Marketing de l'Europe : le mauvais exemple
Le moins qu'on puisse dire est que l'Europe ne nous a pas été présentée comme un “possible désirable”. Sans réduire l'Europe à un produit ou à une marque, nous pouvons exercer notre esprit critique sur ce qui aurait pu se faire pour rendre l'Europe attractive, génératrice de futur et de fierté pour ses habitants.
Rendre l'Europe proche et familière
Lorsqu'on est face à un changement, des peurs légitimes se déclenchent, qu'il faut cerner et écouter pour y répondre, sous peine de rejets et de mise à distance. Le terme “d'ouverture”' associé à l'Europe est en soi ambigu, car il raconte l'histoire valorisante de la curiosité et de l'enrichissement par et pour l'autre, mais aussi les angoisses d'un excès de porosité à des mondes inconnus qui risqueraient de nous enlever quelque chose de notre “matière” (travail, qualité, spécificités françaises, etc.). Il eut fallu trouver comment rendre plus familier et plus proche “l'inconnu” pour le dédramatiser. Qui peut consommer du “nouveau inoffensif” sans cadre rassurant, que ce soit à travers une marque crédible, une promotion et une communication intelligentes ? Lors de notre Observatoire de l'euro et de l'Europe (1997 et 2001), les consommateurs disaient déjà comment réduire leurs peurs par leur envie de connaître la vie quotidienne de nos voisins européens, leurs modes alimentaires, leurs peurs à eux, leur désir de devenir plus complices d'une même aventure.
Rendre l'Europe plus transparente
Ils posaient aussi des questions restées sans réponse, malgré tous nos efforts pour les transmettre aux institutions concernées. Quelles seraient les conséquences de la construction européenne sur nos impôts, notre pouvoir d'achat, la TVA, l'équivalence des diplômes, les modalités de travail dans un autre pays, le niveau de qualité alimentaire, le maintien des droits… qui montraient bien l'envie de savoir et la capacité à s'adapter, à condition que l'on s'adresse à eux “honnêtement”. Au lieu de cela ont été élaborées des “publicités”, ni désirables ni explicites sur l'Europe, et franchement démagogiques sur l'euro, soi-disant “simple”… ce qui n'était franchement pas l'avis de nos consommateurs, persuadés d'une augmentation des prix liée à l'euro et angoissés par la difficulté pressentie pour s'y familiariser. L'impression de n'avoir pas été entendu par les institutionnels - ni par les acteurs de l'offre, au vu de l'augmentation perçue des prix - a accentué les doutes et renforcé la mise à distance des Français, dans un contexte socioéconomique déjà peu propice.
Rendre l'Europe appropriable, en faire “son Europe”
Là encore, l'Europe est restée à distance des citoyens, floue dans ses projets et ses institutions, plus élitiste que populaire, destinée aux gens qui avaient déjà les moyens de voyager et de travailler à l'international. Les “petites gens”, les “gens de peu”, se sont sentis exclus du processus, d'autant que l'euro a été promu sans ancrage symbolique, suggérant plus d'enjeux économico-financiers que de valeurs et d'intérêt pour l'humain. Au lieu d'apprendre l'Europe, ses complexités intéressantes et ses richesses potentielles, il leur a fallu décrypter les mécanismes des prix et se méfier du reste. L'Europe s'est éloignée encore plus, avec les conséquences que l'on sait.
Rendre l'Europe plus désirable
Au final, c'est en donnant confiance par plus de parole, de transparence et de respect pour les peurs et les demandes des individus que le “désir d'Europe” aurait pu éclore. Il faut savoir qu'on n'aime aujourd'hui que dans la maîtrise des risques. Mais l'accueil de “l'autre” est parfois moins risqué que la fermeture et le rétrécissement sur soi… Et le désir individuel n'est rien s'il n'est soutenu par le désir conjoint des “offreurs d'Europe”, pour que se mette en place le “passage” où la liberté de soi se conjugue à l'aune de la présence souhaitée de l'autre. La “promotion” déficiente de l'Europe ne révèle-t-elle pas la déficience du “désir d'Europe” par ses acteurs ?