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Pour un esprit de confiance durable

La frontière entre citoyens et consommateurs est de plus en plus ténue. Le «savoir consommer» élève les niveaux d'exigence respectifs de l'offre et de la demande par un effet de synergie positive. Il est urgent de rétablir une confiance durable.

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Les attitudes des citoyens se calquent aujourd'hui sur celles des consommateurs, dont nous rappelons ici brièvement les évolutions. Devenus depuis une quinzaine d'années «acteurs» de leur consommation, les consommateurs ont créé une distance critique avec les offres de produits, marques, discours et systèmes de communication, quand ils les jugent inaptes à les séduire et à répondre de manière satisfaisante à la spécificité de leurs besoins. Cette mise à distance, qui concerne aussi les institutions collectives, a des conséquences à la fois positives et négatives sur l'autonomisation et la perception de leur place dans le monde, comme citoyens et consommateurs.

Consommer a un sens

Effet positif, dans le nouveau pouvoir des consommateurs, aujourd'hui pris en compte par les entreprises dans leur souci de satisfaire et de fidéliser des individus aux comportements aussi labiles qu'opportunistes. Mais il a fallu que ceux-ci imposent leur vote, en l'occurrence de subtils arbitrages entre des critères de consommation choisis selon leur «vouloir» et leur pouvoir d'achat, pour que les marques quittent leur posture de toute-puissance et fassent preuve de plus d'écoute et de modestie.

Autre effet positif: ce «savoir consommer» qui élève les niveaux d'exigence respectifs de l'offre et de la demande par un effet de synergie positive. La maîtrise donne du «sens» à la consommation, comme pour certains l'éthique du «moins consommer». De son côté, l'entreprise a compris qu'elle devait affirmer ses responsabilités par une offre mieux conçue et adaptée aux tendances de fond.

Troisième aspect positif: la substitution de la «valeur immatérielle ajoutée» de la marque par une valeur symbolique autocréée, par exemple dans la réhabilitation du «faire soi-même», du «consommer différemment», ouvrant à de nouveaux savoirs et un degré d'autonomisation rassurant et gratifiant.

Une révolution a-t-elle eu lieu dans les relations entre «destinateurs» et «destinataires»? En tout cas une redistribution des places respectives, qui tend à établir une relation «donnant-donnant», dans un rapport de pouvoir mieux partagé.

Danielle Rapoport (DRC):

«La difficulté actuelle réside dans la prise en compte et la gestion des paradoxes.»

La défiance est sous-jacente

Mais il n'est pas certain pour autant que ce «pouvoir» équivaille au sentiment de «puissance», comme capacité réelle d'agir pour soi, avec d'autres et dans le monde. Car les changements de posture que nous venons d'évoquer s'inscrivent dans la défiance, dans un système faussé à la base. La défiance s'alimente d'une incessante demande de preuves par essence insatisfaisantes, entraînant des stratégies individuelles de réduction de l'angoisse, favorisant à terme le cercle vicieux de l'impuissance, de la fragilisation et des peurs. La quête du «proche» est une illustration de ces stratégies, dans le réconfort qu'il suppose, métaphore du «local» comme miroir inversé de la mondialisation et de sa face diabolisée, la globalisation. La défiance donne aux forces de revendication une figure «victimaire» et contraint au repli, à la perte des utopies et de vision d'un avenir possible.

La difficulté actuelle réside dans la prise en compte et la gestion des paradoxes. Les individus cherchent autant à se laisser séduire qu'à résister à toute tentative d'enfermement. Ils réclament l'innovation et «que ça change» sans se confronter au risque que suppose le passage du connu à l'inexploré, à l'angoisse du changement en soi, à l'exaltation des chemins de traverse. Ils en veulent «pour leur argent», pour la dépense matérielle, temporelle et psychique consentie à choisir et honorer tel produit, telle marque, tel candidat... à la condition que les uns et les autres comblent leurs besoins, leurs rêves, qu'ils éveillent leurs désirs tout en apaisant leurs peurs. Ils veulent des réponses «sur mesure» sans renoncer au consensus, et entendent ces promesses sans risquer d'y croire.

Il serait donc urgent, pour la sphère politico-sociétale marchande, de rétablir un «esprit de confiance durable», pour éviter les effets pervers de la demande de preuve, avant même d'avancer. «Croire» dans une offre donne autant de noblesse à celui qui la conçoit qu'à celui qui la reçoit, à condition que cette croyance soit responsable, partagée et reconnue. Accepter surtout l'insu et l'inouï, comme autant de richesses que l'esprit humain ne cesse de rappeler à l'ordre de ceux qui voudraient tout gouverner, y compris ce qui leur échappe.

PAR DANIELLE RAPOPORT,
PSYCHOSOCIOLOGUE, DIRECTRICE DE DRC

DANIELLE RAPOPORT

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