Rachat, résurrection, renouveau : la dure vie des marques
Elles sont nées avec la société de consommation. Parfois même avant. Leur histoire racontent la nôtre. Et malgré quelques traversées du désert, elles sont toujours là. Baptisées “actifs” par leurs propriétaires, elles sont pour les Français des repères indiscutables. Des repères à manier avec grande précaution.
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Elles ont pour nom Dim, Brandt, Orangina, Banania, Bonux, Buitoni,
L'Alsacienne ou Dop. Icones de la société de consommation naissante, elles ont
connu des fortunes diverses. Si certaines ont traversé les ans sans prendre une
ride, d'autres, tiraillées par la dure loi de l'extension, se sont perdues de
vue ou ont été sacrifiées sur l'autel de la globalisation avant de ressusciter
après de longues traversées du désert. Une résurrection qui parfois n'a duré
que l'espace d'une année ou deux. Reprise à la fin des années 90 par la société
bordelaise CBSA, Chambourcy n'a pas survécu au lifting qui lui avait été
imposé. Relancée sur le segment des produits laitiers bio, la marque n'a pas
convaincu. Et pour cause, ses nouveaux propriétaires n'ont jamais pu, ou voulu,
s'appuyer sur son ADN. Un travail nécessaire et inévitable pour revitaliser une
marque patrimoniale. Rachetée à Unilever par Nutrial, Banania explore ainsi
son histoire pour se faire à nouveau remarquer dans les linéaires. Une histoire
riche sur laquelle ses nouveaux propriétaires capitalisent. Car, avant d'être
ballotée d'actionnaires en actionnaires, et de devenir l'ombre d'elle-même, la
marque avait su créer un lien très fort avec ses consommateurs. Mieux, elle
avait symbolisé une certaine France. Certes pas toujours politiquement correct,
le tirailleur sénégalais et le fameux “Y'a bon Banania” renvoyaient de
plain-pied à l'histoire de la France Coloniale. Il n'empêche, Banania est
l'exemple parfait de ces marques patrimoniales, inscrites dans notre
inconscient collectif. « Les marques alimentaires s'enracinent dans un terreau
quasi pavlovien. La sensorialité est un élément très fidélisant, le goût et
l'odeur nous poursuivent toute notre vie. C'est l'effet proustien », analyse
Georges Lewi, président de BEC-Institute.
Gagner la part de cœur
Faire revivre l'affect tout en réinscrivant sa recette dans
la modernité, telle est donc l'ambition de la nouvelle équipe dirigeante. Une
équipe qui reconnaît que rien n'est gagné.« A la différence d'une marque comme
Vache qui Rit qui est toujours soutenue en pub, Banania n'a plus communiqué
depuis des années. Cette absence de communication et un abandon total du
travail sur la marque et le produit font qu'aujourd'hui nous repartons de rien,
si ce n'est la fabuleuse histoire de Banania », estime Frédéric de Vanssay,
directeur marketing de Nutrial. Qui a confié à l'agence Dragon Rouge, la tâche
d'écrire une nouvelle page de l'histoire de la marque à travers la conception
d'un nouveau packaging. Une agence dont les dirigeants avouent un attachement
émotionnel aux marques qui, graphiquement, ont une histoire à raconter. « Le
travail sur ces marques est complexe, il faut trouver le bon dosage entre la
modernité et l'histoire. Pour des raisons très diverses, ces marques ont
souvent perdu le sens de l'histoire qu'elles voulaient raconter à leur public.
La créativité consiste à aller chercher dans l'héritage sans tomber dans le
passéisme ou la nostalgie. Pour que ce relancement de Banania soit un succès,
la marque doit gagner en part de marché bien sûr, mais aussi en part de cœur,
estime Sophie Romet, directrice générale associée de l'agence. Dans un pemier
temps, nous avons donc redonné de la force au packaging en réinterprétant le
personnage qui pourrait être le petit-fils du tirailleur sénégalais. Il
symbolise le métissage et la nouvelle image de la France. » Autre objectif du
nouveau packaging : renouer le dialogue avec les mères et les enfants. Pour
rassurer les premières sur l'aspect nutritionnel de la poudre chocolatée, les
ingrédients de la recette sont valorisés à la fois sur la face avant du
packaging et sur les côtés. Quant aux enfants, ils découvrent au dos du pack un
nouveau porte parole, qui n'est pas la mascotte de la marque, mais bel et bien
un personnage qui les invite à entrer dans des aventures coupées du produit. «
Les enfants de 6 ou 8 ans n'ont jamais entendu parler de la marque. Et, lorsque
nous l'avons rachetée, son packaging n'offrait rien d'autre que la marque
Banania crayonnée avec le même visuel sur le devant et le dos du packaging. La
marque semblait dire aux enfants “Nous ne voulons pas te parler”. Il fallait
donc créer un nouveau lien pour qu'ils incitent leur mère à nous racheter »,
note Frédéric de Vanssay. En 1935, pour fidéliser ses clients, Monsieur
Lespinasse, alors en charge de la marque, leur proposait des découpages, des
puzzles promotionnels et des albums collecteur de chromos…
Marques locales en embuscade
Ce retour des marques patrimoniales
traduit-il le déclin de la globalisation des marchés ? Pour Georges Lewi, il
faut plutôt y voir le pragmatique des industriels. « Il s'agit pour les PME de
s'appuyer sur la notoriété d'une marque pour, avec deux ou trois idées
innovantes, satisfaire des clients qui ne sont pas tous dans une logique de
recherche de marque prémium. Quant à l'intérêt des grands groupes pour ces
marques, il traduit un travail de recentrage entre les mégabrands et les
marques locales. Les exercices de streching auxquels se sont livrés les grands
groupes ont des limites. Par ailleurs si ces grands groupes, qui ont commis des
destructions massives de marques par le passé, veulent aujourd'hui conserver
les mètres linéaires alloués par la distribution, ils doivent lui proposer des
marques plus alternatives. » Résultat, lorsque Colgate Palmolive décide de se
désengager du marché des lessives pour celui des soins dentaires, Procter &
Gamble ne laisse pas passer l'occasion de s'emparer d'un portefeuille de
marques européennes qui représente quelque 107 millions d'euros de chiffre
d'affaires (Source Euromonitor). En novembre dernier, pour un montant qui n'a
pas été communiqué, le géant de Cincinatti devenait donc l'heureux propriétaire
d'Ajax en Suède, de Dynamo au Danemark et en Italie, et des marques Axion et
Gama en France. Deux marques qui, à l'image d'un Bonux, ont accompagné la vie
quotidienne des Françaises et qui permettent à Procter de gagner, de facto, 6 %
de part de marché dans l'hexagone, deuxième plus grand marché européen des
détergents après l'Angleterre. Quant à Dynamo et Ajax, elles vont renforcer ses
positions en Scandinavie, bastion de son principal concurrent Lever. On l'aura
compris, ces rachats ne contrarient en rien la logique expansionniste des
groupes, au contraire, ils la confirment. Mais racheter ne veut pas toujours
dire relancer. Compte tenu de son portefeuille actuel, Procter & Gamble France
a pris la décision de redynamiser une seule de ces deux marques, en
l'occurrence Gama. Absente depuis dix ans du petit écran, la marque, toujours
créditée d'un taux de notoriété spectaculaire, 74 % en spontanée selon son
service communication, y faisait un retour remarqué début septembre. Signé Léo
Burnett Paris, ce nouveau film capitalise sur sa campagne emblématique “Rue
Gama”. « Gama est, et demeure, une marque de bon sens, choisie par des
consommateurs qui cherchent avant tout une lessive généraliste et efficace,
aussi bien des mères de familles que des bobos parisiens. Ils n'ont pas de
réelles implications et surtout ne sont pas en attente de fortes innovations.
Pour remettre en scène Gama, qui n'a pas de démonstration produit à mettre en
avant, nous avons donc activé un levier essentiel pour ces marques qui ont
traversé le temps : l'émotionnel », indiquent en chœur Lorraine Holl,
directrice de création et Emmanuelle Buttazzoni, directeur de clientèle chez
Léo Burnett Paris. Si les codes ont été revisités avec talent, en jouant sur un
traité graphique nouveau, tout l'esprit de la vie de quartier est là. D'autant
que l'agence a conservé, tout en la réorchestrant la musique de Francis
Lemarque “A Paris”. Reste à savoir si le premier effet Rue Gama va se
reproduire. « Le paysage audiovisuel a énormément évolué ces dix dernières
années. Ces marques patrimoniales ont construit leur capital de sympathie à une
époque où les chaînes de télévision se comptaient sur les doigts d'une main.
Aujourd'hui, l'offre est beaucoup plus fragmentée et il devient plus difficile
de toucher des cibles qui vivent plus une culture de tribus qu'une culture de
patrimoine », estime Fabrice Peltier, président de P'Référence. Rendez-vous
dans vingt ans…
Dop : Soixante dix ans de complicité
Bien que franco-française, elle n'en demeure pas moins un des fleurons du groupe L'Oréal. Dop, qui fête cette année son soixante dixième anniversaire, ne devrait donc pas connaître le sort de Gemey dont le groupe prépare depuis quelques années la disparition au profit de Maybelline, plus anglo-saxonne. Marque stratégique, Dop entretient la complicité et la proximité dans le portefeuille du géant mondial. Des qualités qui lui ont permis de venir à la rescousse de marques plus anciennes ou plus segmentantes. Au début des années 2000, elle prenait ainsi sous son aile protectrice Cadonett ou encore la marque de coiffants Vivelle. Pourtant la marque n'a pas connu que des succès. Au début des années 70, l'arrivée de nouveaux concurrents et de nouveaux bénéfices lui font de l'ombre. Il faudra attendre le début des années 90 et le lancement de P'tit Dop, première gamme spécifiquement destinée aux enfants, pour se remettre sur les rails. Soixante-dix après sa naissance, et bien que sa place de leader lui soit aujourd'hui contestée, Dop reste, avec 20 % de citations, la première marque en termes de notoriété top of mind, toutes catégories d'hygiène beauté confondues.