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Qu'est-ce qui fait courir les enfants de la télé-réalité ?

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Une bonne dose de naïveté, mais aussi pas mal de cynisme. Lorsqu'ils jugent la télé- réalité, les enfants hésitent entre fascination et rejet. Mais, petits et grands reconnaissent qu'ils sont totalement “addicts”.

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Elles font couler des litres d'encre. Les magazines télé et “people” leur consacrent chaque semaine des tonnes de papier. Après avoir animé les dîners parisiens aux prémices du iiie millénaire, les émissions de télé-réalité sont devenues des phénomènes de société ou, du moins, de cours de récré. Et qu'importe que les Nice People de TF1 se soient régulièrement faits doubler par les locataires de Fort Boyard ou les héros récurrents de France 3 ou encore que Star Academy s'incline devant Le Plus Grand Cabaret du Monde, les faits sont là. Qu'ils aient 7 ou 15 ans, les juniors s'adonnent sans retenue, ou presque, à ce nouvel opium. Pour comprendre cette fascination, l'institut d'études ABC + a ausculté la planète jeune, sans oublier d'interroger les mères. Une planète qui s'avère peuplée de créatures très différentes, bien que toutes en état de dépendance. « Quel que soit leur âge, la télé-réalité offre aux enfants une vision positive de la vie. Elle leur vide la tête de leurs angoisses, de leurs doutes sur l'avenir, sur le sexe. Cela étant, ils la perçoivent différemment selon leur âge. Avant 12 ans, les enfants prennent en bloc les modèles qu'on leur donne à voir. Ensuite, ils ont des lectures à différents degrés », analyse Pascaline Petit, directrice d'études. Une lecture qui va leur permettre de prendre une certaine distance face à ces émissions. « C'est comme aller au musée, c'est un petit monde où l'on voit comment un groupe de gens réagit avec d'autres gens », dit ainsi une adolescente de 15 ans. « C'est comme une drogue, il y a un attachement involontaire », renchérit une autre jeune fille du même âge.

Miroir d'une génération


Critiques, ces adolescents, scotchés devant Star Ac', Pop- stars, Nice People, disent cependant, de leurs émissions préférées, qu'elle sont le miroir d'eux-mêmes. « J'aime la spontanéité des participants, qu'ils soient naturels et montrent la génération d'aujourd'hui », dit un garçon de 15 ans. Faut-il en déduire que la force de la télé-réalité réside dans la proximité qu'elle a su créer avec son public ? Certainement, car, quel que soit l'âge des spectateurs, tous lui reconnaissent être une leçon de vie. Enfants, adolescents et parents, pour tous, la télé-réalité répond aux préceptes éducatifs et moraux en cours dans la société actuelle. « Ces émissions revêtent un caractère quasi pédagogique en développant des valeurs humaines et sociales positives. Ils apprennent à se faire une opinion », nous disent ainsi les mères, alors que les enfants déclarent « apprendre la patience, se contrôler, rester tranquille devant les autres, ne pas fondre en larmes ». « Pour les parents, comme pour les enfants, la télé-réalité, c'est l'apprentissage de soi, le dépassement et l'ambition », commente Pascaline Petit. Bref, alors que les parents des années 90 abreuvaient, dès le plus jeune âge, leurs enfants de CD-Rom ludo-éducatifs pour les préparer à affronter la vie, plus prosaïquement, ceux des années 2000 trouvent, dans ces émissions, un moteur pour stimuler leurs enfants et remettre au goût du jour, le travail, le sens de l'effort et le mérite. Quitte à ne plus laisser aucune place à l'imagination. « Chez des enfants de 6 ou 7 ans, ce principe de réalité est effrayant. Les enfants ont toujours besoin de rêve pour se construire, ils ont besoin de héros imaginaires. En les bousculant si jeunes dans ce qu'ils pensent être la réalité, ils quittent le monde de l'abstraction qui leur est pourtant nécessaire », estime Armelle Le Bigot-Macaux, présidente-fondatrice d'ABC +. Avant d'ajouter que le succès de ces émissions doit autant aux peurs viscérales des parents de voir leurs enfants rater le coche, qu'au désir de ces derniers d'être dans la norme. Des enfants qui cherchent, dans les candidats, des modèles pour se construire. « On leur donne à voir des archétypes, des individus qui s'affirment grâce à des qualités, du talent et des efforts. Star Ac' renvoie une image de la jeune fille idéale qui habite chez ses parents, ne dit pas trop de gros mots, qui est la plus méritante. Et ils vont assister à sa métamorphose. La chrysalide devient papillon. Koh-Lanta ou Fear Factor agissent de la même façon chez les garçons. C'est le pendant aventure de la Star Ac', où la résistance, la force physique, la débrouillardise vont faire émerger un individu plus fort que les autres. C'est donc un monde rassurant qu'on leur vend », analyse Pascaline Petit. D'autant plus rassurant, que rien ne relève de la magie. Pour triompher, il faut braver l'adversité, surmonter ses angoisses, aller au bout de soi-même. Tout en découvrant et en respectant les autres. Et c'est là, la deuxième fonction de la télé-réalité. Apprendre à vivre en société. La communauté est au cœur des émissions de télé-réalité. Elle permettra à chacun d'explorer, par procuration, les vertus et les vices de ses semblables. Un exercice très recherché par les adolescents, beaucoup moins par les plus jeunes. Si les premiers mettent en œuvre une lecture au second degré, les moins de 12 ans vont, en revanche, rejeter toutes les émissions qui remettent en question le modèle dominant. « A cet âge-là, la perversité ne paie pas, elle fait peur », indique Pascaline Petit. Si Bachelor est un conte de fée moderne, le sulfureux Greg ne les fait pas rêver. Quant aux adolescents, ils vont expérimenter, à travers l'autre, les tourments de leur quotidien. Mieux, ils vont également pouvoir se mesurer, se comparer. « Les adolescents cherchent, au travers de ces émissions, autant de contre-modèles que de modèles. Il s'agit d'une construction mosaïque qui se fait souvent grâce à une prise de recul salvatrice et gratifiante. Si j'ai le pouvoir de juger, c'est que je suis mieux, moins con, plus mature, plus sain, que les autres », poursuit Pascaline Petit. Quant aux mères, si elles n'ont plus rien contre la télé- réalité, dès lors que la morale est sauve, elles établissent une nette distinction entre la bonne télé-réalité, du type Star Academy, Popstars ou encore Koh-Lanta, et la mauvaise, Loft Story ou Nice People. « Loft Story, c'est bronzette toute la journée », commente ainsi une mère. Les parents n'accepteraient donc la télé-réalité que si elle agit sur le mode actif. Pour les candidats, comme pour le public. On travaille, on transpire dans le château de la Star Ac'. On commente, on parle, on soutient, on téléphone dans le salon familial. « Les parents sont dérangés par les émissions qui fonctionnent sur un mode passif, pour les acteurs comme pour les spectateurs, tous vautrés. A l'inverse, les Star Ac' ou Popstars agissent sur un mode actif et donnent la représentation d'une société vivante, dynamique et tournée vers l'avenir, dans laquelle leur enfant s'inscrit et à laquelle il participe déjà », avance Pascaline Petit.

La vie, la vraie


Au-delà de l'apprentissage de la vie en société, la télé- réalité serait également un réflecteur de la vraie vie. Et notamment pour les plus jeunes. « C'est des personnes que l'on peut rencontrer dans la vie de tous les jours, ils sont comme nous, ils ont une famille », disent les enfants. Là encore, les adolescents sont plus critiques, voire parfois cyniques. « C'est stéréotype, c'est des caricatures, mais j'ai compris que c'est des émissions qui cherchent à nous faire penser qu'on est mieux qu'eux », déclare une adolescente de 14 ans. Cette pseudo-réalité, dont ils ont conscience, constitue de fait un véritable garde-fou et conduit à une prise de recul salvatrice. « Ainsi, les situations potentiellement anxiogènes à cet âge, la mort, le mensonge, le sexe, sont désamorcées pour constituer un divertissement et redevenir une fiction ! », s'exclame Pascaline Petit. Mieux, puisque cette réalité devient “pseudo”, ils peuvent sans honte s'adonner à la contemplation des turpitudes du monde des adultes. « Bachelor, c'est marrant surtout quand on se moque de lui. On l'appelait Dumbo, tellement il est bébête. Je sais pas comment il peut séduire », ironise un adolescent de 15 ans. Un cynisme que l'appât du gain ne fait que renforcer. Moins naïfs que l'on pourrait le penser, tous les adolescents mettent le doigt sur les motivations premières des candidats : la célébrité, et ses avantages, ou l'argent. Enfin, et ce n'est pas le moindre des bénéfices, la télé- réalité crée un lien inter-générationnel. « On regarde en famille et on découvre ses enfants », dit une mère. « Maman nous fait plaisir en regardant avec nous, et on en parle avec elle », répondent les enfants. Et les uns et les autres se complaisent dans un bonheur absolu où il n'y pas plus aucune place pour le conflit, du moins sur la cible des 8-12 ans. Les mères anticipent l'arrivée de l'adolescence, prolongent le lien, contrôlent tout en incitant à l'échange. « C'est un des effets du jeunisme ambiant. On regarde les mêmes choses, on s'habille de la même façon et la consommation abolit les conflits », insiste Pascaline Petit. Et, tandis que les mères s'habillent en Petit Bateau, leurs filles rêvent de ceinture Gucci. Les marques, justement, quelle place occupent-elles dans ces émissions ? « Elles sont bien portées par le rêve entretenu par la télé-réalité. Chez les plus jeunes, qui ont une lecture au premier degré, les marques jouent sur le registre de la proximité et ne prennent pas trop de risque. D'ailleurs Kiabi ne s'y est pas trompée en lançant ses lignes Star Ac'. En revanche sur la cible des ados, et en s'associant à des émissions comme le Loft ou Nice People, qui ne défendent pas des valeurs très aspirationnelles, les marques jouent sans filet », estime Pascaline Petit.

Star Ac', Popstars : un concept proche, des lectures très différentes



Star Ac' (Pionnier)


• Professionnalisme/qualité : principe de sélection poussé, qui intègre l'inné (don) + l'acquis (perfection du don par le travail) — > les “élus”. • Dimension éducative (scolaire, “sévère, mais juste”) et élitiste (les meilleurs parmi les meilleurs). • Respect/préservation des candidats. • Candidats majoritairement “politiquement corrects”. • Sanction “démocratique” et partagée (mise en examen par les profs, vote du public, repêchage des élèves). • Un concept de “direct”, qui offre une approche duale : - qui intègre la dimension INTIME (= préservation, sécurité, type Loft), qui génère de la proximité, et inscrit la vie des candidats dans une temporalité impliquante (quotidien). Dimension de proximité introduite par le nombre réduit des candidats sélectionnés. - et qui propose aussi la dimension SOCIALE (candidats face au grand public pour affronter l'adversité). • Célébrité pérenne, “révélation d'un vrai talent” = vision optimiste du succès (aboutissement)/de l'avenir).

Popstars (Suiveur/Mee-too)


• Amateur (l'acquis “laborieux” plus que l'inné). « Dans Star Ac', il y a vraiment matière à travailler, les gens sont plus pointus, ce qui n'est pas le cas des What For. » (mère) « Ils les prennent bruts. » (g 14/16) • Dimension populaire (casting gigantesque). • Non-respect, humiliation/victimisation des candidats (négatif pour la majorité, propice à la moquerie/au cynisme pour quelques garçons : « Dans Pop Star, j'étais déçue de voir comment on leur parle. » (mère) « Les profs font exprès de casser. » (g 14/16). • Candidats souvent trop “border-line”, moins dans la norme archétypale. • Sanction univoque (jury). • Un concept de “différé” plus restreint (montage, voix off). Distance renforcée par le grand nombre de candidats au démarrage (impersonnel) • Stars Minute/Kleenex (produit marketing éphémère) = vision pessimiste du succès/de l'avenir.

Ce qu'ils disent…



des produits dérivés


« C'est ringard, c'est la honte totale, nos copines n'en n'ont pas. » (adolescent 15 ans) « Nos petits frères ont des T-shirts Koh-Lanta et Fear Factor, mais c'est pour les petits. » (adolescent 14 ans) « J'achète parfois des magazines, mais c'est plus pour la vie des vraies stars. » (adolescente 14 ans)

de la différence entre Star Ac'et Popstars


« C'est la chaîne qui change, mais la Star Ac', c'est mieux parce que c'est dans un château. » (adolescent 14 ans) « A la Star Ac', ils travaillent, alors qu'à Popstars, ils ont déjà du talent. » (adolescent 15 ans) « Popstars, c'est mieux, on voit les recallages. » (adolescent 15 ans)

des vrais héros


« Les sportifs, d'ailleurs ce serait bien que les chaînes fassent une Star Academy mais avec tous les sports. » (groupe garçons 14/16 ans) « Les acteurs et les actrices et un Loft avec eux, ça serait vraiment intéressant, là on regarderait. » (groupe filles 14/15 ans)

de leur participation éventuelle


« Pourquoi participer, ça doit être gonflant, ils ne foutent rien de la journée, bon mais on peut faire des rencontres. » (adolescent 15 ans) « Je ne veux pas m'inscrire mais, si on vient me chercher, j'y vais. » (adolescent 15 ans)

du vote


« On vote jamais, c'est trop cher et puis ça sert à rien puisque c'est truqué. » (adolescent 15 ans) « C'est les petits qui votent. Nous on sait grâce aux bruits qui courent qui va gagner. » (adolescent 14 ans) « C'est les parents des candidats qui votent et leur fan club, pas nous. » (adolescente 15 ans)

de la récurrence des émissions


« Ça rapporte de l'argent à la chaîne et de l'audimat. » (adolescent 15 ans)

hodologie



En quanti


Questions intégrées dans les questionnaires de L'Obs 5-25 (1), sur un échantillon de 617 enfants (269 5/10 ans et 293 11/16 ans), représentation de la population enfantine en termes de sexe, régions et CSP. Les questionnaires ont été administrés en face à face pour les 5/7 ans et auto-remplis pour les 8/16 ans.

En quali


Six groupes d'enfants et de mères : 1, avec garçons de 8/10 ans ; 1, avec filles de 8/10 ans ; 1, avec mères de filles de 8/10 ans ; 1, avec mères de garçons de 8/10 ans ; 1, avec ados garçons de 14/16 ans ; 1, avec ados filles de 14/16 ans. (1) L'Obs 5-25 ans a été lancé, il y a quatre ans, par l'institut ABC +. Ses objectifs : explorer le monde des jeunes à travers une segmentation fine, par âge et par sexe. Et via une double approche quali/quanti. Pour tenir compte de spécificités saisonnières, deux vagues sont réalisées par an (avril-mai) et (oct-nov).

 
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Rita Mazzoli

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