Noms de marque : de la création au conseil
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«Le marché de la création de noms est clairement fragilisé quand on le
compare à ce qu'il était lors des années glorieuses de la bulle internet,
reconnaît Catherine Veillé, directeur général d'Insight Marques (groupe Ipsos).
Il est vrai que le début des années 2000 a été tout à fait irrationnel. »
Baisse du nombre de fusions-acquisitions (renommer la nouvelle entité a
toujours été l'une des grandes sources d'activité), diminution du nombre de
lancements de nouveaux produits, rationalisation des portefeuilles de marques,
incertitudes liées à la guerre en Irak…, autant d'événements venus s'ajouter à
une conjoncture déjà morose. Nomen International, leader de la profession, en
France, accusait une baisse de 13 % en début d'année de son chiffre d'affaires
en Europe. Apanage a vu sa marge brute passer de 300 KE en 2001, à 211 KE en
2002. Pour survivre, les sociétés ont réduit leur périmètre (Nomen a fermé son
bureau de Lyon) et leurs effectifs (Nomen, Insight Marques, Apanage…), renoncé
aux embauches, réduit leurs prix ou rogné sur les marges, fait preuve de
flexibilité. « Les clients veulent que l'on aille toujours plus vite, pour
moins cher et un résultat meilleur. Cela nous l'acceptons, mais c'est aussi à
nous de savoir dire stop dans certains cas », précise Catherine Veillé.Devant
la difficulté actuelle à trouver des marques libres juridiquement, les
entreprises préfèrent encore faire appel à des marques qu'elles ont en
portefeuille. On assiste aux nombreuses déclinaisons autour d'une marque
déposée, à l'instar de Hugo Boss ou Taillefine, avec le même radical. « Cela
économise les risques juridiques », commente Anne Olivry, directrice de la
création de Demoniak. Dans le même temps, les attentats, le SRAS… ont fragilisé
le marché du luxe. On est loin des années où le nombre de lancements en
Hygiène-Beauté haut de gamme s'élevait par centaines. La création de noms pure
et dure n'est pas morte pour autant. Les lois du marché imposent de
l'innovation. Et de nouveaux secteurs deviennent clients : des services, des
collectivités locales, de l'armement, des institutionnels… Mais les budgets
sont plus serrés, les clients, plus lents à se décider, discutent plus sur les
prix, y compris au moment des validations juridiques. « Notre activité
juridique qui aurait dû agir comme un amortisseur a diminué également »,
constate avec surprise Marcel Botton, P-dg de Nomen. Un autre amortisseur, qui
fonctionne bien celui-là, est l'appartenance à unestructure internationale. Si
l'activité de négoce de noms existe toujours (Album Rouge chez Bessis, La
Bourse des marques chez Demoniak), plusieurs autres sociétés l'ont purement ou
simplement arrêtée (Apanage) ou mise en sommeil (Nomen, Insight Marques). «
C'est une activité qu'il faut faire avec beaucoup de prudence », souligne
Marcel Botton. « Je préfère être un créateur et un accompagnateur qu'un simple
vendeur de noms », remarque Jean- Pierre Gauthier, P-dg d'Apanage, qui a
renoncé à cette activité de vente de noms de marques “prêts à l'emploi” il y a
deux ans.Le métier évolue donc, et il évolue vers le conseil autour de la
marque. « Insight Marques s'en sort relativement bien, car nous avons un
positionnement études qualitatives et conseil sur la marque, souligne Catherine
Veillé. Et là, la demande est forte. Notre métier, c'est révéler les contenus
imaginaires des marques. » Nomen a décidé d'investir, parce que la demande
implicite est là, dans son activité études. Un Dg de ce département va bientôt
être nommé, en charge des études en amont et en aval. Insister sur les études a
été d'ailleurs le positionnement de Bessis dès sa création. Apanage travaille
aujourd'hui très en amont des projets, partenaire dans le processus de
réflexion sur la pertinence d'un lancement. « La création de noms sert de
“torture test” au projet, estime Jean-Pierre Gauthier. C'est cette présence, et
cette disponibilité, qui permet d'établir un climat de confiance et qui crée de
la récurrence avec nos clients. De la création pure et dure, j'en fais moins
mais, quand j'en fais, je vends la prestation et le temps que je passe avec mes
clients en dynamique d'équipe. »
Plus de stratégie
Les
temps étant plus durs et les budgets plus serrés, la tendance à tout faire en
interne est forte dans les entreprises. Et, si les sociétés de création de noms
doivent intervenir, c'est en catastrophe, les délais, déjà très courts, s'en
trouvant encore raccourcis. « Les clients viennent nous trouver avec une
pression sur les délais incroyable », souligne Jean-Pierre Gauthier. Là, où on
travaillait à 3 semaines, il n'est pas rare de se voir imposer 20 jours, voire
8 jours. Mais le choix des entreprises de trouver un nom en interne peut aussi
découler d'une volonté de privilégier l'émulation interne. Et là, les sociétés
de création interviennent pour aider les équipes du client à y voir plus clair,
à aller plus loin grâce à de l'animation. Chez Insight Marques, l'activité
Solving-Mark, autour d'une plate-forme stratégique de création de la future
marque ou autour de la création de nouveaux produits ou communications, se
développe bien. Le Cabinet Florence Hussenot s'est spécialisé sur la “chaîne de
valeur de la marque”. Il intervient sur les stratégies de création de noms
(approches créatives et juridiques et pilotage de lancement), les études
marketing (évolution de l'environnement concurrentiel, écoute des attentes
clients pour donner ou redonner de l'énergie à la marque), et mesure les
efforts déployés pour permettre aux financiers d'affecter une valeur à la
marque. « Moins de création de noms, mais plus de stratégie et de valeur,
telles sont les évolutions de notre métier. Reste que la créativité est la clé
du succès d'une marque », rappelle Florence Hussenot. « Notre métier est un
métier à part, mais qui est voué à exister, remarque Catherine Veillé. Il est
en train de se nourrir des opportunités liées à la crise. » D'ailleurs, les
professionnels notent un léger frémissement vers le haut pour le second
semestre 2003. « Je m'attends à une reprise, tous les projets redémarrent en
même temps, constate Marcel Botton. Ce que je ne sais pas, c'est quand cette
reprise aura lieu : demain, mi-2004, mi-2005 ? » D'ici là, la prudence est de
rigueur.
De Vivendi Environnement à Veolia Environnement
l Le 30 avril dernier, l'AG des actionnaires de Vivendi Environnement a accepté le choix du président Henri Proglio de rebaptiser le groupe et de lui faire prendre le nom de Veolia Environnement. Plusieurs fées se sont penchées sur le berceau du futur nom, à commencer par Image 7, partenaire communication habituel de Vivendi Environnement, de Kaos qui a travaillé à la réflexion stratégique, avec l'intervention de High Co, et du Cabinet Florence Hussenot qui a travaillé sur la création du nom et le pilotage du lancement. Plusieurs contraintes étaient imposées : d'un point de vue technique, il fallait conserver le sigle VE ; d'un point de vue sémantique, le nouveau nom devait avoir du sens pour s'imposer par lui-même ; il devait être prononçable et lisible par les différents publics de l'entreprise. Une enquête CSA, auprès de 1 000 cadres, a montré que 85 % d'entre eux étaient très attachés au maintien du mot “Environnement”. Une contrainte de plus. Les équipes du Cabinet Hussenot se sont décidées très vite à travailler sur une racine gréco- latine et sur des valeurs de flux et de transparence. Une première liste de 500 noms, vérifiés juridiquement, et dans 30 langues, afin d'éviter toute connotation négative, a été proposée. Une première sélection en fonction de la sémantique de chaque nom, d'une analyse lexicale, grammaticale, du rythme du nom, de sa dimension internationale, de son registre d'expression, a permis d'en retenir une centaine. Cette sélection a alors été passée au crible d'une recherche juridique d'antériorité dans les pays et les classes concernant l'ensemble des activités du groupe. 50 noms ont pu être retenus pour aboutir à une short list de 10 noms sélectionnés par un comité de pilotage autour de Henri Proglio. Ces 10 noms ont fait l'objet de recherches juridiques approfondies, menées par le département juridique du groupe, appuyé par des spécialistes en propriété intellectuelle (cabinets Beau de Loménie et Jones Days).Des recherches juridiques de similitude, suivies d'enquêtes approfondies ont permis d'élaborer une stratégie de négociations d'achat ou de coexistence avec les marques approchantes. Parmi les noms restants en lice, libres d'utilisation, Veolia Environnement a été adopté. Le nom a d'abord été présenté aux 200 000 salariés européens, puis au public externe dans 100 pays. Son installation s'est faite au moyen d'une campagne de publicité signée Jean & Montmarin.