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Luxe et tradition : comment réussir sa mutation ? Les approches respectives du vin et du parfum français

Concurrence internationale, nouveaux consommateurs néophytes, complexité de l'offre : le vin français est grosso modo confronté à la même problématique que les parfums français il y a une trentaine d'années. Et si la parfumerie made in France résiste aujourd'hui plutôt bien, voyons comment le monde viticole pourrait s'en inspirer.

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Les rapports alarmistes se succèdent : le vin français s'exporte moins bien. La menace vient moins de nos voisins espagnols ou italiens, encore considérés il y a peu comme les véritables concurrents, incapables de maintenir une qualité aux standards internationaux. Le vrai challenger du vin français se nomme "Le Nouveau Monde", un terme bien désuet pour désigner ses nouveaux concurrents : Australie, Etats-Unis, Chili, Afrique du Sud... Les vins du monde, qui ne pesaient que 3 % des échanges mondiaux en 1988 s'en arrogent aujourd'hui plus de 15 % ! Passons sur la qualité et la législation, un débat que nous laisserons aux oenologues, et concentrons-nous sur le marketing pour constater que les producteurs américains ou australiens sont beaucoup plus agressifs que les hexagonaux. Des marques fortes, soutenues, accessibles, une segmentation claire (par cépage, par met), un graphisme et des codes coloriels modernes... Bref du marketing. Face à cette déferlante, les vins français paraissent faiblement armés. Hormis sur le haut de gamme (soit supérieur à 10 euros la bouteille), les viticulteurs et négociants français sont trop nombreux à proposer des vins à l'apparence valorisante mais à la qualité moyenne. Dans le même temps, les vins du Nouveau Monde grignotent des points. En Angleterre, l'un des principaux débouchés du vin français, ils ont atteint 17 % des volumes en 2001, contre 26 % pour les vins hexagonaux, pourtant majoritaires il y a 20 ans. Avec des marques fortes comme Gallo (USA), qui investit 3 millions d'euros par an en communication (contre 1 million d'euros pour l'ensemble de la région de Bordeaux, dont raffolaient les Anglais) et s'engouffrent dans le segment intermédiaire du marché, inoccupé par nos compatriotes. C'est là une des principales faiblesses des vins français : ne pas considérer suffisamment cette proportion croissante des consommateurs dans le monde recherchant une qualité constante, un choix facile, pour un prix compris entre 5 à 10 euros la bouteille. Or, c'est précisément ce segment "moyen-haut" que les parfumeurs français n'ont pas laissé aux marques étrangères. Si les années 50 et 60 étaient encore liées aux grands de la mode (Christian Dior notamment), Français avant tout, les années 70 ont vu émerger l'osmose entre tendances et parfums, à l'image d'Opium d'YSL, sur le thème de l'Orient. Les années 80 ont consacré l'essor du marché, souvent à l'initiative des Français, tels Drakkar Noir (Lancôme, pour les hommes) ou Anaïs-Anaïs (Cacharel, pour les jeunes, illustrant le prêt à porter démocratisé). Les années 90 ont été celles de la globalisation, enterrant les marques françaises aux valeurs trop faibles ou trop peu internationalisables (Balenciaga, Grès, Balmain), mais confirmant celles aux positionnements modernes et spécifiques (Chanel, Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Dior...). Plusieurs enseignements pourraient inspirer le monde viticole. - Accepter que la croissance du marché provient de cibles aux référents différents. Dans le cas du parfum, les hommes et les jeunes constituent le gros des nouveaux consommateurs, sensibles à un discours plus simple. En vin, les monocépages sont plus faciles à expliquer (et donc pour le consommateur à se réapproprier) que les subtilités entre un St-Estèphe et un Pauillac, pourtant tous deux vins du Médoc. - Accepter de céder aux tendances, ne signifie pas forcément perdre son âme. Si la tendance en vin se porte sur des goûts plus sucrés, plus fruités, pourquoi crier au scandale et non s'engouffrer pour satisfaire la demande ? - Accepter les mécaniques promotionnelles. On peut certes être agacé devant la profusion de coffrets à la Saint-Valentin chez Sephora, il n'en demeure pas moins que le marché du parfum vit au rythme des animations, et que sa croissance lui doit beaucoup. Il est temps que les professionnels du vin l'acceptent, et que "promo" ne soit plus synonyme de désengorgement de stocks. - Accepter la logique de "branding" puissant, en d'autres termes qu'un produit statutaire comme le parfum ou le vin puisse se conjuguer avec des marques fortes et soutenues. Le maintien depuis 10 ans dans le top 10 féminin européen de références telles que Chanel 5, Trésor ou Opium le prouve. Les approches marketing existent donc pour le vin, le savoir-faire viticole aussi.

Jean-Marc Lévy

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