Mais le roi est tout nu ?
«Qu'ils s'agissent de fusion ou d'acquisition, la mutation des entreprises
est en plein essor tout comme les changements de noms qui scellent ces nouveaux
pactes économiques. Mais on peut s'interroger sur les fondements d'une telle
stratégie car changer de nom a un coût et non des moindres : investissements
conséquents pour l'installer, investissements encore plus conséquents pour le
nourrir. Evidemment, si le nom est contre opérant, mieux vaut en changer. Il y
a quelques années, Serge Tchuruk avait choisi de débaptiser CDF Chimie car le
nom Charbonnages de France ne correspondait plus à la réalité de l'entreprise,
et était même un frein pour recruter de jeunes diplômés. Mais doit-on
systématiquement faire fi du passé, considérer que le patrimoine d'une
entreprise est fatalement un boulet à trainer, que la nouveauté est forcément
la panacée dans une société qui a de moins en moins de repères dans cette
course effrénée au CAC 40. A voir le nombre d'entreprises qui ont opté pour
cette démarche radicale, le changement de nom est à la mode : Vivendi avait été
un précurseur inspiré mais que peut-on penser de Thalès, Vivarte, Eulia, Areva,
Arcelor & co ? Si ce n'est que les noms en A ou les consonances latines (car
mondialistes) sont à la mode... Mais qu'est ce que la mode pour une entreprise
sinon le plus grand des pièges. Au XXe siècle, les entreprises s'appelaient
Michelin, Citroën, Saint-Gobain, Lafarge, Usinor, Danone, Procter & Gamble,
Unilever, Club Med... Leurs racines venaient de l'idéal d'un fondateur, d'un
métier, d'une ambition, d'une croyance. Au XXIe siècle, l'idéal ne suffit plus
: internationalisation et concurrence obligent. Mais si la stratégie des
entreprises passe par de nouveaux outils plus marketing, l'enjeu est bien de
les manier avec discernement et non par opportunisme. Et dans ce cadre, nom et
identité même combat. La recherche identitaire doit s'appuyer sur la recherche
d'un concept. Aujour-d'hui, 70 % de la production identitaire se fonde
uniquement sur l'artistique. Pourtant, du fond naît la forme. Orange en est la
preuve : un nom et une identité nés d'un concept stratégique transversal qui au
fil du temps continue à s'imposer. Transilien, en choisissant comme icône la
feuille, revendique l'écologie des transports en Ile-de-France et fait de son
identité un véritable porte-flambeau au sein de l'entreprise. L'identité est un
sujet mal connu car peu pratiqué : c'est un chantier que l'on "vit" une ou deux
fois dans sa carrière professionnelle d'annonceur. Raison de plus pour y passer
du temps, et bien cerner le rôle que doit jouer l'identité, quelle ambition il
faut lui donner, quel territoire elle peut construire. Sinon, un jour, dans
l'entreprise, une voix d'enfant s'écriera comme dans la fable : "mais le roi
est tout nu !" »