Le retour de la lenteur ou l'éloge de la petite vitesse...
Et si la fin du "toujours plus vite" était une vraie chance pour réfléchir autrement à la mobilité et aux services ? Ce mois-ci, réflexion sur le transport aérien qui prend peu à peu comme modèle... le paquebot.
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L'histoire des transports pourrait se résumer à une recherche, celle
d'aller toujours plus vite. Au XVIIIe siècle, il fallait dix jours pour relier
Paris à Avignon en malle-poste, aujourd'hui, il suffit de trois heures en TGV.
Il y a soixante-dix ans, il fallait quinze jours en avion pour faire
Londres-Sydney, il suffit aujourd'hui de seize heures de vol. Le fait qu'un
train roule à 350 km/h ne surprend plus personne, alors qu'au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, leur vitesse ne dépassait pas les 130 km/h.
L'historien Christophe Studeny résume bien cette nouvelle situation : « La
vitesse est devenue notre seconde nature. Nous ne concevons plus la vie sans
elle, le temps sans montre, l'espace sans véhicule. » Et rien ne semble devoir
arrêter cette progression vers le "toujours plus de vitesse". Boeing annonce
ainsi vouloir lancer un avion flirtant avec la vitesse de Mach 1, le Sonic
Cruiser (voir photo) en prétextant que demain les voyageurs ne supporteront
plus de faire six heures d'avion entre l'Europe et les Etats-Unis. De leurs
côtés, les Allemands, Japonais et Suisses nous promettent avec leurs projets
Maglev, Transrapid et Swiss Metro, des trains à sustentation magnétique
atteignant les 500 km/h ! Bref, l'avenir semble écrit, sauf que... Sauf
qu'actuellement, cette course à la vitesse trouve ses limites. Limites
sécuritaires et sociologiques dans le secteur automobile. Les 8 000 morts sur
les routes de France chaque année font qu'aujourd'hui, près de 60 % des
Français se déclarent favorables au bridage des moteurs.
Supersonique...
Dans le secteur aérien, les limites
sont tout aussi nombreuses, notamment sur le plan financier et commercial, la
vitesse n'étant pas toujours synonyme de rentabilité, comme le prouvent les
questions sur l'intérêt de construire un successeur au Concorde. « Combien de
personnes ont-elles besoin de franchir l'Atlantique en 3 h 30 ? », se demandent
de nombreux experts. S'ajoute à cela le fait que si Concorde fait "gagner du
temps" dans le sens est-ouest en annulant le décalage horaire, il l'accentue en
sens inverse. Boeing ne rencontre actuellement que peu d'échos du côté des
compagnies aériennes pour son projet de Sonic Cruiser. Le seul avionneur à
tenir un discours offensif sur la vitesse supersonique est Dassault, qui
prévoit de lancer, d'ici dix ans, un petit avion d'affaires supersonique, mais
nous sommes là loin du voyage de masse.
...ou paquebots volants ?
Mais ces limites au toujours plus vite sont-elles de mauvaises
nouvelles ? Pas forcément, car on voit apparaître de nouvelles logiques de
réflexion. Ainsi, pour Airbus, l'enjeu n'est pas d'aller plus vite, mais de
voyager mieux. Avec son gros porteur A 380 (voir photo), l'avionneur européen a
clairement fait le choix du service en vol, plutôt que de la vitesse. Les
équipes d'Airbus réfléchissent à de nouveaux services, tels que coiffeur, salle
de sport, espace enfants, corners de vent... Même si, dans la réalité, peu de
ces services ont des chances de voir le jour, tant les compagnies aériennes
prêtes à mettre en place de tels projets sont rares, cette réflexion est bien
la preuve qu'en termes de transport, nous sommes en train de changer d'ère. «
Avec l'A 380, on retrouve la même problématique que celle des paquebots au
début du siècle. Tout le souci des compagnies maritimes, à l'époque, était
d'occuper leurs passagers pendant les sept jours de traversée », explique ainsi
depuis quelques années Philippe Jarry, directeur marketing d'Airbus. Qui aurait
pu imaginer, il y a encore dix ans, que les industriels du transport le plus
rapide, l'avion, allaient prendre comme modèle pour leurs réflexions le mode de
transport le plus lent, le paquebot ? Il y a là un changement de paradigme
culturel qui indique bien que la promesse vitesse ne suffit plus. Et que la
course à la vitesse aurait même eu plutôt tendance à appauvrir toutes les
réflexions concernant les services et le confort.
Le retour du dirigeable, certitude ou éventualité ?
Face à cette mutation dans
la façon de réfléchir aux transports, on peut aujourd'hui aller plus loin, et
se demander si tout comme le paquebot est redevenu moderne grâce aux
croisières, demain nous n'allons pas assister à la renaissance du dirigeable.
Un dirigeable qui ne viendrait évidemment pas concurrencer l'avion, mais qui
ouvrirait de nouveaux segments de développement, notamment sur le plan
touristique en proposant aux vacanciers de voyager autrement, et plus
lentement. « Les gens en ont assez d'être stressés, et nombreux sont ceux qui
aspirent à une certaine lenteur », constate ainsi le journaliste et grand
voyageur Claude Villers, qui fait même le pari que si une compagnie relançait
les dirigeables, il y aurait une clientèle pour ce type de transport. «
Imaginez de faire un Paris-Barcelone en survolant la France à 1 000 mètres
d'altitude. Le bonheur ! » Un rêve qui paraît de moins en moins inaccessible
devant les nombreux projets qui sortent des cartons de plusieurs constructeurs
allemands, américains et britanniques. Parmi ceux-ci, on peut retenir le SkyCat
(voir photo). Conçu par la société britannique ATG, il est capable de devenir
un véritable paquebot volant de 185 mètres de long. Demain, nous partirons
peut-être à son bord faire une croisière au-dessus du désert africain ou en
Sibérie.