La sécurité alimentaire ou le plaisir oublié
L'Europe a peur. Son alimentation est en crise parce que suspecte. Demain, tout ce qui se mange sur la planète sera concerné. L'enjeu est de rassurer un consommateur traumatisé. Mais, à trop argumenter de manière factuelle et scientifique, on risque de négliger la principale motivation du consommateur à table : se faire plaisir.
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Il en va de l'alimentaire comme de l'amour. C'est une affaire de pulsions
où la raison cartésienne n'a pas toujours sa place. Manger, c'est se faire
plaisir, c'est le rêve multiquotidien. Les relations que l'on a avec la
nourriture peuvent être passionnelles. Avec "La Grande Bouffe", Ferreri l'avait
bien montré. Et cette quête de plaisir du consommateur ne doit rencontrer aucun
obstacle, aucun doute, aucune interrogation d'ordre sécuritaire... au risque de
provoquer les psychoses d'une ampleur incroyable que l'on connaît aujourd'hui.
L'actualité récente nous a montré que l'argumentation scientifique et technique
n'était pas à même de rassurer à elle seule le consommateur. Quand Claude
Fischler notait avec humour que le consommateur refusait les OCNI (Objet
Comestible Non Identifié), il mettait en évidence ce besoin fondamental du
consommateur de connaître et d'identifier ce qu'il a dans son assiette. La
réponse industrielle à ce besoin fut cartésienne. C'est à coup de traçabilité
technique, de composition détaillée, de garanties, de labels et de cautions
d'hommes en blouse blanche que nous avons vainement tenté de dire à notre
consommateur : "Allez y sans crainte...". Et si le remède était pire que le mal
en tuant la passion par trop de raison ? Les angoisses du consommateur ne sont
peut être rien d'autre qu'un appel à l'imaginaire gastronomique. On a vu tout
récemment au dernier Sial, un steak haché surgelé qui exhibait fièrement sur un
facing entier du packaging, les résultats exhaustifs de l'analyse
bactériologique de la viande... C'est la victoire du cerveau gauche sur le
cerveau droit, la fin du rêve alimentaire. La solution, si elle n'est pas
simple, passe sans aucun doute par un juste dosage entre l'incitation au rêve
(l'histoire du produit) et les éléments techniques de réassurance et de
garantie (la preuve d'innocuité). Ainsi, pour connaître le produit, le
consommateur est demandeur d'histoires. Racontez lui le produit, d'où il vient,
qui l'a fait et comment et avec quoi, faîtes travailler son imagination. A
l'image d'Alain Passard de l'Arpège, 3 étoiles au Michelin, dont la nouvelle
carte est, à ce titre, très évocatrice. L'innocuité, quant à elle, doit être
évidente aux yeux du consommateur et devrait pouvoir se passer de preuve. Lui
dire que le produit qu'on lui propose n'est pas du poison n'a rien de vraiment
rassurant. Voici quelques exemples qui montrent une démarche industrielle de
garantie consommateur, qui passe davantage par l'imaginaire que par la
démonstration scientifique. Les innovations produits, illustrant cette
rubrique, sont toutes répertoriées dans la base de données internationale
XTCscan (www.xtc.fr).
Un poisson surgelé qui se raconte. Un simple sticker indique le nom du bateau, du port d'attache, de l'armateur et du capitaine ! Fonctionnalité sécurisante : ce lait à consommer le soir aide à s'endormir. Le pack nous dit qu'il provient de "traites nocturnes et contient ainsi davantage de mélanine" (produite naturellement par les vaches, la nuit). Un phénomène qui touche aussi les marques propres. A côté des labels officiels, le distributeur donne une identité locale et historique à son produit. Contre exemple, très opportuniste en ces temps d'inquiétude alimentaire : l'analyse bactériologique des steaks figure en bonne place sur le pack. Mais le plaisir est-il garanti ? Sur chaque contre-étiquette de ces bocaux figure l'histoire, parfois oubliée, des légumes qu'ils contiennent. Ces oeufs sont accompagnés d'un fascicule expliquant le processus de production et l'élevage des animaux.