Prospective : la grandequête
Dans un monde en constante mutation, où le consommateur est à la fois plus expert et plus complexe, les entreprises ont besoin d'outils pour comprendre et anticiper. Emanant aussi bien de bureaux de style, d'instituts d'études, de conseils que d'agences médias ou encore de design, l'offre d'outils de veille et de prospective est là.
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Jamais encore on n'avait autant parlé “tendances”. Impossible d'ouvrir un
magazine sans tomber sur une rubrique “Tendances”. Le mot serait-il devenu
magique ? Ou cet engouement exprimerait-il plutôt le besoin d'explications
devant un monde qui change de plus en plus vite ? Longtemps confinés au monde
de la mode, qui y trouvait des idées créatives pour démarrer leurs collections,
et aux bureaux de style (Nelly Rodi, Peclers, PromoStyl, Martine Leherpeur,…),
les cahiers de tendances s'ouvrent désormais à tous les secteurs. Les bureaux
de style eux-mêmes développent leur offre pour répondre aux besoins des
directions marketing. Nelly Rodi propose ainsi des Guides Socio-Marketing
(études prospectives, analyse des comportements, données sociologiques) qui
sont des comptes-rendus de rencontres avec des chercheurs, des sociologues, des
philosophes, des linguistes, des directeurs marketing, réunis pour réfléchir
sur des thèmes socio-économiques. Peclers a créé Futur(s), un nouvel outil
prospectif destiné aux créateurs industriels. Désaisonnalisé et dé-connecté des
ten-dances éphémères, Futur(s) croise l'analyse de l'évolution des grands
courants socioculturels et des attitudes de consommation et propose une
approche visionnaire et concrète du “look” des produits (textures, surfaces,
couleurs, aspects,…), susceptibles de répondre à ces attitudes. « Toute notre
démarche d'anticipation est très organisée et rodée, et nous l'appliquons à des
univers hors textile comme l'automobile, l'alimentaire, la cosmétique, les
instruments d'écriture... Mais nous sommes sur de la macro tendance, explique
Isabelle Polet, responsable de projet marketing chez Carlin International, qui
intègre un bureau de style et une agence de communication. Nous sommes capables
de découvrir les grandes thématiques qui permettront le développement de
nouveaux produits et nous allons jusqu'à proposer des concepts de produit. Nous
sommes un peu un périscope pour les marques. » En 2004, Carlin International a
lancé un Cahier de tendances de communication. Le premier, réalisé à partir
d'une étude Risc portait sur le thème de la Rencontre. Le second, qui est sorti
en mars, est plus transversal.
Des grilles de lecture
Les agences de communication, médias ou design, sont de grands utilisateurs de
tendances mais il leur arrive également d'en proposer l'analyse. Ainsi l'agence
de design Pulp a réalisé en 2004 un panorama des tendances sur différentes
thématiques considérées comme d'actualité : les 25-35 ans, l'homme, “Le light,
filon ou mirage”. « En 2005, nous traiterons toujours le light, mais également
la World Beauty. A chaque fois, nous dégageons les tendances lourdes et nous
regardons les liens avec le métier du design », explique Simon Bouanich, P-dg
de l'agence. Avec son Cahier de tendances, Carat propose une grille de lecture
de la société. « Décoder, cela permet d'éclairer la route et d'alimenter la
réflexion marketing, fait remarquer Françoise Riera-Dabo, responsable Marques
et Tendances de Carat. C'est une ressource qui nous permet d'appuyer notre
réflexion quand nous délivrons des missions de marketing.» Depuis deux ans,
Carat a intégré dans son Cahier de tendances des questions propriétaires,
posées dans le questionnaire Simm de TNS Media Intelligence, ce qui permet de
relier une problématique de cible. Côté sociétés d'études, l'offre se
structure. « Les études shoppers que nous réalisons sont prospectives, car
elles analysent les tendance d'un marché et permettent d'identifier les
insights émergents qui risquent de gouverner ce marché dans les années à venir
», remarque Luc Milbergue, P-dg de Stratégir. La société Portico s'est posée la
question de ce qu'est la passion aujourd'hui. ACME Consultants propose
Ex.Ten.So, un outil d'anticipation destiné à éclairer et nourrir la réflexion
prospective stratégique à partir d'une analyse non pas des consommateurs mais
d'un panel international d'acteurs clés qui façonnent aujourd'hui le monde de
demain. Allegoria Consultants propose IPCA, une méthodologie de veille et
d'analyse des tendances socioculturelles internationales permettant d'anticiper
les futurs comportements de consommation et les foyers d'influence
socioculturels pour mieux connaître les cibles prospectives, mieux appréhender
les différentes sources d'innovation, développer de nouveaux produits ou
orienter de nouvelles stratégies de communication. Sorgem travaille depuis
plusieurs années sur Trend Scouts, la détection précoce des tendances fondée
sur un réseau mondial de trend scouts (observateurs participants), un suivi
documentaire et une investigation auprès d'experts. Du côté des instituts
qualitatifs, on peut aussi citer les démarches de Théma, MSM, DRC, etc.
De l'utilité des observatoires
Constatant que les
directions marketing se sont progressivement coupées d'une vision plus globale
de leur marché, le département Quali Stratégique du groupe TNS Sofres a monté,
en 2004, deux dossiers qui sortiront cet été, brandés “Facts'n Trends”, l'un
sur l'habitat, l'autre sur le rapport à l'alimentaire. Ces observatoires de la
modernité sont des observatoires de comportement du consommateur sur
différentes thématiques auprès de deux populations : les informateurs témoins à
deux étapes-clés de la vie (les 24-29 ans et les 57-63 ans), interrogés pendant
trois mois sur leur parcours de consommateur. « L'intérêt est que l'on est ici
à horizon deux-trois ans. Et nous essayons d'éclairer les tendances avec les
grands fondamentaux culturels», souligne Laurent Yvart, directeur adjoint du
Département Quali Stratégique de TNS Sofres. L'institut vient également de
lancer “Influence”, un programme d'études sur six thématiques (politique,
travail et entreprise, progrès/environnement/développement durable, 15-24 ans,
métissage, public-privé), un diagnostic approfondi de la situation, un examen
des évolutions possibles et une évaluation du “risque opinion”. « Les clients
ont besoin d'avoir des études de cadrage et de veille sur une problématique qui
monte et qui leur donnent un décryptage, explique Brice Teinturier, directeur
du département Politique & Opinion de TNS Sofres. C'est pour TNS Sofres un vrai
investissement, car chaque étude est basée sur une enquête réalisée auprès de 2
000 personnes. » Gros investissement également pour le groupe Ipsos que le
lancement des Observatoires Ipsos (Trend Observer, Consotrack, Tendances
alimentaires, Observatoire du shopper). « La veille et la prospective sont au
cœur du groupe en 2005 », souligne Thomas Tougard, directeur général d'Ipsos
Observer. Conséquence: le groupe vient de créer un nouveau département
“Tendances et Prospective”, dirigé par Rémi Oudghiri, dont la mission est de
continuer le développement des Observatoires et de l'approche prospective ad
hoc, de nourrir l'ensemble des activités classiques U&A, et le screening de
concepts, par des modules de tendances et d'accompagner les résultats auprès
des clients. Pour permettre au plus grand nombre l'accès aux observatoires,
Ipsos a lancé le “Pack Tendance Ipsos Observer”, un digest customisé de tous
les observatoires, vendu entre 15 000 et 30 000 euros. Research International
vient de lancer “Carnet de tendances 2005/2006”, une nouvelle étude en
souscription, basée sur une investigation mêlant groupes consommateurs
(intégration des enseignements de l'étude RIO 2005), interviews d'experts et de
consultants internes (Pandora), recherche documentaire et réflexion
prospective, le tout à l'international.
Appréhender les mutations fondamentales
« La matière première du marketing et des études de
marché, ce sont les études sociétales et prospectives. A court, moyen et long
terme », remarque François Laurent, Worldwide Marketing - Consumer Insight
Network manager de Thomson, qui parle d'une nouvelle posture marketing. Pour
lui, une entreprise doit savoir adapter sa trajectoire au fil des ans pour
parvenir à proposer au consommateur un produit convenable, au bon endroit, au
bon moment. Il ne s'agit pas de chercher désespérément une piste au dernier
moment, dans l'urgence, quand les compétiteurs se pressent dans les
starting-blocks, mais de suivre en permanence les évolutions de la société à
court, moyen et long terme. Ou plutôt d'appréhender les mutations fondamentales
dont les répercussions se ressentiront encore à des années de distance, de
saisir les tendances les plus fines pour traduire ses innovations, les ancrer
au sein d'applications acceptables et cohérents puis se donner finalement les
moyens de surfer sur les modes et les codes de communication, pour le “fine
tuning”. « En un mot : préempter le futur », résume François Laurent. N'ayant
pas trouvé sur le marché l'étude de tendances qui lui convienne et qui réponde
à ses besoins - quelles sont les valeurs montantes et comment elles se
sédimentent ? Comment passer de la société de consommation à une nouvelle
société?-, François Laurent a initié un nouvel outil, multiclient,
commercialisé et géré par la Sorgem pour la phase quali et Panel on the Web
pour la phase quanti légère sur Internet. « Cette façon de travailler - du
quanti léger en ligne et du quali pour l'expliquer - préfigure bien ce qui va
se passer sur le marché des études dans les années à venir », estime François
Laurent.
Anticipation : un besoin ancien
Le besoin de comprendre et d'anticiper n'est pas nouveau. Des sociétés comme Sociovision Cofremca, le CCA, Risc... ont été créés il y a quelques décennies dans ce but : mettre en perspective passé et présent pour en déduire des enseignements à partir d'enquêtes quanti très lourdes. Sociovision fête d'ailleurs ses cinquante ans et décrit son métier comme “l'utilisation des sciences sociales pour aider les dirigeants à mieux comprendre la société dans laquelle ils agissent et à prendre des décisions plus avisées, mais également aider le corps social des entreprises et des institutions à se transformer pour agir avec une plus grande efficacité dans un monde plus complexe et plus divers”. « Notre grand savoir-faire est d'arriver à distinguer une mode d'une tendance lourde, et de voir si elles sont applicables au niveau local et international. A partir de là, nous aidons les entreprises à développer leur opportunisme stratégique », souligne Jean-Pierre Fourcat, vice-président de Sociovision Cofremca.
Entracte se projette dans l'avenir
« Nous avons fait des groupes quali traditionnels pour vérifier où en était le marché du sandwich aujourd'hui pour les consommateurs, explique Catherine Le Droit, directrice marketing d'Entracte, une des quatre sociétés leaders sur le marché du sandwich en France. Mais, avec Marketing Intelligence, nous avons également entamé une phase plus prospective réunissant un jury d'experts (un cuisinier, un expert du packaging, un autre du design, un responsable R&D d'une grande chaîne de restauration,…), afin de savoir ce que pourrait être le sandwich dans l'avenir. Il en est ressorti une vingtaine d'idées nouvelles, véritable vivier de produits nouveaux pour les cinq années à venir, aussi bien en ce qui concerne les recettes que le design. »
Les facettes de la veille
La veille économique et stratégique, une activité d'abord anglo-saxonne, prend place peu à peu dans les entreprises françaises et, de l'avis des professionnels, est de plus en plus externalisée (Micropole-Univers, Marketing & Business,…). « L'observation de marché, la veille marketing est une demande que l'on ne voyait pas encore trop il y a trois ans, explique Xavier Gazay, associé en charge du CRM et marketing chez Accenture. Cette fonction de veille est un élément essentiel de leur réflexion et le point d'entrée de la construction de leur offre. » Des sociétés comme Euromonitor, Datamonitor, Dafsa... aident au suivi des marchés. D'autres (et parfois les mêmes), comme expertsconsulting, XTC... traquent les nouveaux produits dans le monde entier. Le Cidil exploite l'une des plus grandes banques de données de nouveaux produits laitiers mondiale. « Il faut distinguer plusieurs types de veille : la veille concurrentielle, la veille tendances et la prospective, estime Jean-Marc Lévy, directeur de Marketing Intelligence-Yin. Ce qui est important, ce ne sont pas les tendances, mais la façon dont elles peuvent influencer un business. » La veille plurimédia et d'opinion (TNS Media Intelligence est l'un des grands leaders sur ce marché) est un outil qui, pour de nombreuses agences et régies comme Interdeco, vient compléter une analyse socioculturelle (le Simm Scanner est une étude exclusive Interdeco) et une veille consommation par secteurs.
Peugeot : quand l'analyse des tendances aide à lever des freins
« Lorsque j'ai pris, en janvier 2000, les fonctions de responsable de l'identité de marque et de l'architecture commerciale de la marque Peugeot, les tendances nous ont aidé à faire évoluer la représentation de la marque y compris l'architecture des points de vente, se souvient François-Xavier Delvallée, aujourd'hui Responsable satisfaction clients et réseaux à la direction Marketing et Qualité de Peugeot. En 2002, une réflexion a été engagée sur la gestion de l'ensemble des produits accessoires et des pièces de rechange, soit quelque 200 références. Nous nous sommes dits qu'il fallait appréhender le problème d'un point de vue consommateur, avec sa logique, et non plus d'un point de vue industriel. Ce qui a donné naissance, avec l'aide de l'agence Pulp, à trois nouvelles gammes de packagings, dont la gamme produits et accessoires Peugeot Boutique, conçue pour répondre spécifiquement aux attentes clients et qui traduit l'exigence et la qualité de nos produits auprès du public. La nouvelle gamme s'articule en cinq familles de produits (Confort, Audio, Design, Technic, Protect). L'analyse des tendances nous a aidé à travailler. Mais qui plus est, cette approche client et tendances a préparé le terrain pour la suite. Et la suite, cela a été tout le travail autour du packaging des pièces de rechange et accessoires de la 1007, monospace à 2 portes électriques, qui sortira en avril 2005, et dont la particularité réside dans la possibilité de changer dix-huit éléments, repris dans un kit appelé “Kit Caméléo”, décliné dans douze teintes et ambiances différentes. Il fallait trouver un packaging qui permette au kit de vivre par lui-même au point de vente et suscite l'achat d'impulsion en mettant en scène cette composante essentielle de la voiture. Il fallait que le kit devienne une opportunité de discours sur le nouveau modèle. Nous avons appréhendé ce produit, cette marque et ce packaging, par une démarche volontariste partant des grandes tendances. Nous avons demandé à l'agence Pulp d'expliquer à l'interne ce qu'étaient les tendances, comment elles évoluaient, à quoi sert le packaging, quelles valeurs il doit porter, avec un benchmark de ce qui a réussi dans d'autres secteurs. Cette présentation a permis de rassembler et de convaincre. Le travail sur le pack du Kit Caméléo, réalisé par Pulp, est venu après, tout en s'inscrivant dans un processus qui avait mûri en interne. »