Rapports à l'alimentation : vers une réconciliation marques-consommateurs ?
Si le plaisir reste l'élément dominant dans l'alimentation en France, les notions de santé, bien-être... prennent une importance grandissante dans nos assiettes. Désormais, le lien alimentation - santé semble totalement acquis par les Français.
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Laurent Capion (Research International France) :
« Les produits qui apparaissent comme un choix évident et naturel émergent fortement. »
Les consommateurs ont bien en tête les messages nutritionnels, notamment ceux issus du gouvernement (PNNS et sa campagne des 5 fruits & légumes...), qui constituent un idéal souvent difficile à atteindre. Quelques nouvelles règles à respecter apparaissent ainsi clairement, autour d'une approche nutritionnelle du «bien manger».
La première règle consiste à rechercher de la diversité et un «équilibre». Cette quête peut se traduire, au sein de chaque repas ou sur une journée, par une logique de compensation, notamment en recourant aux produits «light». Par exemple, le baromètre socio-nutritionnel réalisé par Research International a mis en lumière le cas des «femmes tiraillées», qui culpabilisent lorsqu'elles font des excès et trouvent dans les produits light une solution de réajustement.
Autre nouveauté : l'importance grandissante de certains repas comme le petit déjeuner, qui est encouragé, voire imposé. La sensibilisation des consommateurs se traduit aussi par la «sacralisation» de certains aliments comme les fruits et légumes, ou le poisson. Quant aux consommateurs plus «experts», ils recherchent des nutriments ou bienfaits spécifiques, type oméga 3, anti-oxydants...
Cet idéal du «bien manger» comporte, pour nos consommateurs, plusieurs enjeux :
- physiques, physiologiques («Un corps qui fonctionne bien, qui fonctionne mieux» et «vieillit bien»),
- émotionnels («On se sent bien, bien dans son corps donc bien dans sa tête»),
- sociaux, qui impliquent nos rapports aux autres, avec l'idée grandissante que l'on est ce que l'on mange («Montre-moi ton assiette, je te dirai qui tu es»).
Derrière cette quête du «bien manger», le Carnet de Tendances 2007/2008 de Research International a identifié deux tendances de société. La première est le besoin de «sécurisation» face à des menaces extérieures grandissantes comme les cancers, les allergies, les crises alimentaires... Les maladies constituent une des plus grandes inquiétudes des Français et l'alimentation devient alors un élément de prévention. La seconde se manifeste par une certaine quête d'«immortalité» : l'alimentation est perçue comme une clé de la longévité. Certains régimes spécifiques ont ainsi vu le jour afin de garantir cette «immortalité» : le régime crétois, dont la notoriété ne cesse de grandir, le régime Longue Vie aux 1 000 calories...
Des mouvements de fond
Néanmoins, la relation à l'alimentation est devenue anxiogène, voire conflictuelle. Une situation d'autant plus paradoxale que la nourriture est naturellement associée à des valeurs émotionnelles très fortes de convivialité, chaleur, partage... Ces tensions sont à mettre en relation avec des mouvements de fond qui dépassent le seul domaine alimentaire, comme le souligne notre Carnet de Tendances.
Le consommateur évolue dans un contexte de menaces et de peurs tout en connaissant de fortes pressions à la responsabilisation. Il est aujourd'hui surinformé et ne peut pas prétendre qu'il ne sait pas. Cette surinformation engendre alors de la culpabilisation. Par exemple, les campagnes du PNNS jouissent d'une très forte notoriété. Tout le monde en a entendu parler et comprend plus ou moins l'enjeu de ce discours. Néanmoins, ces informations sont de plus en plus vécues comme une dictature du «bien manger» qui rajoute une pression quotidienne aux consommateurs. D'où des scénarios de résistance, en réponse à cette pression, que l'on sent grandir, voire des comportements de «rébellion» du type «Je fais attention en public... mais je me lâche sur les produits sucrés quand je suis seul». D'ailleurs, la plupart des marchés Chocolat en GMS ont connu une croissance volume et valeur sur l'année 2006, ce qui montre que les produits gourmands, hors des rayons du «bien manger», sont loin d'être boudés.
Cette surinformation et le sentiment de maîtrise qu'elle procure, sur des sujets auxquels les consommateurs n'avaient pas I'accès auparavant, entrainent aussi un contexte de défiance et de remise en ( cause globale des institutions telles que l'école ou la médecine; et donc, bien évidemment, une remise en cause des marques alimentaires. Enfin, les consommateurs connaissent une perte de sens global car ils n'ont plus de véritables certitudes à cause de ces paradoxes qui apparaissent. Si la majorité des Français font le lien entre alimentation et santé, plus de la moitié d'entre eux ne savent pas prendre les bonnes décisions en matière alimentaire.
@ comstock/CD
Faciliter la gestion du risque
Les relations avec l'alimentation sont donc devenues difficiles. Cette dernière est vécue parfois comme un risque que les consommateurs doivent apprendre à gérer, pour eux ou pour leur famille. Il s'agit donc pour les marques de faciliter cette «gestion du risque». Comment? Tout d'abord, en simplifiant leur offre. Une tendance qui s'impose peu à peu et devrait encore se développer. Un exemple suivi par Tropicana et son «art d'élaborer des jus de fruits d'exception» à travers des procédés simples et immédiats tels que le pressage des fruits 24 heures après la cueillette.
Une autre manière de gérer le risque consiste à rassurer autour de la notion du «bon choix». Dans un contexte de surabondance et de complexité, les produits qui apparaissent comme un choix évident et naturel émergent fortement. Le bio semble bien illustrer cette notion: sa croissance en alimentaire devrait atteindre 15% dans les prochaines années, selon l'Agence Bio. Autre exemple de succès autour de cette notion: Liebig, qui lance une gamme de soupes «Potager Malin». Positionnée «entrée de gamme», cette dernière cible toute la famille et allie portion de légumes et pouvoir nourrissant des pâtes.
Enfin, il est possible de faciliter la gestion du risque en proposant un discours qui s'appuie sur une réalité produit et amène une vraie valeur ajoutée. La politique d'«engagements» entreprise par certaines marques et qui a constitué un élément compétitif il y a encore quelque temps, semble aujourd'hui challengée par les consommateurs: «Toutes les marques font ça», «Avant, c'était déjà comme ça», «Ont-ils vraiment changé quelque chose?»... D'autant plus que les marques distributeurs ne sont pas en reste sur ce type de démarche. Knorr Vie constitue, a priori, un bon exemple de produit qui facilite cette gestion du risque. En capitalisant sur les vertus des fruits et légumes complètement intégrées par les consommateurs, Unilever propose un produit qui apparaît comme un choix évident: un produit simple, à base de fruits et légumes, sans ajout, qui propose un bénéfice de bien-être holistique («L'équilibre naturellement, simplement grâce aux fruits et légumes») et nonanxiogène, associé à un format moderne et pratique.
Plus que pour d'autres catégories de produits, l'enjeu des marques alimentaires est donc de trouver la voie de la réconciliation avec les consommateurs: davantage de simplicité, de réassurance et une valeur ajoutée tangible.
Les raisons des tensions avec l'alimentation
Plusieurs éléments peuvent expliquer les tensions actuelles sur le marché des marques alimentaires:
Une perte de repères en partie due à une diminution du rôle des autorités et institutions dans l'éducation alimentaire (parents, religion...). La transmission des bonnes règles alimentaires s'efface progressivement tandis qu'on observe une désacralisation des repas.
Les crises alimentaires auxquelles nous avons été confrontes ont crée une méfiance, voire une désillusion vis-à-vis de I'industriel. Le process industriel transforme, altère et détruit les bienfaits de la nature. Les marques cherchent alors à rassurer sur l'aspect naturel des produits, comme Blédina et sa charte qualité qui rassure sur le mode de culture et d'élevage.
Les marques ont parfois créé des contradictions qui déstabilisent le consommateur et qui lui font se poser de nouvelles questions: «Du jus de fruits allégé? Mais les fruits, ce n'est pas gras, ni mauvais...»,«Le lait, c'est du calcium. Calcium +: ils en ont rajouté?» Plus encore, les consommateurs voient dans certains produits clairement positionnés «santé» un paradoxe: «C'est probablement parce qu'on a perdu les vitamines lors de la fabrication du produit, qu'on est obligé d'en rajouter après...» L'apparition de polémiques médiatisées sur des produits «originels» tels que le lait, traditionnellement associé à des valeurs nutritives fortes, suscite des doutes sur leur consommation et ne fait que renforcer cette perte de repères.
Enfin, une surabondance de produits dans l'offre alimentaire pousse les consommateurs à gérer ce «trop» (alors qu'il y a des décennies, les peuples géraient la pénurie), dont la plus grande manifestation est l'obésité.
Laurent Capion, directeur de clientèle Innovation chez Research International France