Réconfort et retour des valeurs : tendance de crise ou tendance de fond ?
Trois mois après les attaques terroristes, les premières analyses de la consommation, tant américaine qu'européenne, semblent annoncer la fin du "fun shopping" et sa quête d'expérimentations, pour consacrer une consommation plus raisonnée. Toutefois, la question se pose de savoir si le 11 septembre doit être considéré comme un révélateur ou un amplificateur de ce changement ? Tour d'horizon.
Home, sweet home
Qui peut mieux incarner la
sécurité en ces temps d'incertitudes que la famille ? Valeur fondatrice des
Etats-Unis, celle-ci revient en force comme groupe d'appartenance le plus
important pour 63 % des Américains et 50 % des Européens, selon une récente
étude menée par Euro RSCG Worldwide. Ainsi, 18 % des Américains et 12 % des
Européens déclarent envisager de rester plus souvent à la maison ce qui
coïncide avec un regain d'intérêt pour l'e-shopping (une croissance de 39 % des
ventes en ligne dans le monde est prévue pour les fêtes de fin d'année, selon
Gartner Group), la livraison à domicile, les plats à emporter et le
télétravail. La crise marque également le retour des plaisirs simples à
domicile, comme la lecture et plus globalement la recherche d'informations sur
le monde qui nous entoure, les discussions entre amis et la confection de repas
en famille. La maison, délaissée depuis quelques années, semble retrouver son
rôle de lieu de ressourcement, de lieu de vie privilégié. Un phénomène
impulsant par là même le retour à la consommation de partage ancrée dans la
"pause dans le temps" (vs la consommation solitaire de l'ordre du gain de
temps).
Retour des symboles de l'autorité
Parallèlement, les symboles de l'autorité (familiale, étatique, scolaire,
religieuse...), longtemps mis à mal sous prétexte d'émancipation et
d'individualisme post-modernes, retrouvent peu à peu leur place et leur rôle de
régulateur au sein de la société en état de choc. Pour preuve, la
multiplication des échanges, notamment chez les adolescents, avec les groupes
d'influence de proximité que représentent les parents et grands-parents, les
professeurs et conseillers spirituels (cf. Le retour du religieux - Marketing
Magazine n° 64). "Ceux qui savent" font à nouveau l'objet de respect et
d'écoute, préfigurant, peut-être, ce que pourrait être la société des
papy-boomers de demain. Apparaissent également les "nouveaux héros", ces
pompiers et policiers qui, au-delà d'offrir leur vie pour sauver leurs
compatriotes, remettent au goût du jour, grâce à leur sur-médiatisation, un
modèle ancien de masculinité, mêlant force physique et bravoure. Une
revalorisation du masculin relayée par le livre de Laura Doyle "The Surrendered
wife", apprenant aux femmes comment redonner du pouvoir à l'homme. Mesdames, le
sexe fort est de retour ! Autre forme d'autorité, celle de la nation,
retrouvant une certaine aura auprès des jeunes générations qui expriment leur
patriotisme au travers de la consommation. A bas les marques fashion italiennes
et françaises, pures incarnations de la futilité des années hype, et vive les
marques confortables et durables qui ont fait leurs preuves.
Fat is back !
Au grand dam des "diet gurus" américains, le stress
engendré par les attentats ont massivement redonné envie aux consommateurs
occidentaux de renouer avec les plaisirs de la table. Tous les interdits
alimentaires tombent : snacks salés et sucrés (+ 12,4 % en septembre, selon
Information Resources Inc.), pain, chocolat, fromage, pâtes, frites (+ 13 %),
beurre de cacahuètes, glaces... Retrouvant le chemin du réfrigérateur, les
consommateurs se soumettent au réconfort émotionnel que procurent les aliments
riches en sucre et en graisse. Répondant à ces nouvelles attentes, Ben &
Jerry's lance 2-Twisted, une gamme mixant les deux parfums les plus
"décadents", et la chaîne de fast food Carl's Jr. propose "le plus gros burger
de tous les temps". Selon Gil Gruber, présidente de Dietwatch (société
new-yorkaise spécialisée dans l'amaigrissement), le marché de la diététique
aurait ainsi enregistré une baisse de 61 % au cours de la semaine suivant les
attaques.
Consécration du masstige
Tiraillés entre un
fort sentiment patriotique incitant à consommer, une difficulté certaine à
oublier l'âge d'or de la nouvelle économie et la récession actuelle, les
consommateurs occidentaux cherchent aujourd'hui le meilleur prix pour une
qualité exigée. Une tendance initiée par les fabricants et les distributeurs du
mass market lançant des produits de plus en plus qualitatifs à l'image de la
gamme Physique de P & G ou de Bourjois qui brouille volontairement les cartes
en multipliant sa présence dans le sélectif et la grande distribution.
Contraction de mass market et prestige, le "masstige" devrait s'imposer comme
la réponse au fléchissement de la croissance économique mondiale. Nouvelles
tendances de consommation ou simple accélération de phénomènes pré-existants ?
Après des années de négation, voire de dénégation des valeurs traditionnelles,
il est fort à parier qu'elles se matérialiseraient à nouveau pour restructurer
la société.