Le marché affiche ses ambitions
Pas encore de réelles synergies commerciales à l'horizon mais les mariages intergroupes commencent à donner naissance à des produits communs. Des produits destinés à tirer le marché vers le haut.
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Quand l'affichage s'affiche. En janvier prochain, les trois grands du média
vont être les acteurs d'une campagne de publicité nationale, signée Alice et
dédiée à la publicité extérieure. Un événement dans le monde de l'affichage,
dans le sens où la dernière campagne collective organisée sur ce thème remonte
à plusieurs années. Depuis, la communication institutionnelle se concentrait
notamment autour des Journées de l'Affichage. « L'objectif est de montrer la
vraie pertinence de notre mass-média par rapport à la fragmentation du média
leader qu'est la télévision ou encore des nouveaux outils comme Internet »,
avance Jean-Charles Decaux, directeur général du groupe JCDecaux et P-dg
d'Avenir qui revendique la paternité de cette idée de campagne. Si l'affichage
français peut revendiquer une des parts de marché les plus élevées au monde
avec 12,5 %, il n'empêche qu'il a terminé l'année 1999 à la traîne des autres
médias. Selon Sécodip, ses investissements publicitaires ont, en effet,
progressé de 6 % contre 14 % pour la télévision et 17 % pour la radio. « Il
faut remettre l'affichage dans le top of mind et c'est plus facile de le faire
maintenant car, en étant concentré sur trois acteurs, on est plus "punchy" »,
commente Michel Cacouault, président de Giraudy.
Des organisations distinctes
Cette campagne scellera en quelque sorte le début de la
nouvelle ère de l'affichage, 18 mois après la vague déferlante de rachats et
fusions en chaîne. « Les annonceurs sont dans une période d'interrogation face
à ces nouveaux acteurs mondiaux qui sont maintenant multisupport, déclare
Albert Asseraf, directeur du département affichage chez Carat Expert. Se posent
différentes questions comme celles de savoir si on verra se créer des réseaux
mixtes et quelles en seront les performances sur les campagnes à venir, ou
encore si la stratégie sera de raisonner mondialement ou de travailler dans
chaque pays avec des opérateurs différents. » Il faut dire que l'absorption de
sociétés, et donc de nouveaux produits, n'a pas été dans le sens de la
clarification d'une offre déjà complexe. « Nous avons réorganisé notre gamme
2001 pour la rendre plus lisible en y parlant plus de produits que de sociétés
car, même pour nos clients, c'était devenu difficile à comprendre », reconnaît
Florence Bureau, directrice du marketing de Dauphin Affichage. Le site Internet
lancé par l'afficheur ce 10 octobre a également été conçu dans ce sens. Plus
largement, l'état des lieux actuels montre un paysage encore contrasté, la
bande des trois affichant des organisations internes différentes. Chez
JCDecaux, le mot d'ordre est « synergie oui, mutualisation oui, fusion non »,
dixit Jean-Charles Decaux. Les synergies jouent à plein pour tout ce qui relève
des structures d'exploitation et des rapports entre les marques et les
collectivités locales et les bailleurs privés. « En revanche, nous avons choisi
de conserver des directions commerciales et patrimoine propres à Avenir comme
au transport JCDecaux », précise Jean-Charles Decaux. On notera toutefois qu'un
"comité stratégique" coordonne les discours commerciaux et les différentes
forces de vente des sociétés du groupe. Chez Dauphin Affichage, grand format et
mobilier urbain collaborent pour tout ce qui est recherche et développement ou
encore gestion des appels d'offres. L'aspect marketing produit est, en
revanche, du domaine réservé de chacun car « il faut garder une certaine
émulation commerciale », estime Vincent Piot, directeur général de Dauphin
mobilier urbain. « Nous nous situons dans un cas de figure différent de la
concurrence dans le sens où l'affichage et le mobilier urbain sont deux
sociétés de poids différent, ajoute Claude Duval, dg de Dauphin affichage. Il y
d'un côté un gros vaisseau et de l'autre une vedette rapide. »
Pas encore d'offres verticales
Une chose est claire, pour l'instant,
dans aucun des groupes l'heure n'est au package commercial entre les réseaux. «
Les méthodes de commercialisation ne sont pas les mêmes, il y a davantage de
négociations commerciales dans l'affichage que dans le mobilier urbain »,
relève Claude Duval. « Nous n'avons pas de produits mixés, mais une offre
globalisée », ajoute Jean-Charles Decaux. Jouer la synergie commerciale vaut
surtout dans un cadre de propositions d'offre nationale. Or, comme le rappelle
Albert Asseraf, l'affichage demeure à 55 % un média local, voire pour le seul
grand format à près de 70 % de vente locale. Se pose également la question de
la mesure d'audience qui ne concerne pas jusqu'à présent le mobilier urbain et
qui est un des sujets épineux dans le cadre de la réforme en cours
d'Affimétrie. « Le mobilier urbain doit et souhaite rentrer dans Affimétrie »,
déclare Jean-Charles Decaux . Et d'ajouter, « c'était jusqu'à présent une caste
dans laquelle on ne voulait pas que JCDecaux rentre ».
Accélération de la montée en gamme du grand format
L'essentiel de la bataille que mène chacun des groupes aujourd'hui se porte en
grande partie sur le front des nouveautés qualitatives à apporter aux produits,
en général, et au grand format, en particulier. Une stratégie d'attaque qui ne
date certes pas de la nouvelle configuration du champ de bataille, mais qui
redouble d'intensité depuis. Le mobilier urbain est moins concerné dans le sens
où il a, dans ce domaine, une nette longueur d'avance. Comme le résume Vincent
Piot, « le mobilier urbain est déjà un support qualitatif dont le développement
ira vers encore plus d'esthétisme. Pour ce qui nous concerne, l'appartenance à
Clear Channel nous a permis d'être à la hauteur de la concurrence, en termes de
recherche et développement ». Chez JCDecaux, la tactique est claire : «
apporter au grand format ce que nous avons apporté au mobilier urbain en termes
de qualité et de valeur ajoutée car il n'y a pas dans ce domaine de distinction
à faire entre les villes et le domaine privé », affirme Jean-Charles Decaux.
Avec son offre "Vitrine", des panneaux déroulants éclairés de 12 m2 lancés par
Avenir en juin dernier, le groupe a tiré la première salve. Les 150 cadres déjà
installés devraient être portés à 800 en fin d'année et l'objectif est d'en
installer 1 000 par an sur les cinq prochaines années. Ce programme intégrera
en partie des "Vitrines" de 8 m2, actuellement au nombre de 350 en France. La
réponse de Dauphin ne se sera pas faite attendre longtemps. La société du
groupe Clear Channel lance à son tout "Ecran", nom de baptême de panneaux
déroulants désignés par le Français Vladimir Wauquiez. Egalement vitrés et
rétro-éclairés, ils sont pour leur part déclinés dans un format de 8 m2. « A
notre avis, c'est un format qui s'intègre mieux au centre des villes », affirme
Florence Bureau. Quelques "Ecrans" fonctionnent déjà en test à Paris, mais le
véritable démarrage prendra effet en janvier avec l'installation de 600
panneaux. « Nous avons programmé 3 000 implantations en trois ans pour
l'ensemble du groupe », précise Claude Duval. Quant à Giraudy, il présentait au
printemps dernier, le prototype de son nouveau déroulant de 8 et 12 m2 dont les
premiers exemplaires ont déjà été implantés dans quelques métropoles
régionales. Une répartition plus globale est attendue pour la fin de l'année.
Ce nouveau coup d'accélérateur donné à la montée en gamme du grand format, est
la suite logique de l'optimisation du marketing de l'offre entamée déjà depuis
quelques années autour des critères de visibilité, isolement, éclairage et
esthétique des panneaux. Cette optimisation du parc par une nouvelle génération
de mobilier déroulant permet à la fois aux afficheurs de pallier la
dédensification tout en s'intégrant mieux dans l'environnement. C'est également
pour eux le moyen de marquer des points supplémentaires auprès des secteurs
traditionnels convaincus au mix-média affichage-télévision, mais aussi de
gagner des parts de marché auprès des nouveaux secteurs émergents, demandeurs
de produits haut de gamme, comme le luxe ou les nouvelles technologies.
Concernant ces derniers, on notera, au passage, que chacun dispose désormais
dans son portefeuille traditionnel de produits d'appel spécifiquement dédiés
aux dotcoms. Le luxe a, pour sa part, déjà montré ses bonnes intentions envers
le 4 x 3 en augmentant de 70 % en quatre ans ses investissements en direction
de ce format. Et ce, au détriment du mobilier urbain, son réseau historique de
prédilection. Il faut dire que l'arrivée de produits comme les "Vitrines" ou
les "Ecrans", que d'ailleurs en interne, chez Dauphin, on appelle plus
volontiers mobilier que panneaux, ou encore l'émergence de la technologie
Plasma peuvent poser question sur l'évolution à venir du mobilier urbain. Si
l'on écoute le discours officiel, cette question ne se pose pas. « Le mobilier
urbain gardera sa vocation qui est de pénétrer le coeur des villes ce que le
grand format n'aura jamais vocation à faire », réplique Jean-Charles Decaux. «
On est encore très loin d'avoir complètement rejoint la qualité du mobilier
urbain et l'affichage gardera sa spécificité d'implantation axée sur le fait de
capter toutes les zones de mobilité des individus », ajoute Florence Bureau. Il
n'empêche qu'une marque comme Kindy, par exemple, fidèle au mobilier urbain de
JCDecaux depuis près de 20 ans se pose la question d'un retour au 4 x 3. « Ce
que j'aime dans les Abribus, c'est la proximité voire l'affectivité qu'il crée
entre la marque et les consommateurs, indique Joël Pétillon, président du
directoire du groupe textile. En revanche, l'inconvénient est qu'il offre une
surface très limitée pour s'exprimer ». Mais ce dernier reconnaît toutefois ne
pas être dupe de nouveautés comme les panneaux déroulants « qui ont d'abord
pour objectif d'optimiser des réseaux qui ne sont pas extensibles ». Chez
Carat Expert, on soulève, par ailleurs, le problème de la mesure de
l'éventuelle perte d'audience que ces panneaux à trois faces impliquent. « Nous
avons mené la première et pour le moment l'unique étude sur le sujet, et on
observe que le déficit d'ODV (occasions de voir) varie de 0 % quand le réseau
est fixe à plusieurs fois 10 % quand il est totalement déroulant, ce qui plus
que significatif », observe Albert Asseraf. « S'il y a perte d'audience, il y a
en même temps gain d'impact et moins de brouillage que dans le cadre de trois
affiches implantées en même temps », rétorque Florence Bureau tandis que Claude
Duval ajoute « tous ces panneaux déroulants sont éclairés ; on récupère là de
l'audience en plus ». « Les trivisions comme les panneaux déroulants sont
toujours installés dans des endroits stratégiques où il y a des arrêts obligés
», précise, pour sa part, Michel Cacouault. Côté annonceurs, Alain Raoult,
directeur des médias du groupe Nestlé, se veut plutôt positif. « Tout ce qui
concoure à la qualité des produits d'affichage, esthétisme des panneaux,
qualité des emplacements, éclairage, va dans le bon sens pour nos marques,
estime-t-il. S'il y a déperdition d'audience, il y a également animation et il
vaut mieux se partager à trois un excellent emplacement que de ne pas l'avoir
du tout. » On peut également se poser la question de l'immanquable répercussion
qu'auront ces investissements très lourds sur les tarifs proposés aux
annonceurs. La montée en gamme des réseaux supposent en effet des
investissements conséquents . En année 1, le groupe Decaux aura ainsi investi
quelque 147 millions de francs pour l'implantation de "Vitrine". Ensuite,
jusqu'en 2004, 120 à 140 millions de francs seront déboursés chaque année. «
L'affichage est un média peu cher, qui a un coût au mille extrêmement bas. Cela
nous donne une marge d'augmentation qui reste raisonnable », répond fort
diplomatiquement Michel Cacouault. Il n'empêche que cette course en avant vers
des produits haut de gamme et de plus en plus ciblés est loin de se ralentir. «
Nous travaillons beaucoup sur le time sharing et également sur tout ce qui est
connexion directe électronique centralisée qui puisse permettre de vendre un
espace différent, à des heures différentes », poursuit Michel Cacouault. Cette
idée de passage d'une logique de partage de l'espace à une logique de partage
du temps intéresse également Albert Asseraf. « L'affichage multiple ouvre
effectivement des portes créatives qui étaient jusqu'alors fermées, dit-il.
L'idée de séquence temporelle découpée selon les moments de la journée, par
exemple, peut attirer des catégories d'annonceurs qui trouvent lourdes les
campagnes de 7 jours. » Le réseau Temps Libre, lancé par Avenir il y a quelques
années sur le périphérique parisien, participait de ce principe de découpage. «
On peut le faire, mais uniquement dans des zones très précises, avance Claude
Duval. Mais il n'est pas évident que l'affichage dont la force est d'être un
média de masse ait intérêt à aller vers un trop grand ciblage. » Dans le futur
de l'affichage se profile également le spectre des télévisions numériques
hertziennes qui engendrerait la naissance de chaînes locales et régionales. «
Les afficheurs ont maintenu leurs parts de marché depuis des années et ce avec
de moins en moins de panneaux, ce qui est plutôt une belle performance, analyse
Albert Asseraf. Ils se sortiront également de cette éventuelle concurrence car
il y a, en France, une vraie culture de l'affichage. » Il n'empêche que les
groupes ont déjà logiquement pris cette éventualité en compte. « On s'y
prépare, on sera attentif à cette donnée dans notre argumentaire commercial,
mais nous aurons toujours l'avantage de la rue où l'on ne peut ni zapper ni
tourner la page », s'enflamme Jean-Charles Decaux. « La télévision fera de
l'image, nous, on continuera de créer du trafic vers les zones de chalandise,
prédit Vincent Piot. Et là oui, on développera des offres complémentaires entre
le grand format et le mobilier urbain. »