Lier l'intéressement des collaborateurs à la satisfaction de leurs clients
L'idée centrale de cette approche serait qu'un collaborateur financièrement récompensé, pour la qualité de sa gestion de relation client, verrait sa satisfaction augmentée, et cette augmentation le pousserait à mieux conduire cette relation. De leur côté, les clients en tireraient davantage de satisfaction, ce qui les conduirait à plus de fidélité. Ce cercle vertueux optimiserait la profitabilité de l'entreprise, car il serait moins coûteux de fidéliser des clients que de les conquérir. Ainsi, selon ce schéma, le retour sur investissement d'un tel intéressement des salariés serait donc assuré.
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Ce type de mécanisme autour de la motivation, déjà largement répandu en
Amérique du Nord, s'est rapidement développé en France et en Europe, tant au
sein des entreprises que - et la chose peut surprendre - au sein de certaines
administrations ou organismes publics. Ainsi a-t-on vu une telle mesure
inscrite dans un protocole d'accord concernant l'Union des Caisses nationales
de Sécurité sociale en juin dernier. Il faut cependant noter que ce
raisonnement repose sur plusieurs hypothèses. Chacune de ces dernières devrait
attentivement être étudiée par les entreprises qui choisissent de tels
mécanismes d'intéressement (encadré page ci-contre). Nous allons décrire les
différentes étapes de cette démarche, telles qu'elles existent dans beaucoup
d'entreprises et décrypter les pièges qui peuvent s'y glisser.
Présenter clairement la démarche
Dans de nombreuses entreprises, dès lors que l'intéressement concerne une catégorie substantielle des salariés, un accord d'intéressement est discuté avec la représentation du personnel. Celle-ci challenge généralement la validité des “sondages” comme instrument de mesure de la qualité de la relation client. Il faut, dès le départ, pouvoir franchir avec succès cette étape avec la société chargée d'effectuer l'étude de satisfaction. Il s'agit essentiellement d'une question de pédagogie.
Choisir des indicateurs
Il est indispensable de s'assurer que l'indicateur de mesure choisi est directement lié aux actions que peut concrètement mettre en œuvre la catégorie de personnel concernée. Il est donc préférable d'éviter les indicateurs trop généraux du type: la satisfaction “vis-à-vis de la société”. L'indicateur pertinent pour un CEO n'est pas nécessairement celui qui peut s'appliquer à un collaborateur en relation quotidienne avec la clientèle. Il n'est pourtant pas rare d'observer à ce stade plusieurs maladresses dans des accords d'intéressement existants.
Fixer des objectifs
Il s'agit probablement de l'une des phases les plus délicates. En premier lieu, avant de fixer de tels objectifs il est préférable de disposer préalablement de mesures antérieures de la satisfaction client. Ceci permet de bâtir une grille d'intéressement réaliste: éviter de fixer des objectifs inatteignables ou au contraire trop timorés. Un réseau d'assurance mutualiste avait ainsi fixé un barème sans disposer d'un historique et a dû pendant trois années verser le maximum de la prime prévue alors que les scores déclinaient (sans pour autant passer en deçà du seuil de déclenchement maximum de la prime). D'où cette question: faut-il se baser sur un score absolu à atteindre ou sur une marge de progression à réaliser? Les accords fonctionnant bien dans la durée se composent ainsi: à partir d'un certain seuil absolu (60 % de clients satisfaits par exemple) l'intéressement devient possible, néanmoins il n'est effectivement déclenché que si l'on a enregistré une progression significative entre deux vagues de mesure (par exemple passage de 60 à 65 % de clients satisfaits). Il est également souhaitable de fixer plusieurs tranches de progression, chacune d'entre elles donnant lieu à un niveau d'intéressement progressif. Toute progression d'un score de satisfaction étant sujette à un intervalle de confiance (donc à un risque), il est généralement préférable de faire coïncider ce risque avec le montant de la prime consentie, d'où l'intérêt de deux ou trois tranches de progression constituant autant de paliers d'intéressement. C'est ici un point à évaluer avec la société chargée de réaliser l'étude.
Effectuer la mesure
Nous n'entrerons pas dans le détail de ce point, mais nous insisterons simplement sur quelques points délicats. D'où proviennent les fichiers clients? Si l'entreprise ne dispose pas d'une base de données centralisée et si seuls les collaborateurs en relation quotidienne avec la clientèle disposent de cette base, en local, il est possible qu'ils “filtrent” eux-mêmes certains des clients qu'ils doivent transmettre pour que l'étude de satisfaction puisse être réalisée. Par ailleurs, la structure du portefeuille de clientèle a-t-elle évolué entre les deux vagues de mesure? Si tel est le cas, il convient d'être vigilant, car la variation d'un score peut être liée à la modification de la structure du portefeuille, plus qu'à l'évolution de la qualité de la relation client (par exemple dans le cadre d'un changement de positionnement, le lancement d'un nouveau produit attirant de nouveaux types de clients, etc.). (1)
Communiquer
Il est essentiel à ce stade de disposer de toutes les explications de fond sur les raisons de l'évolution des scores de satisfaction, car l'information devient financièrement sensible. Dès lors que la pertinence et le retour sur investissement de l'approche ont bien été évalués, ce type de mécanisme incarne l'aboutissement d'une démarche de mesure de la qualité de la relation client volontariste et produit des effets positifs. En revanche, mal maîtrisé, l'intéressement sur la base de la satisfaction client peut faire naître des doutes profonds chez les collaborateurs. Doutes qui conduiraient à décrédibiliser à la fois la démarche qualité de l'entreprise, mais également la politique globale d'intéressement des salariés. L'enjeu n'est pas mineur. Il est donc souhaitable d'étudier cette démarche suffisamment en amont avec la société chargée d'accompagner l'entreprise dans la mesure de la qualité de la relation client, avant de s'engager sur un accord d'intéressement
Questions clés
Nous remontons ici les étapes du raisonnement, que chacun pourra challenger en pensant à une entreprise ou une activité précise. La fidélité des clients est-elle plus profitable que l'acquisition de nouveaux clients? L'idée très générale selon laquelle il serait davantage profitable de retenir les clients que de les attirer ne va pas de soi. En premier lieu car la profitabilité est une question de valeur, et que l'on ne saurait fidéliser les clients de façon profitable sans tenir compte de leur valeur et de leur potentiel, il n'y a donc pas de règle générale. En second lieu car les différents canaux de promotion qui existent aujourd'hui rendent dans certains secteurs les coûts d'acquisition des clients nettement plus faibles. Un client satisfait est-il un client fidèle? Cette question a largement été étudiée et il clair que la fidélité des clients dépend d'un ensemble de paramètres: des habitudes de consommation propre à chaque individu ou de sa liberté de choix (inertie), de sa satisfaction (dimension fonctionnelle) et du niveau de réalisation que lui apporte la relation (dimension émotionnelle). La satisfaction ne représente donc qu'une partie des mécanismes de fidélité. La satisfaction des clients dépend-elle essentiellement des collaborateurs de l'entreprise? Ici, à nouveau, l'on entendra dire que chaque collaborateur, notamment en front office, est un ambassadeur de son entreprise. Mais la satisfaction des besoins fonctionnels des clients dépend à la fois de composantes relationnelles (le conseil, l'attention, la rapidité, etc.) et des qualités propres au produit ou au service. Il n'est pas rare de voir des indicateurs de satis-faction pris en compte dans les accords d'intéressement en mixant sans distinction des composantes liées aux collaborateurs (la relation) et des décisions corporate (la diversité de l'offre, la qualité des produits, etc.). Le collaborateur n'est qu'un maillon de cette chaîne, et pour en apprécier l'efficacité, l'on doit veiller à choisir l'indicateur qui mesure bien cette portion de la relation client. La rémunération est-elle la cause principale de fidélité des collaborateurs? Comme nous l'avons mentionné pour les clients, les ressorts de la fidélité des collaborateurs sont multiples. Avec l'approche “Voice”, Research International a identifié dix dimensions concourant à la fidélisation des collaborateurs. La rémunération n'est que l'une de ces dimensions et n'occupe pas le premier rang parmi les leviers de la fidélité. Cette hiérarchie est cependant variable, notamment selon les zones géographiques. Elle occupe une position importante en Amérique du Nord, là où elle apparaît plus en retrait en Europe. Ceci explique de toute évidence la prégnance de cette démarche d'intéressement en Amérique du Nord.