ils aiment. La marque Levis en a fait l'une des utilisations les plus remarquées. Partant du principe que les consommateurs font confiance aux avis de leurs proches lorsqu'ils achètent, l'enseigne entend rendre le shopping social et «révolutionner (notre) manière de consommer».
Les internautes ont choisi le nouveau parfum de Vitaminwater via Facebook.
La communication de Skittles sur le Web est désormais centrée sur les réseaux sociaux.
Cyrille Chaudoit, (Scanblog): « Le community manager, c'est le futur marketing manager. »
Des opportunités à l'international
Les réseaux sociaux représentent souvent un moyen privilégié de toucher les utilisateurs à l'international. Cette opportunité nécessite néanmoins une bonne compréhension des différentes audiences et de leurs spécificités culturelles. Pour Maxime Baffert, manager chez Performics, « le social media ne se globalise Lancôme a ainsi mené trois opérations distinctes, sur trois continents. En Chine, l'enseigne a lancé Rose Beauty, un site consacré à la beauté asiatique. En Europe, le maquillage est à l'honneur sur le Make-Up Blog. Quant aux Etats-Unis, ils profitent d'une chaîne YouTube depuis février 2010. La marque y diffuse un contenu réalisé en partenariat avec la célèbre blogueuse Michelle Phan (Voir l'interview de Julie Thompson, vice-présidente du marketing digital de la marque, pp. 36-39). Si le contenu doit être adapté à la demande locale, le choix du canal utilisé doit tout autant être guidé par les spécificités nationales. Ainsi, Facebook a la préférence de huit des douze plus gros pays en termes d'utilisateurs (Australie, Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Nouvelle-Zélande, Hong Kong et Vietnam), tandis qu'Indiens et Brésiliens préfèrent Orkut (120 millions d'utilisateurs). Pour sa part, Hyves affiche plus de 7 millions de membres aux Pays-Bas. Ces réseaux tentaculaires ne sont pas non plus sans risque pour les marques. Pour Gregory Pouy, spécialiste des réseaux sociaux à l'agence Nurun, «le danger vient de la multiplication des types de contenus disponibles en ligne. » Le célèbre blogueur en a identifié six: «Le contenu créé et contrôlé par la marque sur son site; celui créé par les utilisateurs et contrôlé par la marque sur son site; celui créé et contrôlé par la marque, hors de son site; celui créé par les utilisateurs et contrôlé par la marque; celui créé par les utilisateurs et, enfin, celui généré par les médias. » L'authenticité des messages dépend de leur source. Paradoxalement, ceux diffusés sur les sites corporate ne sont pas forcément perçus comme plus crédibles. Les internautes auraient même tendance à se fier aux messages officieux et personnels plutôt qu'à ceux renvoyés par la marque. Les blogueurs tirent de là tout leur «pouvoir», et c'est pourquoi ils sont souvent choyés par les grands groupes. Lorsque la blogueuse parisienne Deedee relate ses problèmes avec une paire de bottines Sandro défectueuse, auprès de ses milliers de visiteurs mensuels, la marque réagit. Le directeur général de Sandro, Frédéric Biousse, lui adresse en personne ses excuses et l'invite à venir visiter ses usines. Et Deedee de reconnaître « qu'ils étaient en fait plutôt sympas chez Sandro. » Mais d'autres marques n'auraient pas pu aussi bien rattraper un impair. Nestlé n'a pas eu cette chance lorsque la marque a été attaquée par Greenpeace via une vidéo postée sur YouTube, en mars dernier. Mais le danger peut aussi venir de l'intérieur et des salariés eux-mêmes. Domino's Pizza en a fait l'expérience, en avril 2009, lorsque deux de ses pizzaïolos décident de filmer leurs frasques avec les ingrédients des pizzas qu'ils confectionnent. Arrivée sur YouTube, la vidéo sera aussitôt reprise par toutes les télévisions américaines, avant que les deux employés modèles ne soient envoyés en prison. Non seulement la marque voit sa réputation se ternir en quelques minutes, mais son action en bourse en pâtit également. Les salariés étant les meilleurs ambassadeurs d'une marque, Coca-Cola a pris les devants et a distribué à ses employés un guide sur l'utilisation des réseaux sociaux et la bonne attitude à adopter sur ces territoires. Leur avènement soulève des questions d'ordre organisationnel dans les entreprises et nécessite une mobilisation de toutes les équipes. Ces nouveaux espaces redessinent la relation enseigne-consommateur. Plus de pouvoir d'un côté, plus de transparence de l'autre. Du coup, une certaine humilité s'impose lorsque les marques se résignent à laisser une part de leur communication leur échapper. Elles n'ont désormais plus le choix et doivent composer avec ce nouveau paradigme. Et si les réseaux sociaux offraient finalement un visage plus humain aux marques?
Maxime Baffert, (Performics): « Le social media ne se globalise pas. »
Gregory Pouy (Nurun): « Le danger vient de la multiplication des types de contenus disponibles en ligne. »