Plurimédia Les médias élargissent leur territoire de marque 2/2
Le succès des déclinaisons de produits aux couleurs des Star Academy et autres Popstars a donné un nouveau coup de projecteur aux stratégies des marques médias en matière de droits dérivés. Mais cette politique ne se limite pas à ces marques très médiatiques, dont il serait plus que hasardeux de parier sur la durée de vie. Porter ses couleurs hors du cadre d'origine, petit écran ou kiosque, est une tendance qui va en s'accentuant dans les médias comme dans les autres secteurs. Reste là aussi à rester fidèle aux valeurs des marques en se gardant de céder aux seuls appâts du gain à court terme.
Je m'abonneSTAR ACADEMY DOPE TF1 LICENCES
On ajoutera qu'il vise
une population particulièrement friande de produits d'identitaires. Ce ne sont
pas M6 ou TF1 qui diront le contraire. Les licences d'émissions de ces deux
chaînes qui ont le plus fait parler d'elles ont concerné des programmes en
grande partie ciblés sur les pré-ados et ados, type Loft Story, Popstars et
Star Academy. Côté M6, la première édition de Loft Story Magazine lancé en mai
2001, par exemple, s'était vendue en kiosque à près de 200 000 exemplaires
(source NMPP, ventes au numéro en kiosque). Côté TF1, la même année, la
première édition de Star Academy s'est soldée par la vente de 400 000 billets
pour la tournée, 800 000 exemplaires du magazine, 2 millions de singles et 1,5
million d'albums pour le CD. Si on ne dispose pas à cette heure des chiffres
complets, la seconde édition qui s'est achevée le 21 décembre dernier était en
passe de faire encore mieux. Le jeu de société destiné à transformer toute la
famille en stars a terminé l'année avec 100 000 boîtes vendues contre 80 000
fin 2001. Et le magazine Star Academy, "le mag de toutes les stars" réalisé par
BestNet de Georges Attal, affichait des ventes moyennes de 300 000 exemplaires,
soit 2,2 millions d'exemplaires vendus entre décembre 2001 et décembre 2002. Un
score à faire pâlir de jalousie nombre de titres ! « On a pris le parti de
continuer la diffusion du magazine même quand l'émission n'était pas diffusée,
car la promesse de l'émission est de suivre les académiciens. Par ailleurs, on
y parle d'artistes autres que ceux de la Star Academy, explique Hubert Taieb,
directeur de TF1 Licences. Plus généralement, cela correspond à une volonté de
construire dans le temps en traitant Star Academy comme une marque à part
entière et pas uniquement comme un événement médiatique. » Une stratégie
d'autant plus nécessaire que TF1 travaille déjà sur Star Academy 3. Dire que la
chaîne a mis le paquet sur les produits dérivés est un euphémisme. 100 produits
réalisés par 20 licenciés de secteurs très divers ont porté les couleurs de la
seconde édition de l'émission. Un fan-club créé pour l'occasion a rassemblé 7
000 abonnés, moyennant une cotisation de 20 E. Cette opération a même été
déclinée en novembre sous la forme d'un fan-club spécifiquement dédié à
Jenifer, la "star" de la première émission, contre là aussi le versement de 20
E. L'un comme l'autre donnent notamment accès à la boutique Star Academy ou
Jenifer où le fan peut remettre la main au porte-monnaie pour acheter livres,
T-shirts, jeu, etc. TF1 Licences gère même le merchandising des tournées de
Jenifer et Jean-Pascal, autre "académicien" de la saison 1. Mais si Star
Academy s'est révélé le succès commercial que l'on sait, TF1 Licences ne
réussit pas tous ses paris. Comme le reconnaît Hubert Taieb, « si toutes les
émissions de la grille ont un potentiel de déclinaison de marque exploitable,
il faut parfois du temps pour susciter des licences. » Et de citer l'exemple de
la première édition de Koh Lanta qui, diffusé l'été et en access-prime «
n'avait pas suffisamment impacté sur les industriels ou les annonceurs
susceptibles de s'y intéresser. La seconde diffusion en prime time l'a rendue
plus légitime pour proposer des opérations » . Le premier a y avoir cru est
Jacques Vabre qui a organisé un jeu-concours on pack avant la diffusion de Koh
Lanta 2. « On espère développer les opérations promotionnelles autour de
l'émission de l'été prochain, dit Hubert Taieb. Il n'existe, en revanche, pas
de produits dérivés, mais il n'est pas exclu d'essayer d'en développer. » Il
est clair que Star Academy a plus que boosté TF1 Licences, structure créée en
1990 dans le giron de TF1 Entreprises pour « s'occuper de valoriser les héros
et les marques de l'antenne, rappelle Hubert Taieb. Notre première grosse
réalisation a été Ushuaïa, dont le contrat a été signé en 1994 avec LaScad du
groupe L'Oréal. » Chez FranceTélévisions Distribution, structure qui existe
depuis une dizaine d'années, c'est l'institution "Des chiffres et des lettres"
qui a été le point de départ de l'activité produits dérivés. « Mais c'est
vraiment depuis trois ans que nous développons une politique agressive en
acquérant des mandats sur des programmes diffusés sur nos chaînes », explique
Jean-Paul Commin, directeur général adjoint. Depuis, en fait, l'arrivée à la
tête de la filiale de Frank Cymes, transfuge de TF1 Licences. A l'instar de TF1
Publicité qui gère, par exemple, les licences de Pokemon ou Franklin, des
personnages dont les aventures ne sont pas uniquement diffusées sur l'antenne
maison, FranceTélévisions Distribution a commencé à faire connaître son
savoir-faire en gérant les droits de marques fortes comme Oui-Oui ou Bob Le
Bricoleur. « Il y a 2-3 ans, quand on allait au New York Licensing Show, il
nous fallait expliquer qui on était, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui,
grâce au succès que nous remportons avec ces droits », raconte Jean-Paul
Commin. Mieux installée, la filiale de FranceTélévisions passe aujourd'hui à la
vitesse supérieure avec ses propres programmes. C'était déjà le cas avec son
programme phare Thalassa, largement décliné en CD, VHS, DVD et jusqu'à une
ligne de vêtements vendue dans les magasins pour marins. Le catalogue s'étend
aujourd'hui et dans les mois à venir à des livres autour de Faut pas rêver, des
jeux de société autour des marques Pyramide, Les Amours, C'est pas sorcier,
émission diffusée sur France 3 et déjà déclinée en VHS et DVD, un jeu de
société et un CD de compilations signé Tout le monde en parle, décliné de
l'émission de Thierry Ardisson. « Nous suivons en fait une stratégie de
marketing transversal, à savoir offrir une capacité d'intervention dans tous
les domaines qui peuvent être périphériques à l'offre audiovisuelle, résume
Jean-Paul Commin. A la différence de TF1 Licences ou de M6 Interactions, on ne
contrôle pas l'antenne, c'est-à-dire qu'on génère du business tout en
respectant les lignes éditoriales. »
PRIME AUX MARQUES LIÉES À L'ENFANCE
Entre TF1 Licences, M6 Interactions et FranceTélévisions
Distribution, les chaînes herziennes sont clairement bien organisées en matière
de déclinaison de marques. Il en va différemment dans l'univers des chaînes
thématiques. Les musicales, par exemple, ciblées sur un public que l'on peut a
priori estimer comme consommateur de produits dérivés, gardent globalement un
profil bas. MCM a fait une tentative en s'offrant la vitrine du MCM Café. MTV
a, pour sa part, renoncé à toute politique de droits dérivés en France. « On a
eu un temps des produits commercialisés sur une boutique de CanalSatellite mais
ce n'était pas rentable, raconte Frédéric Rosenthal, directeur marketing. On ne
fait même pas en France de partenariat sur des albums. » C'est, en fait du côté
des chaînes pour enfants qu'il faut se tourner pour trouver des projets de
produits dérivés de marques. Tiji vient ainsi d'associer son nom à une première
collection de livres adaptée de la série britannique "Les animaux rigolos",
diffusée sur son antenne. Le logo Tiji sera présent sur la couverture de 52
titres qui seront publiés par Mango (15 000 exemplaires chacun). Les 10
premières histoires sortent ce mois-ci. Chez Télétoon, Albine Commissaire,
directrice du marketing, déclare avoir des projets avancés autour du personnage
Giorgio, animateur du Giorgio Show. « On l'a choisi par ce qu'il s'est révélé
le plus connu des animateurs du Cabsat jeunesse et parce qu'il véhicule
beaucoup d'imaginaire auprès des enfants. On travaille dans deux directions, le
jouet et la vidéo. » Jusqu'à présent, Télétoon avait juste décliné sa marque
sur une version "animaux" des Incollables d'Hatier. En matière de droits
dérivés de marques de médias comme de toutes marques en général, l'enfant
demeure le secteur le plus porteur au global du marché des licences. Dans le
groupe Bayard, par exemple, c'est du côté de Bayard Jeunesse que les
propositions sont les plus développées. Le service des produits dérivés y
existe depuis 1985, date de diffusion des premières séries sur le petit écran,
en l'occurrence Petit Ours Brun et Mimi Cracra, deux personnages de la revue
Pomme d'Api. Il y a deux ans, le groupe a décidé de reprendre ses droits
dérivés en direct, à l'exception de Léo et Popi dont les droits sont toujours
gérés par Studio Canal Licence. Il a encore franchi une étape supplémentaire
l'an dernier en participant pour la première fois au salon du Jouet "Univers
d'enfant", dans l'espace Licences. « Cela nous a permis de nous faire connaître
de professionnels comme les libraires qui ne savaient pas qu'autant de nos
héros étaient déclinés en produits et donc susceptibles d'être vendus en
corners, ce vers quoi nous souhaitons tendre », raconte Sylvie Collombat,
responsable du service des droits presse et produits dérivés de Bayard
Jeunesse. Au global, le groupe décline une quarantaine de produits sous licence
aux couleurs des héros de ces revues enfantines, la majorité concernant Petit
Ours Brun et Tom Tom et Nana.
PASSAGE OBLIGÉ OU OPPORTUNITÉ ?
Au vu de la mise en place de structures de plus en plus
organisées, on peut se demander si les droits dérivés sont un passage obligé
pour les marques de médias. « Non, répond, par exemple, Sylvie Collombat. Le
groupe Bayard a d'abord vocation à faire de la presse et de l'édition. Mais il
est important pour nos auteurs de montrer qu'on croit dans nos personnages et
qu'on s'investit dessus en leur donnant plus de visibilité. Mais il s'agit
d'être exigeant car c'est l'image du groupe qui est derrière. S'il y a un
problème, on a constaté que les gens n'appelaient pas le licencié mais Popi ou
Pomme d'Api. » Même prudence du côté de Prisma Presse. « Ce n'est pas un
passage obligé, estime Dominique Fleurmont, car toutes les marques ne s'y
prêtent pas, il faut qu'elles soient fortes dans leur domaine et que les
produits dérivés soient légitimes. Sinon, on risque un flop. » Certains ont
délibérément choisi de ne pas s'y aventurer. « En presse, c'est beaucoup
d'énergie pour peu de résultats, estime Jean-Paul Lubot, directeur délégué des
titres d'Emap Femme et de FHM. Dans certains cas, cela peut même nuire à la
marque si on n'en respecte pas vraiment les valeurs. A la limite, c'est
peut-être plus facile pour une marque jeune, comme chez nous FHM. Il n'y a rien
de prévu pour l'instant autour de cette marque mais il n'est pas exclu de le
faire plus tard. » Jusqu'à aujourd'hui, le seul véritable produit dérivé d'une
marque média d'Emap, c'est la boutique Modes et Travaux située près de la gare
Saint- Lazare. D'autres départements du groupe ont, par ailleurs, commencé à
décliner leurs marques à l'extérieur en tenant salon. C'est le cas du salon des
essais d'Auto Plus dont la seconde édition s'est tenue l'an dernier en juin à
Monthléry. Contre un ticket d'entrée de 20 E, les chevronnés du volant ont la
possibilité d'essayer les voitures des 25 constructeurs présents. Dans le même
esprit, Emap a également créé l'an dernier le salon d'essai du golf aux
couleurs de Golf Européen et Golf Magazine. Il repose sur le même concept que
celui d'Auto Plus, à savoir permettre aux initiés de rencontrer des
responsables de clubs de golf et des fabricants de matériel et de le tester
dans le somptueux cadre du Country Club de Rueil Malmaison. Dans les deux cas,
les produits restent en accord avec leur univers de marque. Elargir le
territoire de sa marque hors de son cadre habituel, c'est une tendance de fond
qui concerne de plus en plus les médias. MediaObs qui édite un nombre croissant
de guides - 10 l'an prochain - en est aussi un exemple parmi d'autres. « On
commence à commercialiser certains guides en librairie, raconte Bertrand Clare,
éditeur en charge de cette activité chez MediaObs. On a commencé en 2001 avec
l'Atlas Eco et on continue avec les guides qui ont de près ou de loin un
rapport avec le milieu scolaire comme le guide des écoles de commerce ou le
guide des écoles d'ingénieurs qui sortira cette année. Cela permet à nos
produits d'avoir une durée de vie plus longue que les 56 jours du kiosque. »
Cette réflexion sur la visibilité de la marque à travers des produits
différents ne concerne pas que les chaînes ou titres déjà bien installés. « On
est encore jeune sur le marché pour s'y atteler dès maintenant, mais il est
clair que le nom "Bien dans ma vie" en fait une marque suffisamment universelle
pour aller assez loin en matière de produits dérivés, en commençant par de
l'édition », affirme Rémy Dessarts, directeur général d'Axel Springer France, à
propos du mensuel féminin Bien dans ma vie. La déclinaison de marques en
produits dérivés fait donc aujourd'hui partie intégrante de la copie marketing
de bon nombre de médias. Parleront-on bientôt de la dérive des droits dérivés ?