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Le goût : un baiser que se donne la bouche

Pour cette rentrée, Marketing Magazine vous convie à une balade prospective inhabituelle. Hors des argumentations cartésiennes et des schémas linéaires. Un peu comme au billard français, pour que l'inspiration surgisse au fil d'effets de bande. Avec une chercheuse qui travaille à repenser le corps, avec les travaux de l'Ocha (Observatoire Cidil de l'harmonie alimentaire), avec des grands spécialistes de l'alimentation. Pour tenter de discerner la manière dont nous mangerons demain. En alimentaire faut-il privilégier la santé, le plaisir, les sensations, la sécurité, la gastronomie, l'énergie ? Les vieux modèles se sont effondrés. Mais, grâce au travail des professionnels de certains secteurs et notamment le laitier, et de chercheurs en sciences, ce qui apparaissait contradictoire est en voie de réconciliation. Le manger bien et le bien manger pourront ne plus faire qu'un. Enfin !

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L'image du corps est l'image que nous formons dans notre esprit de notre propre corps. Cette image du corps est inséparable de notre être au monde, de nos perceptions directes et indirectes, de nous-mêmes et de tout ce qui nous entoure. L'image du corps est tout aussi inséparable de l'amour que nous nous portons, et que nous portons aux autres, ainsi que des relations que nous entretenons avec nos semblables. Tout ce qui altère notre image du corps nous altère et nous touche au coeur. Bien que chacun ait un corps, la perception que nous en avons, les modalités de cette perception, les conclusions que l'on peut en tirer sont l'objet d'empoignades séculaires. L'image du corps est-ce simplement ce que nous percevons de notre propre corps ? Ou est-ce une reconstruction mentale, d'ordre imaginaire, l'image du corps serait-elle d'ordre symbolique ? « Et le sexe dans tout cela ? », s'interroge Gérard Apfeldorfer dans "Je mange donc je suis"** . Et c'est une évidence que nourriture et sexualité ont toujours été intimement liées. En 1994, à partir de l'interrogation "Montre-moi comment tu manges, je te dirai comment tu aimes"***, l'Ifop a réalisé une étude sur les comportements alimentaires et érotiques et sur les liens unissant ces deux mondes. Les 35/50 ans sont les plus convaincus de la justesse de ce test gastro-érotique et les artisans et les commerçants sont ceux qui ont montré le plus de curiosité et de créativité dans ce domaine. L'état amoureux augmente l'appétit de 39 % des personnes interrogées. Et plus surprenant, à la question "Est-il plus facile d'éduquer le goût ou l'érotisme ?", l'éducation du goût l'emporte haut la main. Mais aujourd'hui dans les études de comportement, le gastronome en quête de jouissance a fait place au "gastrolastress".

Etre en forme physiquement et moralement


« En inventant ce mot, nous souhaitions exprimer trois idées, expliquent le socio-anthropologue Jean-Pierre Corbeau et le professeur de sociologie Jean-Pierre Poulain****. D'abord celle de gastrolâtrie : individualisme mêlé à un refus de ritualiser les absorptions alimentaires en se laissant porter par les réactions de son "ventre", de ses "besoins", si possible une digestion sans problème, caractéristiques valorisées par l'alimentation déstructurée (particulièrement les formes de grignotage), susceptible de prendre des formes multiples selon les lieux et des temps sociaux différents. Ensuite, l'idée de stress intrinsèque à l'acteur urbain contemporain, qui "rationalise" et accélère son temps productif, rompt avec un lien social de commensalité et de convivialité pour se nourrir de nutriments agréables augmentant son individualisme, signe de son efficacité sociale. Enfin, la combinaison des deux noms qui sonne comme le féminin du vieux mot rabelaisien gastrolâtre au moment où la société s'unisexualise et où le corps doit être surveillé en tant qu'outil de représentation par les hommes mais aussi par les femmes, au moment où la fonction de "production" déclenche les mêmes "contrôles de soi" que la fonction de reproduction. Les professions du secteur tertiaire, les personnes jeunes, les habitants des grandes villes et les femmes, dans leur déclaratif, présentent plus fréquemment des profils de gastrolastress. » Pour les individus contemporains, la santé n'est plus l'opposé de la maladie. Il faut tout autant être en forme physiquement que mentalement et même socialement. Si en 1960, les ménages consacraient 5 % de leur budget aux dépenses de santé, cette part est aujourd'hui de 12 %. En l'an 2000, c'est la recherche d'informations médicales sur le Web qui était la plus importante chez les Américains. L'obsession de la santé dans l'alimentation est devenue prédominante. « En 1966, les féculents (pain, pâtes, riz et pommes de terre) tenaient la première place de la hiérarchie des aliments, suivis de la viande puis des légumes et des produits laitiers. Les valeurs qui sous-tendaient cette hiérarchisation s'organisaient autour d'une symbolique du "nourrissant", du rassasiant, de l'énergie et de la force de la viande. Ce modèle alimentaire mobilisant à la fois des représentations symboliques (la force de la viande) et des dimensions nutritionnelles (l'énergie des féculents avait été mise en évidence comme modèle de la classe ouvrière). (...) Il s'inscrit dans une conception instrumentale qui sert à produire un travail qui "doit fonctionner sans qu'on s'en aperçoive", sans qu'on en prenne un soin particulier, et à laquelle il convient d'apporter l'énergie nécessaire », constate Jean-Pierre Poulain*****. L'Ocha, l'Observatoire Cidil de l'harmonie alimentaire, travaille depuis 1992 à un programme à long terme d'études et de publications sur les relations entre alimentation, santé, culture et société. Pour Congrilait 2002 qui se tient à Paris du 24 au 27 septembre, et sur lequel nous reviendrons dans nos prochains numéros, plusieurs symposiums auront lieu sur des sujets émergents concernant la nutrition, la santé, le manger bien et le bien manger. Car, comme l'explique Jean-Pierre Poulain, « l'état des connaissances actuelles invite à la prudence et suggère de préférer l'éducation alimentaire à l'éducation nutritionnelle, pour prendre en charge les différentes finalités de l'acte alimentaire - son lien à la santé, son lien au plaisir et ses dimensions sociales et symboliques et pour respecter les différents particularismes alimentaires, sociaux, régionaux, religieux qui contribuent à la construction des identités ». Et la médicalisation de la relation à l'alimentation, la médiatisation des alertes et des crises entraînent un besoin accru d'informations sur la composition des aliments, leur origine et leur traçabilité. Les professionnels laitiers ont ainsi mis en place une série de moyens et de procédures pour répondre aux exigences de sécurité alimentaire. Ce secteur vise aussi à offrir diversité, disponibilité et praticité des produits. Elle promet d'adapter ses productions aux spécificités locales en accord avec le propos de Claude Lévi-Strauss : « Il ne suffit pas qu'un produit soit bon à manger encore faut-il qu'il soit bon à penser ». Elle cherche à concilier bénéfices sensoriels et gustatifs avec vertus immunitaires, anti-bactériennes, effets régulateurs sur le stress et le sommeil. Et ces nouvelles convergences n'enlèveront rien à la poésie de la nourriture et à ses diversités culturelles. * D'après une citation de Michel Serres, « Le goût est un baiser que la bouche se donne par l'intermédiaire de l'aliment de goût ». "Les Cinq sens", Editions Hachette Littératures. ** "Je mange, donc je suis. Surpoids et troubles du comportement alimentaire." Editions Petite Bibliothèque Payot : Documents. *** "Nourriture et amour", de Willy Pasini. Editions Petite Bibliothèque Payot. **** "Penser l'alimentation. Entre imaginaire et réalité", de Jean-Pierre Corbeau et Jean-Pierre Poulain. Editions Privat. ***** "Manger aujourd'hui . Attitudes, normes et pratiques", de Jean-Pierre Poulain. Editions Privat.

Stirésius

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