Les marques se mettent au vert
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Vive le vert ! Voilà ce qui semble être le mot d'ordre de ce début d'année.
Le respect de l'environnement, longtemps relégué au rang de simple utopie pour
bobos, est enfin devenu une préoccupation partagée par la majorité de la
population. Et l'écologie se présente même comme l'un des thèmes
incontournables de la campagne présidentielle… Le citoyen sensibilisé, c'est au
tour du consommateur d'être convaincu par l'argument écologique. Du moins c'est
ce qu'il déclare. Consommer éthique ou vert ne serait plus l'apanage de
quelques militants mais bel et bien une tendance émergente, si l'on en croit
rapports et articles qui fleurissent sur le sujet. Ainsi, selon une étude
Ethicity parue en novembre dernier, 64,8 % des Français seraient d'accord avec
le fait de privilégier les marques qui ont une véritable éthique, contre 40 %
il y a deux ans. Ils sont même 31 % à déclarer choisir des produits respectueux
de l'environnement, contre la moitié en 2004…
Beaucoup d'entreprises n'ont pas
attendu la généralisation de cette prise de conscience et se sont engagées
depuis un moment en faveur du développement durable, poussées par la
multiplication des réglementations sur le sujet. Que ce soit pour le recyclage
des déchets ou l'emploi de composants chimiques pour les plus récentes. Mais
l'offre de produits et services verts manquait encore. « L'engagement des
marques dans le développement durable n'est pas nouveau, souligne Pierre
Bessede, Dg de RMG Connect. Ce qui a changé, c'est le discours. Auparavant,
l'argument écologique restait l'apanage des campagnes corporate. Aujourd'hui,
il est descendu dans l'argumentaire commercial sur le produit lui-même. Parce
que les consommateurs sont plus sensibilisés, mais aussi parce que les marques
ont désormais des produits qui permettent de répondre à ces standards.
»
Une offre renforcée
Certes, le produit ayant “zéro
impact” sur l'environnement n'existe pas. Mais la démarche d'écoconception,
qui s'intéresse à l'ensemble du cycle de vie d'un article, de sa fabrication au
recyclage, séduit de plus en plus d'entreprises selon l'Ademe, qui conseille de
nombreuses marques intéressées par le concept. Et les ventes de produits sous
éco-label ont augmenté de 300 % en deux ans. « L'offre a vraiment été étoffée,
comme on peut le voir dans l'électroménager, la papeterie ou la peinture,
souligne Nadia Boeglin, responsable écocritères et écoproduits à l'Ademe.
Avant, l'argument vert était un facteur différenciant pour les petites
entreprises ou les challengers. Aujourd'hui, les leaders eux-mêmes mettent en
avant cet aspect-là. »
Dans tous les secteurs en effet, les plus grandes
marques investissent dans la création ou l'expansion de leurs gammes
écologiques. « Le vert est une couleur heureusement contagieuse », note ainsi
Pierre Frisch. Le directeur environnement d'Auchan et président de la
commission environnement de la FCD constate ainsi un engouement de plus en plus
important des consommateurs et des responsables achats en faveur des produits
respectueux de l'environnement. Après l'alimentation qui a, en premier lieu, su
se saisir des arguments bio ou équitables, c'est au tour du textile de
multiplier les initiatives en ce sens. Selon une ONG américaine, Organic
Exchange, ce marché, qui comptait pour 245 millions de dollars en 2001, devrait
ainsi dépasser le milliard en 2006.
En France, La Redoute ou Monoprix ont fait
figure de pionniers dans la distribution en lançant des gammes de vêtements
biologiques et équitables avec succès. Et les fabricants de jeans, dont les
propriétés peu écologiques ont été fortement pointées du doigt, annoncent tour
à tour le lancement de collections bio ou équitables. A l'image de Rica Lewis,
Levi's ou Ober. Mais le phénomène est bien plus large : assurance, automobile,
électroménager, entreprises du bâtiment, énergéticiens, pétroliers… Tous se
lancent dans la bataille du vert.
Car la prise en compte du développement
durable a de nombreux atouts selon Élisabeth Laville, fondatrice et présidente
de l'agence Utopies. « En amont, cela permet de prévenir les crises, de réduire
les coûts et d'innover. En aval, on peut ainsi marquer sa différence, fidéliser
sa clientèle, valoriser sa marque et, enfin, assurer sa performance économique
», énumérait-elle lors d'un atelier sur “Le développement durable est-il
rentable ?” de l'Adetem. Ce que confirme Patrick Widloecher, directeur du
développement durable du groupe La Poste : « Notre démarche nous permet de
dégager un atout concurrentiel, notamment dans le cadre de l'ouverture du
marché postal et d'avoir de meilleurs résultats en termes de réduction des
coûts. Mais c'est aussi un facteur de recettes nouvelles, car nous avons
développé toute une gamme de produits et des services respectueux de
l'environnement. Quand nous avons parlé de la démarche d'éco-conception il y a
quelques années au service marketing, ils nous ont regardés avec des yeux
ronds… Aujourd'hui, nous avons des timbres en algues de Venise, des emballages
en carton recyclés etc. »
Du vert pour le mainstream
Encore faut-il savoir vendre ces produits. Car si l'on semble petit à petit
sortir du marché de niche, l'argument vert est, à de rares exceptions près,
loin d'être le critère d'achat numéro 1. « L'écologie fera vendre à partir du
moment où elle intégrera l'ego du consommateur, c'est-àdire en montrant ce que
le produit lui apporte à lui et non pas seulement à la planète », formule
François Lamotte, directeur associé pôle publicité de l'agence W & Cie. Si la
SNCF, avec le lancement de son éco-comparateur, a clairement montré que le
respect de l'environnement était devenu un élément de choix, la qualité, le
design et le prix restent encore les conditions sine qua non au succès des
produits verts. « Mis à part les militants, l'article vert ne déclenche pas
l'achat. Il fidélise surtout le client qui cherche un bon rapport qualité/prix
», explique ainsi Pierre Frisch. « Nous sommes encore dans le syndrome du
papier recyclé qui bourrait les photocopieuses, renchérit Nadia Boeglin,
responsables éco-critères et écoproduits à l'Ademe. Les marques doivent
toujours rassurer le consommateur sur la qualité, car il existe encore
certaines croyances dépassées selon lesquelles le produit vert est de mauvaise
qualité. »
Cas d'école : Ariel lavage à froid, qui peine à décoller malgré un
bon mix marketing, tout simplement parce que le lavage à froid est considéré,
dans l'esprit collectif, comme peu efficace. De même, l'argument écologique ne
peut se substituer au design d'un produit. Ainsi, H & M, qui insère depuis deux
ans 5 % de coton biologique dans ses gammes bébés et enfants et développe une
gamme baby labellisée par la fleur de l'Union européenne, a réalisé sur son
site internet un petit sondage particulièrement instructif. Selon celui-ci, 52
% de ses clients seraient ainsi prêts à payer plus cher un vêtement avec label,
à condition que son apparence reste la même. Seuls 18 % jugent que le label
écologique est plus important que le prix et l'apparence… Et ces fameux labels
coûtent cher : entre 2 et 5 % du prix du produit, selon Pierre Frisch.
Dans les
sondages, les Français se déclarent certes prêts à payer plus cher pour un
produit responsable : + 25 % pour une crème hydrante ou + 4,5 % pour une
voiture hybride, selon une étude OpinionWay… Pourtant, dans les faits, ils sont
peu nombreux à sacrifier leurs économies sur Février 2007 / n°110 / MARKETING
MAGAZINE35 l'autel de l'écologie. « Quand Peugeot propose des 307 HDI avec
filtres à particules, le taux d'achat de l'équipement, facturé 500 €, est de 10
à 15 % », souligne ainsi Olivier Marquer, responsable produit et communication
marketing France de la marque. Un bon début mais encore insuffisant. Aussi,
quand Yves Rocher a décidé de lancer l'an dernier sa gamme de produits
entièrement éco-conçus “Inositol végétal”, la marque s'est-elle fixé un
objectif : rester accessible en termes de prix. « Il s'agit même du premier
prix de la gamme antirides. Cela reste indispensable, même pour nos clientes
que nous pouvons considérer comme plus sensibles à l'écologie que la moyenne »,
soutient Anne Kayser, la directrice marketing. Résultat : le fabricant de
cosmétiques a écoulé 4 millions d'unités des cinq produits de la gamme.
D'autres marques parient plutôt sur les économies que fait réaliser le produit
en termes de consommation d'énergie. C'est notamment le cas de Lexmark pour qui
c'est l'un des axes essentiels de sa stratégie de marque et de communication.
Philips met aussi en avant la moindre consommation énergétique de ses lampes
basse tension, pourtant plus chères à l'achat. Avec succès : en 2005, la marque
a multiplié par deux le chiffre d'affaires de son “greenflagship” qui compte
désormais pour près de 7 % du CA global, avec 2 milliards d'euros.
Terrain glissant
Mais pour acheter vert, les consommateurs
demandent aussi à être convaincus de la véracité des allégations. Et là, c'est
parfois un véritable casse-tête. Car la multiplication des mentions écologiques
devient pléthorique. « On assiste à une profusion de signes verts où chacun dit
: “moi je” », souligne Delphine Chomette, directrice du développement de W &
Cie. Entre les logos des ONG et des associations écologiques, les éco-labels
européens et nationaux, les logos des distributeurs ou des marques, ceux qui
concernent les emballages et ceux qui s'appliquent à la composition du produit,
difficile de faire la part des choses entre les déclarations fantaisistes et
les mentions sérieuses.
La plupart des marques vont alors se rapprocher
d'associations reconnues pour rassurer le client. « Notre association avec Max
Havelaar a été une évidence, reconnaît ainsi le P-dg de Rica Lewis. Le label
est connu de tous et une auto-déclaration de jean équitable n'aurait pas été
crédible. » Des partenariats qui permettent aussi de se prémunir en partie
contre les attaques des associations écologiques qui observent avec scepticisme
la montée en puissance de l'argument vert dans les stratégies marketing des
grands groupes. « Les publicités sont de plus en plus nombreuses à utiliser
l'argument écologique alors que le produit ne l'est pas, voire pollue. C'est un
discours à la limite de la publicité mensongère. En fait, l'argument vert ne
doit pas être un argument publicitaire, mais une information », s'emporte
Séverine Millet, porteparole de l'Alliance pour la planète, collectif
écologique qui a lancé en décembre une campagne contre le “greenwashing”. Sur
son site internet, 30 publicités concernant l'énergie, les transports, la
maison et autres télécoms sont ainsi dénoncées comme ne respectant pas la
réglementation du BVP en la matière, selon la porte-parole du collectif. Devant
de telles actions, certaines marques préfèrent alors jouer la prudence.
Selon
un rapport conjoint de l'Ademe et de Bio Intelligence service, certains
distributeurs, qui ont pourtant engagé de véritables démarches d'éco-conception
qu'elles considèrent “exemplaires”, tels que Ikea, H & M ou Boots (distributeur
anglais de cosmétiques et de médicaments), préfèrent ne pas communiquer
massivement sur le sujet pour éviter des campagnes négatives d'ONG… D'autres,
comme Nokia, pourtant placée par Greenpeace en tête des entreprises hightech
responsables, communique « uniquement par le biais de (son) site internet,
explique Xavier des Horts, directeur communication de la marque. Aucune mention
verte n'est portée sur le packaging car ce n'est tout simplement pas dans les
besoins actuels des clients. Ce n'est pas encore dans l'argumentaire de vente…
»
Dans l'automobile en revanche, oui ! Peugeot, pour qui l'environnement est
une de ses priorités pour les années à venir, en fait aussi l'argument
principal de sa dernière campagne : « Si l'on a un avantage concurrentiel, on
aurait tort de ne pas le mentionner. Aujourd'hui, une marque qui ne se
positionnerait pas sur ce territoire ne serait pas en phase avec les attentes
de ses clients », justifie ainsi Olivier Marquer. Et si les ONG comme
l'Alliance pour la planète, dénoncent l'emploi “abusif” d'éléments de la nature
dans les campagnes de la marque, Olivier Marquer préfère « faire appel à
l'intelligence du consommateur qui sait faire la part des choses ».
« Certaines
marques comme les lessiviers ou les pétroliers peuvent difficilement tenir un
discours strictement écologique sachant que le produit pollue. Mais si elles
travaillent dans le sens de la protection de l'environnement sur les aspects où
elles peuvent agir, je ne vois pas d'antagonisme au fait de communiquer dessus
», confirme Pierre Bessede (RMG Connect).Toyota l'a bien compris. Gros
fabricant de 4X4 particulièrement gourmands en carburant, la marque a bien joué
en lançant la Prius, devenue le “must have” des stars hollywoodiennes. Un
véhicule un peu plus propre que ses concurrents, mais qui a surtout bénéficié
d'une stratégie de communication exemplaire, selon l'agence W & Cie.
Humour et humilité
« Le marketing mix de Toyota a intégré
l'écologie petit à petit. D'abord, les campagnes ont porté sur les performances
de la voiture par le biais du prix Nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes
que la marque a fait intervenir en tant que conducteur et non en tant que
physicien. Ensuite, elle a adopté un discours sur les générations futures et
enfin sur la préservation de la planète. Cela lui a donné une vraie légitimité
parce que la marque est partie du produit », explique François Lamotte,
directeur associé pôle publicité de l'agence W & Cie. Selon lui, il existe deux
territoires d'expression pour l'écologie : l'un plutôt institutionnel et
corporate, qui peut jouer sur le côté catastrophe ou menace pour la planète, et
celui des marques, qui doit être centré sur les bénéfices apportés à un
consommateur de produits verts, en termes d'écologie mais aussi de design ou
d'économie. Le tout avec une bonne dose d'humilité, de transparence et
d'humour. Une stratégie pour le moment réservée en France aux petits acteurs du
marché bio, notamment aux glaces “Ben & Jerry's”, aux yaourts “Les 2 vaches des
fermiers du bio” ou aux jus de fruits “Innocents”…
Dans les pays scandinaves,
plus mûrs sur le sujet, l'argument est largement utilisé par la grande
distribution. En Suède, le distributeur Coop s'est ainsi fait remarquer avec
des slogans tels que “Coop Konsum a arrêté de vendre des oeufs de poules
élevées en batterie. Prenez sept personnes dans une cage avec vous et vous
comprendrez pourquoi”. Avec une mise en pratique réelle dans les rues de
Stockholm, Gothenburg et Malmö, la campagne a été un vrai succès médiatique et
commercial puisque les ventes d'oeufs ont augmenté. « Le marché de la grande
consommation française, encore un peu jeune, a peut-être besoin d'un
argumentaire pédagogique », nuance toutefois Cécile des Abbayes, consultante au
sein de Bio Intelligence service. Aujourd'hui, le marché vert reste à investir.
Car même si l'offre commence à prendre de l'ampleur et à le faire savoir,
aucune marque n'a encore réussi à préempter ce territoire. Selon l'étude
OpinionWay, 68 % des consommateurs sont encore incapables d'associer une marque
à un engagement environnemental. Les premiers, Max Havelaar et Danone, n'étant
cités que par 5 % des personnes interrogées. Tout un travail de clarification
et de communication reste donc en chantier.
Les petites filiales vertes des grands groupes
Face au succès du marché “vert”, les grandes multinationales ont entrepris depuis quelques années toute une série de rachats de petites entreprises éthiques. En 2000, Unilever s'offre ainsi le glacier Ben & Jerry's… Un an plus tard, Danone entre dans le capital de Stonyfield farm, désormais filiale à part entière du groupe… Et début 2006, c'est L'Oréal qui rachète l'entreprise anglaise de cosmétiques The Body Shop. Des acquisitions “win-win” selon les dirigeants des différentes entreprises, puisqu'elles mixeraient le savoir-faire des grands groupes à l'engagement éthique des petites structures rachetées. Pour autant, ces alliances, que certains consommateurs militants jugent contre nature, inquiètent.
Depuis le passage de The Body Shop sous la coupe de L'Oréal, le guide anglais Ethical consumer a rabaissé sa note (établie en fonction de la responsabilité sociétale de l'entreprise) de 11/20 à 2,5/20… Pour profiter de ce marché juteux sans choquer les consommateurs rétifs au mass marketing, certaines firmes choisissent la discrétion. Depuis février dernier, PepsiCo commercialise ainsi les marques naturelles Fuelosophy et Sun Snacks dans la chaîne de supermarchés américaine Whole Food sans mentionner leur appartenance au groupe ni déployer une campagne publicitaire d'envergure. Une stratégie déjà utilisée, entre autres, par Coca-Cola pour ses jus de fruits Odwalla et Kellogg's pour ses céréales Kashi.
La distribution confirme son engagement
Maillon essentiel du développement des produits verts, la grande distribution dans son ensemble engage aujourd'hui des démarches pro-environnementales. En France, Monoprix a fait figure de pionnier dès les années 90 et propose aujourd'hui 500 références de produits de “développement durable”. Leclerc et Carrefour ont rapidement suivi avec des campagnes choc sur la réduction des sacs de caisse pour le premier et la nécessité du “mieux consommer” pour le second. Au coeur de la stratégie verte des grandes enseignes : les marques distributeurs, telles Auchan bio, Carrefour Agir ou Monoprix vert, qui constituent le coeur d'assortiment d'un produit, comme les cahiers d'Auchan par exemple. Des marques de distributeurs qui bénéficient quelquefois de la caution d'un label institutionnel type NFenvironnement, d'ONG ou d'organisme de commerce équitable, comme Max Havelaar.
À l'étranger, les Migros en Suisse, ou Coop en Suède, font encore figure d'exemple à suivre. En misant sur un assortiment important de produits éthiques ou verts et sur des campagnes drôles et percutantes, les deux enseignes ont fidélisé leur clientèle et assis leur crédibilité et leur différence dans ce secteur fortement concurrentiel. Le géant américain Wal-Mart, attaqué sur le plan social, s'est lui aussi rallié au concept “vert” en s'engageant à développer les produits bio, à réduire les packagings, les déchets et les émissions de CO2.