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La musique fait sa révolution

Bénéficiant de nombreuses possibilités d'écoute, la musique se nomadise. Pourtant, les ventes de disques s'effondrent inexorablement. Faut-il voir dans ce paradoxe la fin du CD ? Une chose est sûre, les maisons de disques doivent réagir pour s'adapter à cette nouvelle donne. Et vite.

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Universal Music, le numéro un mondial de l'industrie du disque, proposera d'ici à la fin de l'année le téléchargement gratuit de son catalogue sur Internet aux Etats-Unis et au Canada… La Fnac brade plus de 1 500 albums à 6,99 euros sur son site… Les promotions de CD sont foison… Signe que le secteur se porte mal et se cherche. Les chiffres sont éloquents. Entre 1997 et 2005, selon le Snep (Syndicat national de l'édition phonographique), les ventes mondiales d'albums ont quasiment été divisées par deux. Le panier moyen en magasin a perdu 17 % en trois ans pour les albums et 24 % pour les singles. Et entre 2003 et 2006, les Français ont rogné 31 % de leur budget consacré à la musique.

« Le marché du CD physique a commencé à chuter en France en septembre 2002, affirme Laurent Fiscal, directeur marketing et produits chez Virgin. Exactement le même mois où les premières offres haut débit grand public sont apparues sur le marché français. La piraterie sur Internet a donc clairement un impact. » Dans l'édition 2006 de L'actualité du disque, le Snep cite l'Institut GFK : ce dernier a observé qu'un milliard de titres ont été téléchargés en 2005 dont seulement 2 % via des plates-formes de téléchargement légal. Ainsi, 98 % de la musique téléchargée sur Internet le serait de façon illégale ! Autre problème : la valeur perçue du CD a diminué aux yeux des consommateurs. Laurent Fiscal poursuit : « Aujourd'hui, un DVD n'est pas beaucoup plus cher qu'un CD, voire parfois moins cher. Or, dans la perception du client, un DVD c'est du son et de l'image, alors qu'un CD ce n'est que du son. » Et puis, comment expliquer au consommateur pourquoi il verra un même album à cinq prix différents sur une année ? Les repères se brouillent et le client s'y perd. André Nicolas, responsable de l'Observatoire de la musique, souligne : « Je note une tendance à l'effet yo-yo, c'est-à-dire que les mêmes références sont proposées à des prix différents dans l'année, avec un autre packaging. »

Pour Guillaume Doret, fondateur d'Opendisc, le CD des fichiers musicaux. Il s'agit donc bien de redonner de la valeur à ce support pour inciter le consommateur à l'acte d'achat. Et lui faire préférer le CD au téléchargement illégal. Reste que le téléchargement légal grignote également les parts de marché du CD, bouleversant ainsi le paysage de l'industrie musicale.

Réinventer le support CD

Alors que les ventes physiques ont chuté de 8,6 % en valeur en France entre 2004 et 2005, les ventes en téléchargement (hors téléphonie mobile) ont été multipliées par cinq ! Pour Morvan Boury, directeur du développement et stratégie chez EMI Music, la situation est claire : « Nous passons d'un univers où l'on était monoformat à un univers multiformat et multiusage. » Et d'ajouter : « Nous sommes dans une logique à la fois de réinvention, d'innovation, de modernisation du format CD et puis, en même temps, dans un développement d'autres formats qui sont beaucoup moins substitutifs qu'on pourrait le croire. » Le numérique ne se substituerait donc pas au CD ? Morvan Boury croit en tout cas en la progression du numérique en parallèle du CD, et non en la fin de ce produit. L'industrie du disque se trouve ainsi confrontée à une double problématique : inciter les consommateurs à racheter des CD et s'engager sur le marché du téléchargement numérique payant. Un défi qu'elle se doit de relever si elle ne veut pas se laisser distancer.

Il s'agit donc de renforcer le caractère attractif du CD. Déjà, les maisons de disques sortent nombre d'albums en plusieurs versions. EMI Music lance quasiment systématiquement des éditions limitées afin de “renforcer le pouvoir de l'objet”, avec notamment des packagings “luxueux” et des livrets recherchés. De son côté, Sony BMG mise, en complément du CD classique, sur le nouveau format DualDisc, proposant un disque doubleface avec, d'un côté, les pistes audio et, de l'autre, une face DVD mixant pistes audio et clips vidéo. Le packaging est aussi novateur : il s'ouvre via un bouton-poussoir et retient le CD par un système identique au boîtier DVD. Le groupe Universal Music parie, quant à lui, sur le lancement, depuis septembre dernier, d'un CD en trois formats différents : une version DeLuxe en édition limitée “pour les sorties d'albums d'artistes de premier plan” dotée d'un bonus CD ou DVD (le tarif moyen conseillé est de 19,99 €) ; une version standard, pour toutes les sorties de nouveaux albums dans un boîtier plus résistant (14,99 €) ; et une version dite basic, pour les anciens albums, dans un boîtier “Slide Pack” simplifié, au packaging minimaliste (9,99 €), comparable, selon Universal Music, au livre de poche. Une initiative,que certains surnomment “low cost”, et que BMG avait déjà testée en août 2004. Il s'agit en fait de répondre aux critiques concernant le prix des CD souvent jugé trop élevé. Mais est-ce suffisant ? Pour Guillaume Doret, les nouveaux packs sont de bonnes réponses à court terme en attendant de réinventer le support.

Imaginer de nouveaux modèles

Avec son approche équitable, Reshape-music, label exclusivement présent sur le Web, semble avoir trouvé la parade face aux critiques concernant le prix des CD, en redonnant le pouvoir au consommateur et en lui exposant la destination de son argent. Son fonctionnement ? Les internautes fixent, grâce à une échelle, le prix d'achat des albums des artistes indépendants distribués en exclusivité sur le site. L'équipe explique sa démarche : « Nous souhaitons sensibiliser le public à la musique indépendante et transformer les internautes en consom'acteurs. Ils peuvent entrer dans une véritable démarche de soutien des artistes en achetant de la musique à un prix plus élevé que le prix conseillé. »

Sans attendre non plus l'initiative des maisons de disques, Les Bubblies, un groupe de rock toulousain indépendant, ont anticipé le marché en proposant leur nouvel album dans un format inédit : une clé USB musicale réenregistrable, disponible uniquement sur leur site internet. Ne contenant pas de DRM (Digital Rights Management), les titres peuvent être copiés et partagés à l'infini. Car pour Les Bubblies, la diffusion de leur musique via des réseaux tels que le peer to peer présente plus d'avantages que d'inconvénients. Etant indépendants, cela leur permet, en effet, d'être entendus par le plus grand nombre. Quant au support, il fait déjà parler d'eux. Pour Jean-Louis Puyo, bassiste auteur-compositeur du groupe, « avec Internet, l'industrie n'a plus le monopole de la distribution. Donc, maintenant, les maisons de disques doivent être plus créatives ». EMI semble avoir entendu le message, proposant le dernier album des Rolling Stones, en parallèle du CD classique, sous forme de clé USB à la Fnac. Une alternative à la vague du tout numérique ? « C'est une rematérialisation de l'expression graphique des artistes », souligne Jean-Louis Puyo. Un moyen de maintenir le lien avec la personne qui possède l'objet et d'entrer dans l'univers de l'artiste.

Raviver le lien avec le public

C'est d'ailleurs ce que propose la technologie Opendisc, véritable lien entre le support physique et Internet et entre l'artiste et son public. Lancée en 2001 sur le single Solaar pleure de Mc Solaar, cette technologie est présente aujourd'hui sur 300 CD. Elle permet à l'acheteur du disque d'accéder à un des sites privés de l'artiste et ainsi de découvrir des titres inédits, de dialoguer avec lui, de recevoir des informations pendant un an… Autant de “plus” qui donnent au CD un attrait supplémentaire. Son fondateur, Guillaume Doret, explique sa démarche : « Pourquoi moi qui achète un CD j'en aurais moins que celui qui télécharge et qui obtient des informations sur le Net ? » Avec Opendisc, le CD devient une “preuve d'achat” donnant accès à un service “plus”. Car, pour Guillaume Doret, dans la mesure où on peut acheter la musique de façon différente, il est indispensable de récompenser l'acheteur d'un CD. Or, le livret ne suffit plus au consommateur qui attend une vraie valeur ajoutée. Sans parler qu'Opendisc permet aux maisons de disques et labels d'en savoir plus sur les acheteurs. Guillaume Doret ajoute : « Les maisons de disques utilisaient un marketing très intuitif, un marketing de masse. Or, il est important que la maison de disques connaisse le public de l'artiste et adapte son plan marketing à la cible. Il faut qu'elle considère davantage le client final, et pas seulement le distributeur. Opendisc représente par là un pont avec le consommateur. » Morvan Boury abonde dans ce sens : « L'évolution est déjà en cours. Un label s'intéressera principalement aux artistes et à son public, avant de s'intéresser à ses intermédiaires. »

D'ailleurs, les maisons de disques ont saisi l'intérêt qu'elles avaient à s'impliquer dans cette mise en relation entre le public et l'artiste. Car le consommateur est tout à fait capable de se passer de leurs services en allant sur le Net. Le succès des Arctic Monkeys ou des Clap Your Hands Say Yeah, qui ont profité des échanges peer to peer pour se faire connaître, prouve que les artistes sont capables de se créer un public seuls. Et aussi que le téléchargement n'est pas incompatible avec la vente de CD. Les premiers ont ainsi vendu plus de 360 000 albums et les seconds 30 000 exemplaires de leur premier opus autoproduit directement via leur site Web. Sandi Thom s'est également fait connaître en organisant, de son appartement, des concerts retransmis via sa webcam. Si les premiers jours, 70 personnes visionnaient ses shows, ils n'étaient pas moins de 70 000 au milieu de la deuxième semaine ! Résultat : la jeune chanteuse britannique a signé un premier album avec Sony BMG.

Vers le peer to peer légal ?

Aussi les maisons de disques se sont-elles engouffrées dans la brèche du Web. Universal Music et Warner Music ont créé leurs propres labels exclusivement numériques. Les majors ont mis en ligne leurs titres sur des sites de téléchargement légaux. Lors de la sortie du dernier Florent Pagny (Universal Music France), les internautes pouvaient s'abonner à un podcast leur permettant de télécharger un épisode par semaine. EMI a également lancé cette année trois podcasts (Labels, Ear Shot et Blue Note), dotés chacun d'une page sur MySpace. Mais le plus étonnant, c'est qu'elle prévoit de commercialiser aux Etats-Unis son catalogue musical sur SpiralFrog et sur Qtrax, plates-formes de distribution peer to peer. Les internautes pourront télécharger des titres limités gratuitement et les lire un certain nombre de fois, le visionnage de publicités servant de base de financement. Idéal pour découvrir des artistes et inciter ensuite à l'achat. Universal Music suit le mouvement en proposant, elle aussi, d'ici à la fin de l'année, le téléchargement gratuit de son catalogue musical aux Etats-Unis et au Canada, via un accord avec SpiralFrog, reposant également sur le financement des téléchargements des morceaux par la publicité. Une véritable révolution, visant à contrer les téléchargements pirates en créant le “peer to peer légal”. C'est également une sérieuse menace à la suprématie d'iTunes, leader du téléchargement légal et payant. La course est lancée et le combat s'annonce rude. MySpace s'est, en effet, alignée sur la grille de départ en annonçant vouloir vendre d'ici à la fin de l'année la musique de 3 millions de groupes indépendants, avec un atout de poids : le site communautaire compte laisser aux artistes le choix des morceaux qu'ils souhaitent mettre en ligne et du prix de vente, le tout sans DRM. L'innovation et la créativité semblent être la clé pour se maintenir à flot. « L'avenir est à la fragmentation et à l'agilité, être capable comme les grands chefs de faire une très bonne recette tous les jours, et non pas de servir le même plat à longueur d'année », explique Morvan Boury.

Une musique formatée pour le mobile

S'il y a bien un marché que l'industrie du disque n'a pas hésité à investir, c'est également celui de la musique sur mobile. Ainsi en 2005, selon le Snep, ce secteur représentait 67,6 % des revenus numériques des majors, soit 20,7 millions d'euros (trois fois plus qu'en 2004), le téléchargement n'engrangeant, à côté, que 31,3 % des revenus. Certes, la majorité provient encore du téléchargement de sonneries (à 57 %). En 2005, l'achat de titres musicaux n'a représenté que 4 % des revenus de la téléphonie mobile. Pourtant, les opérateurs se font fort de porter le mobile au coeur de l'expérience musicale, notamment en l'incluant dans le processus de promotion des nouveaux albums. Orange a initié le mouvement avec la sortie du single Hung Up de Madonna (Warner Music). Le mobitube, version raccourcie d'un titre, a depuis vu le jour, toujours chez Orange, avec le nouveau single de Patrick Bruel, J'm'attendais pas à toi (Sony BMG). Quant à SFR, l'opérateur a inauguré la campagne de lancement du dernier album de Placebo, en lançant dix mobisodes (feuilletons pour mobile), et en diffusant leur concert à la Cigale sur le réseau SFR 3G. Christophe Palatre, directeur marketing de Capitol (EMI Music France), avait alors déclaré : « Aujourd'hui, EMI Music ne se contente plus de mettre en place des disques dans les bacs. Nous avons intégré toutes les dimensions de l'ère numérique dans laquelle nous sommes entrés et jouons de l'ensemble des richesses qu'elle offre pour rapprocher les artistes de leur public et coller aux désirs d'innovation des consommateurs. » Dernier artiste en date à s'être lancé sur le marché de la musique sur mobile : Johnny Hallyday avec sa nouvelle maison de disques Warner Music propose, jusqu'à la fin de l'année, des contenus inédits téléchargeables en avant-première sur les mobiles Orange. Pour Morvan Boury, « le marché français est assez harmonieusement développé entre le mobile et le Web ». Une chance selon lui, par rapport aux Etats-Unis où la musique est dominée par les plates-formes de téléchargement en ligne comme iTunes et à l'Asie écrasée par le mobile. « En France, nous avons la chance d'avoir les deux possibilités. Nous pouvons jouer avec l'ensemble des canaux numériques. C'est, aujourd'hui, une vraie opportunité. »

Une musique nomade

Une chose est sûre, la musique doit être appréhendée de manière nomade. Car, si la platine CD demeure le principal moyen d'écoute de musique (pour 86 % des consommateurs de musique), les supports nomades prennent de plus en plus d'importance. Le baladeur numérique est utilisé par 26 % des consommateurs de musique, un chiffre qui grimpe à 68 % chez les 15- 19 ans ! En comparaison, la chaîne ou la platine CD reste le support principal d'écoute pour 78 % des 15-19 ans. Le Snep souligne aussi que les consommateurs de musique sur supports numériques écoutent majoritairement des titres ou des albums transférés à partir d'un CD (79 %), suivis des radios en ligne (37 %), des titres téléchargés sur des sites gratuits (33 %), et du téléchargement légal (12 %). Guillaume Doret croit donc en un CD qui se transformerait « non en la propriété d'un support physique mais en un support qui donne un droit d'écoute, le pouvoir de se déplacer avec et de le télécharger ». Acheter un CD reviendrait à acheter un “droit d'écoute”. Et de conclure : « La maison de disque devient la maison de musique. » Une maison de musique au sens large, mixant formats et supports. Pour l'IFPI (Fédération internationale de l'industrie phonographique), la fin du CD n'a donc pas encore sonné, un acheteur de musique sur trois affirmant accorder une valeur supérieure à l'acquisition d'un CD par rapport au téléchargement en ligne. Reste que le paysage musical est bel et bien en pleine révolution. Une révolution numérique que le leader des Bubblies n'hésite pas à comparer à la révolution industrielle, en « bien plus puissante ».

Quid de la diversité musicale ?

Pour Guillaume Doret d'Opendisc, « il y a beaucoup à investir dans le domaine de l'apprentissage, de l'ouverture à d'autres styles de musique que ceux qui passent habituellement à la radio… On a accès très facilement au populaire, mais très difficilement à ce qui est plus rare. » Il suffit d'observer la diffusion musicale en radio : 3 % des titres totalisent 76 % des diffusions, et 0,2 % des artistes 17 % des diffusions… Des chiffres qui peuvent expliquer l'attrait des webradios pour des consommateurs en quête de découverte de nouveaux genres et de nouveaux artistes. Le Snep souligne que, sur l'année 2005, plus de la moitié des diffusions radio étaient des titres Pop Rock ou Groove/Rn'B. Un genre qui représente aussi 39 % de la programmation musicale sur le petit écran. En matière de diversité musicale, les médias peuvent faire mieux…

Aurélie Charpentier

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