Pourquoi La Ligue Nationale contre le cancer radicalise son discours
Loin des bons sentiments et de la générosité, le dernier film de la Ligue Nationale contre le cancer adopte un discours radical qui nous interpelle sur nos pratiques. Avec un objectif : l'appel à la responsabilisation.
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Mi-mars, Jacques Chirac faisait très officiellement de la lutte contre le
cancer un des trois grands chantiers du quinquennat. Symboliquement, c'est au
même moment que la Ligue Nationale contre le cancer revenait sur les écrans
avec un film signé Enjoy Scher Lafarge. Baptisé "L'indifférence", on y voyait
une vieille femme tomber sur un quai de gare, un homme se noyant dans un
fleuve, une petite fille en larmes perdue dans un parking. Le tout sous le
regard indifférent de passants spectateurs de ces scènes. A la fin du film, une
interrogation nous renvoyait à nos pratiques : "Imaginez que l'on se détourne
de tout comme on se détourne du cancer ?". Ce film, à l'image des campagnes
Aides (TBWA/Paris) ou Sécurité Routière (Lowe Alice/Stratéus), fait l'effet
d'un coup de poing et dérange nos consciences. Et il tendrait à démontrer qu'en
termes de création, les associations osent la rupture, là où la plupart des
annonceurs classiques, craignant les foudres de l'opinion et des biens
pensants, jouent profil bas en adoptant un discours aseptisé. Un constat qui,
pour certains, relèverait de la nature même des acteurs et des enjeux de leur
communication. A l'opposé des groupes industriels, les associations n'ont pas
d'actionnaires, pas de "consommateurs" et, au final, les parti pris créatifs
n'ont pas de conséquences sur leur bilan financier. Cette analyse est simpliste
et réductrice. Si elles sont en marge de la société marchande, les grandes
causes, en nous interrogeant, contribuent au débat "sociétal", et in fine, à
l'émergence des valeurs de nos sociétés. Pour être entendues, elles doivent, à
la manière d'une marque lambda, émerger du brouhaha de la place publique.
Créer un territoire
« Nous avons adopté pour la Ligue
un traitement identique à celui que nous réservons aux marques. Travailler pour
la Ligue, c'est essayer d'en faire une marque et non pas une institution. Une
marque qui assume sa prise de parole », commente Christophe Lafargue. Et qui se
fixe un enjeu prioritaire : parvenir à ce que la société affronte le cancer
comme n'importe quelle maladie. « Je suis toujours très étonné de constater
dans les dîners en villes, qu'un tel parlera sans aucun complexe de son triple
pontage coronarien, alors que personne n'osera dire qu'il suit une
chimiothérapie », indique Jean Lambert, directeur de la communication de La
Ligue National contre le cancer. Et d'ajouter, « si le cancer n'est plus une
catastrophe qui n'arrive qu'aux autres, en revanche en parler demeure tabou.
Depuis la nuit des temps, face à cette maladie, la société est dans
l'évitement. Le cancer demeure ce fléau synonyme de mort, le crabe qui vous
attrape, et dont l'image sociale est extrêmement négative ». Résultat, la
plupart des campagnes de prévention lancées par les pouvoirs publics sont des
échecs, avec les conséquences que l'on devine. « Nous avions besoin d'un film
qui personnalise les actions menées par la Ligue, qui porte un discours global
de lutte contre le cancer. Nous ne promettons pas que nous allons éradiquer la
maladie, nous en appelons simplement à la responsabilité de chacun afin qu'il
la regarde en face », poursuit Jean Lambert. Contrairement à l'ARC, qui
historique oblige, fait de sa communication télé, entre autres, un des volets
de sa campagne d'appels de dons, le film de la Ligue vise à influer sur le
comportement de chacun d'entre nous, à créer une sorte d'électrochoc pour, au
final, installer la Ligue sur son territoire : la lutte contre le cancer. Quant
aux appels aux dons, ils relèvent de l'arsenal de la communication directe.