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Etre gourmand, c'est savoir aimer

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Corps-objet, corps-machine, corps instrument, peut-on penser le corps autrement ? La réflexion de Maria Michela Marzano, chargée de recherche au CNRS, est l'occasion de s'interroger sur le désir et le corps de la mangeuse.

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Pourquoi un énième livre sur le corps ?


C'est vrai que de nombreux ouvrages sont parus sur ce sujet. Les sociologues et les anthropologues ont réfléchi sur les usages sociaux du corps. Ils l'ont décrit comme un produit propre à chaque société. Les sémiologues l'ont dépeint comme un système de signes. Les psychanalystes se sont interrogés sur l'écart entre les signifiants du désir et les actualisations pulsionnelles. Les philosophes ont travaillé sur la place du corps dans l'environnement humain et montré l'existence chez toute personne simultanément d'un corps-objet-organique et d'un corps-sujet intentionnel. Je me suis posé la question pour ma part de savoir s'il existait encore un corps ou quelque chose du corps qui resterait pensé. En un mot, que pourrait révéler ou ajouter du corps et sur le corps, une approche éthique ?

Qu'entendez-vous par là ?


Il appartient à l'éthique de déconstruire la normativité culturelle et sociale et son discours moralisateur et naturaliste. Les normes les plus puissantes sont les normes sociales. Il est plus facile d'accepter une pensée toute faite et des comportements rigides que d'analyser la réalité sociale et ses enjeux d'un point de vue éthique. J'ai voulu m'interroger sur comment penser le corps en dehors des valeurs masculines. En effet, les femmes essaient de construire de l'intérieur leur corps en fonction de ce qu'elles croient que les hommes attendent. Elles utilisent leur liberté pour se conformer à l'idéal masculin. Cette conformité inconsciente opérait avant qu'une prise de conscience n'amène une nouvelle réflexion. La philosophie a peur de la matérialité car c'est ce qui échappe, ce qu'il faut contrôler. Dans la pensée dualiste, la femme représentait la matérialité. L'histoire de la philosophie a toujours mis au ban le corps donc le féminin. La pensée désincarnée nie la réalité, que la pensée s'est faite à travers le corps. Et cette mise à distance du corps n'a jamais été que la mise à distance des femmes de la société. La séduction n'est jamais que le fruit d'une construction de normes culturelles d'une époque. Un jeu d'artificialité prend toute la place. Il n'y a pas de naturalité.

C'est le règne de la confusion entre désir et excitation ?


Certaines personnes sont dans l'incapacité d'identifier leur désir. La séduction sans désir exclut la dimension de mise en jeu de son être. Le recours à des standards de comportement vise à se protéger contre son désir et contre celui d'autrui. Le meilleur moyen d'empêcher les vrais rapports avec les autres est de se construire un rôle. A des êtres bien dans leur liberté se substituent des individus clés et coincés dans leur rôle. Mais, bien sûr, la sexualité comprend toujours une excitation. Mais, c'est lorsqu'elle est séparée d'avec le désir qu'il n'y a plus qu'une volonté de dominer l'autre.

Quel lien peut-on faire avec les pathologies du comportement alimentaire ?


Jamais avant le XXe siècle le contrôle du corps par le contrôle de la nourriture n'était présenté comme un élément éthique et social pour permettre à tous ascension sociale et morale. Jamais dans l'histoire ce contrôle n'avait eu des conséquences aussi dramatiques que les désordres alimentaires. Songez que, selon une étude de 1995, les anorexiques et les boulimiques sont à 95 % de sexe féminin et que ce sont celles qui observent scrupuleusement les règles de la conformité dominante. L'objectif des boulimiques et des anorexiques est succès, amour, gloire et beauté. En se soumettant à la pression sociale de la conformité ces femmes s'infligent une faim réglementaire. Le contrôle de la faim est une entreprise de dressage pour construire jusqu'aux réactions les plus intimes du corps. "Penser le corps", de Maria Michela Marzano. Editions PUF.

 
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