Le marketing B to B sort de l'ombre
Souvent considéré comme un parent pauvre du marketing, le B to B se libère de ses complexes et gagne en maturité. Preuve de cette mutation? Le succès de SFR Business Team avec sa campagne «Lambert et son patron». C'est la première fois qu'une campagne s'adressant à une cible professionnelle obtient le grand prix Effie de l'efficacité publicitaire. Grâce à ces spots télé accompagnés d'un dispositif digital signé FullSIX, la marque a gagné tant en notoriété spontanée qu'assistée. Pour s'imposer face à Orange, archi-leader sur le marché des entreprises et des PME, la branche business de SFR a placé la barre haut.
La frontière entre le marketing B to B et le marketing B to C s'estompe, le premier emprunte avec succès les recettes du second car leurs cibles - smartphones et tablettes obligent - mêlent de plus en plus vie privée et vie professionnelle. « Avec la multiplication des supports, le marché devient plus accessible. Il était autrefois très difficile de performer en B to B. Aujourd'hui, les agences acceptent d'accompagner les marques, le Web facilite le ciblage et il est aisé de louer un fichier d'adresses de dirigeants de TPE-PME. Bref, ce type de marketing se démocratise », explique Richard Volodarski, responsable marketing opérationnel de l'agence web Linkeo.
Les mêmes mécaniques éprouvées que pour le grand public
Traditionnellement, le marketing B to B restait cantonné à un univers strictement professionnel, à l'image de Xerox qui organise des événements clients tout au long de l'année (présentation de l'offre), participe au club de l'Adetem (réseau associatif des professionnels du marketing), et communique au travers d'une agence de presse vers la presse spécialisée. Mais, aujourd'hui, le marketing B to B s'expose au grand jour. Signe des temps, Xerox organise dans la presse généraliste des campagnes de publicité cobrandées, faisant intervenir d'autres marques, comme Michelin par exemple. «Nous devons faire interagir les canaux pour que nos actions aient un véritable impact », explique Marc Caillot, directeur marketing produit Xerox France.
Dans la foulée, les mécaniques éprouvées du B to C gagnent du terrain. «Dans l'environnement actuel, marqué par les nouvelles technologies et aujourd'hui par la crise, la frontière avec le BtoC est en train de s 'effriter», confirme Jérôme Guilmain, directeur du marketing et de la stratégie de Kompass International. D'ailleurs, Kompass, qui avait pour habitude de communiquer en tant que «leader de l'information B to B», a abandonné cette mention. En octobre 2011, la société communiquait sur France 2 juste avant le 20 heures - 10 secondes aux alentours de 19 h 50 - pour capter l'attention de ses clients dirigeants d'entreprise pendant qu'ils sont en famille. Et ça marche! Le site web a gagné 15 % d'audience. « Tous mes commerciaux en province m 'ont dit que leurs clients leur parlaient de la campagne », se réjouit Géraldine Mirabaud, directrice de la communication de Kompass. Explication: l'époque où la journée de travail était clairement dissociée du temps consacré à la vie personnelle est révolue. Le 8 h-18 h, c'est fini! Les professionnels quittent leur bureau avec leur ordinateur portable sous le bras ou consultent leurs e-mails professionnels sur leur tablette à domicile. C'est tellement vrai que Google ne fait pas de différence entre le B to B et le B to C.
Si les campagnes qui mixent médias grand public et digital sont encore rares, c'est que leur budget est important. En revanche, des stratégies créées de toutes pièces par les marques pour servir leur communication sont dupliquées à l'identique sur des supports plus accessibles - plateformes internet, radio web... « Les marques business, souvent commercialisées par des réseaux d'intermédiaires, ont besoin de créer et de diffuser des contenus qui amèneront prospects et intermédiaires à entrer en relation », explique Philippe Masseau, directeur général de Verbe, l'agence de stratégies de contenus de Publicis Consultants. Du «brand content» version pro.
C'est ce que Verbe a créé pour le réseau Caisse d'Epargne avec le média dédié: «Décideurs en région». De quoi s'agit-il? D'un site web magazine régionalisé signé Caisse d'Epargne qui diffuse des informations sur les performances économiques de la région et sur ses acteurs, privés et institutionnels. « Dans ces échanges pros, on travaille la légitimité de la marque via les services qu'elle fournit aux entreprises. Elle devient elle-même un média, qui diffuse des contenus sur l'environnement professionnels », ajoute Philippe Masseau. Sur son site web magazine, la Caisse d'Epargne prend la parole pour s'adresser aux dirigeants d'entreprises et aux associations dans une logique d'intérêt collectif, plus que pour recruter des clients, tâche réservée aux conseillers dans les agences. IBM, poids lourd du secteur B to B suit la même logique citoyenne (voir encadré).
Si le marketing B to B change de visage, c'est aussi parce que le digital permet d'aller encore plus loin dans le marketing direct. Il favorise le recrutement de nouveaux contacts. Ainsi, explique François Laxalt, responsable innovation de Neolane, «chaque fois qu'un internaute télécharge un de nos livres blancs, cela qualifie son intérêt pour un sujet. Or, en couplant cette information avec la structure hiérarchique de l'entreprise présente dans notre base de données, nous pouvons automatiser l'envoi d'un e-mailing à son supérieur hiérarchique, et capter ainsi l'attention du décideur». Un vrai coup de pouce pour améliorer l'efficacité du marketing!
La campagne «Lambert et son patron», de SFR Business Team, applique à une cible professionnelle les mécaniques du marketing B to C.
DHL Express mixe mass media et digital
«Les spécialistes de l'international» est la plus grande campagne de publicité organisée à l'échelle mondiale par le groupe postal américain. Elle vise à transmettre le message de DHL promettant une vitesse et une efficacité sans égales, ainsi qu'un service client d'excellente qualité.
« Cette campagne a plusieurs objectifs. Elle doit nous aider à renforcer notre notoriété, à asseoir notre position de leader sur le marché grâce aux spots télé. Elle sert également à conquérir des parts de marché avec un focus produits-services sur la partie web, radio, print et affichage pour positionner DHL Express en tant que partenaire privilégié des petites et moyennes entreprises sur les différents segments de marché: high-tech, automotive, fashion, pharmacie et banques », indique Cécile Lanilis, responsable marketing DHL Express en France. Le bilan du plan média est impressionnant: les spots télé enregistrent 239 millions de contacts (un taux de couverture bien supérieur aux objectifs fixés), la radio 42 millions. La bâche sur le périphérique parisien a été vue par 6 750 000 contacts. Les diffusions à bord des avions Air France ont été vues par quelque 1,6 million de passagers chaque mois, pendant trois mois. Une enquête mystère permet par ailleurs de mesurer dans sa globalité le travail fourni par les équipes marketing de DHL. Car la campagne fait partie d'un dispositif plus vaste: « Nous travaillons la proximité, notamment via un programme de cocooning proposé à nos nouveaux clients TPE-PME et des invitations à des événements marquants (fashion-week, Coupe du monde de rugby) pour les grands comptes », précise Cécile Lanilis. Résultat, en 2011, en France, DHL a gagné un point de part de marché par rapport à 2010...
«Les canaux de distribution doivent se compléter»
3 questions à ... Pierre Delaurent, président de la commission fichiers au SNCD (Syndicat national de la communication directe)
Marketing Magazine: En quoi le marketing B to B se rapproche-t-il du marketing B to C?
Pierre Delaurent: Les cibles sont traitées de façon équivalente. Au bout de la chaîne, il y a toujours un être humain qui décide. Le multicanal total s'ancre dans les habitudes mais n'est pas encore bien maîtrisé.
Quid de la cannibalisation des canaux entre eux?
Les canaux de distribution des informations et des offres ne se cannibalisent pas mais se complètent si le marketeur en charge des campagnes sait utiliser un outil de gestion à bon escient et s'il a conscience des points forts des différents canaux comme de leur durée de vie.
Quels rôles pour les réseaux sociaux et le marketing mobile en B to B?
Les réseaux sociaux ne sont qu'une brique supplémentaire dans les canaux de distribution des offres.
Multiplier ces canaux n'est utile que pour pousser de l'information disponible également par d'autres biais (site, newsletter, e-mailing). Le mobile devient un média à part entière si on le considère comme une fenêtre ouverte sur le Web, qui réduit encore la frontière entre domaines privé et personnel. Le canal SMS-MMS doit être utilisé avec beaucoup de prudence. Le mobile est devenu une excroissance de notre «moi» et une intrusion des marques dans cet univers peu rationnel sans qu'elles y soient très explicitement invitées peut être mal vécue.
Kompass a adapté sa stratégie de communication pour toucher ses clients, y compris quand ils sont en famille.
Philippe Masseau, (Verbe): « Les marques business ont besoin de créer et de diffuser des contenus qui amèneront prospects et intermédiaires à entrer en relation. »
Des cibles plus accessibles avec le digital
Mieux, la cible des TPE-PME, longtemps convoitée, est désormais plus accessible grâce à Internet. «Le digital ouvre grand la voie de la concurrence en offrant à des sites éditeurs la possibilité de cibler les TPE-PME via des supports dédiés », confirme Richard Volodarski. Ainsi, PagesJaunes a ouvert son business center, une plateforme web qui permet aux entreprises d'interagir et de comparer leur audience, de mettre leur profil à jour, compléter leurs informations commerciales, modifier le contenu de leur site, etc. Un pack de services en ligne qui permet à l'annonceur de recruter puis de fidéliser les entreprises.
En B to B, le contenu fait recette, ce n'est pas nouveau, mais avec le Web, le phénomène prend de l'ampleur, grâce à la possibilité de mettre en ligne des témoignages, des rendez-vous professionnels... Ces échanges sont fondamentaux. «Il ne faut pas oublier que dans nos métiers le temps d'acquisition d'un client est plus lent qu'en B to C C'est pourquoi nous expliquons la solution, nous formons, nous partageons notre expertise», témoigne Vincent Fournout, directeur associé de Message Business. L'accompagnement avant-vente est souvent la règle. «Les entreprises ayant des offres larges et complexes, les séminaires et testimoniaux clients séduisent. Il faut faire du one-to-one au travers de clubs clients ou de rendez-vous privilégiés », conseille, de son côté, Mathieu Gabai, directeur associé de l'agence conseil en marketing B to B Quatre Vents. Ce que fait Message Business, éditeur de solutions e-mailing, en produisant quatre livres blancs par an et en profitant de leur publication pour créer des événements et aller à la rencontre de ses clients.
Autre levier utilisé par les acteurs du B to B: les médias sociaux. Blogs, forums, réseaux sociaux, tous ces outils permettent aux professionnels de faire-valoir leur expertise. Les entreprises créent leur profil sur Facebook, leurs cadres et dirigeants échangent sur LinkedIn et Viadeo. «La digitalisation et le webmarketing ouvrent un spectre de possibilités infini au marketeur comme à l'utilisateur», insiste Jérôme Guilmain.
De nouvelles perspectives s'ouvrent donc pour le marketing B to B. Une analyse que partage Luc Meyer, fondateur de l'agence Shortlinks: «Alors que les marques développent des stratégies 360° pour leur communication B to C, elles ont trop souvent le réflexe de recourir à des outils basiques pour travailler leurs cibles B to B. Il faut aujourd'hui autant de créativité dans un dispositif de vente que dans un dispositif de communication. Interactivité, entertainment, buzz... sont des leviers qui doivent exister dans la réflexion sur les communications interne et B to B, car ce sont souvent de vrais leviers d'efficacité. » Efficacité: cette obsession-là est valable aussi bien en B to B qu'en B to C.
François Laxalt, (Neolane) : « Nos process nous permettent de capter l'attention des décideurs d'une entreprise. »
Mathieu Gabai, (Quatre Vents): « Il faut faire du one-to-one au travers de clubs clients ou de rendez-vous privilégiés. »
Didier Barbé (IBM France): « Nous sommes désormais dans une démarche de cocréation avec nos clients. »
IBM: Du B to B au E to E
S'il y a une entreprise qui a bien compris l'importance d'un marketing B to B qui tienne compte du monde connecté dans lequel évoluent les entreprises, c'est bien IBM. Big Blue a pris le tournant voici quelques années déjà avec le lancement, sous l'impulsion de Sam Palmisano, ex-CEO d'IBM, de la fameuse campagne internationale «Smarter Planet» («Une planète plus intelligente»).
« C'est un discours citoyen qui permet de rendre l'innovation, notamment technologique, plus compréhensible », explique Didier Barbé, vice-président marketing, communication et relations extérieures d'IBM France. Avant, pour schématiser, les entreprises poussaient leurs offres sur différents canaux vers leurs clients (industriels, entreprises de service, collectivités locales, PME et TPE...). « Aujourd'hui, nous sommes dans une démarche de cocréation avec nos clients, explique Didier Barbé. Nous avons une nouvelle approche avec nos partenaires, nous communiquons d'écosystème à écosystème. Ce que j'appelle non pas du B to B mais du «E to E». Une stratégie illustrée par les workshops que nous organisons pour des villes, des communautés urbaines qui veulent réfléchir sur l'innovation et l'intelligence au service du citoyen. Nous mobilisons nos experts sur une problématique définie par les communautés urbaines, et, en face, nous avons tous les partenaires et l'écosystème des villes, comme à Bordeaux ou Nice par exemple, pour avancer sur ces projets. C'est ce qui nous permet de créer de nouveaux marchés. » R. E.