La gare : l'espace multiservice de demain
Les Tokyoïtes y font leurs courses tous les jours, les Londoniens peuvent y laisser leurs enfants toute la journée et les banlieusards parisiens leur linge sal... La gare ne sert plus seulement à prendre le train. Elle devient un espace de services pour des consommateurs nomades toujours plus soucieux de mieux gérer leur temps.
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Si les Français n'ont jamais eu autant de temps libre, ils n'ont jamais eu
autant le sentiment d'en manquer. 31 % de nos concitoyens estiment ne pas avoir
de temps libre et 63 % estiment ne pas en avoir assez. Une perception qui
conduit bon nombre d'entre nous à considérer le temps passé à faire des courses
comme un temps perdu. Pour un Français sur deux, les courses sont une corvée.
Des réalités qui expliquent que les consommateurs ont réduit la fréquence de
leur approvisionnement et le temps passé à faire leurs courses alimentaires
(moins d'une heure pour plus de la moitié d'entre eux). Si dans leur choix de
fréquentation des enseignes, le facteur prix est largement intégré, ils sont de
plus en plus nombreux à donner une réelle importance à la variable coût du
temps passé dans les linéaires (le temps moyen des courses en hypermarché a
diminué de 40 minutes en 20 ans !). Ces nouveaux rapports au temps ont conduit
les acteurs de la distribution à revoir leur logique de développement notamment
en réinvestissant le créneau des commerces de proximité, mais aussi celui des
lieux de transit et plus particulièrement les gares. Il faut dire que les flux
le justifient. Rappelons que tous les jours, on compte 350 000 voyageurs à
Saint-Lazare, 230 000 voyageurs à la Gare du Nord, 60 000 passagers à la gare
de Juvisy et 12 000 personnes traversent Lyon-Perrache sans prendre le train.
Des chiffres à mettre en regard de la fréquentation quotidienne de certains
lieux de commerces : 8 000 clients/jour en moyenne dans un hyper de 10 000 m2.
50 000 visiteurs à Parly II, l'un des plus grands centres commerciaux français.
Les gares sont donc devenues pour beaucoup d'entre nous des lieux usuels de
centralité. Sur les 900 millions de passagers que transporte la SNCF tous les
ans, 600 millions sont des Franciliens. Dans certaines villes de la banlieue
parisienne, un tiers de la population prend le train au cours de la semaine.
C'est d'ailleurs pour répondre aux exigences de ces populations que la SNCF a
entrepris de réaménager ces espaces tant sur le plan de l'accueil, que des
services et des commerces.
La révolution SNCF
Mais
avant d'en arriver là, la SNCF a dû subir une longue crise. Le déclin du train
face à la voiture et à l'avion au lendemain de la seconde guerre avait en effet
conduit à un oubli de la gare, et au dépérissement de son quartier. Grâce au
TGV, le train a retrouvé sa place dans la société française et les gares
réaffirment depuis le milieu des années quatre-vingt leur place dans la cité.
Elles ont bénéficié de nombreux investissements architecturaux, et sont de
nouveau au centre de grands projets urbains comme à Lille en 1994, et bientôt à
Avignon et Marseille. Dans le cadre de cette réhabilitation, il restait à
franchir une étape, celle des attentions à apporter à ces millions de voyageurs
quotidiens qui attendent de trouver dans les gares autre chose qu'une simple
buvette et un marchand de journaux. En effet, alors que certaines d'entre elles
voient passer une très nombreuse population dont une part non négligeable ne
prend pas le train (à Montpellier, seuls 40 % des individus qui fréquentent la
gare prennent le train), les gares étaient jusqu'à tout récemment, très peu
investies par les commerces et les services. Aujourd'hui, les choses commencent
à changer. La SNCF se lance dans une petite révolution culturelle en
développant, via sa filiale A2C, de petits supermarchés comme à la gare de
l'Est à Paris, des galeries marchandes mais aussi de vrais centres commerciaux.
Les flux et le temps passé par les voyageurs le justifient. La grande majorité
des passagers grandes lignes arrivent pratiquement une heure avant le départ de
leur train. Les revenus dégagés par ces commerces se révèlent, de plus, très
intéressants pour la SNCF. Les 32 commerces de la gare de Lyon génèrent un
chiffre d'affaires de 400 millions par an. Au niveau national, on compte
actuellement plus de 1 000 points de vente (dont la moitié sont des Relay)
réalisant un chiffre d'affaires de 5 milliards de francs. Pour bon nombre de
ces commerces, la rentabilité est largement au rendez-vous, le chiffre
d'affaires moyen au mètre carré tournant autour de 100 000 F pour un loyer
annuel de 10 000 F/m2.
De vrais centres commerciaux
L'un des projet les plus significatifs de cette évolution est celui de la gare
Saint-Lazare. Sa superficie commerciale, actuellement de 7 000 m2, doit passer
à 16 000 m2, répartis entre 50 enseignes d'ici à 2002. On y comptera des
moyennes surfaces de sports, de loisirs, de culture, de textile, de la
restauration thématique, des magasins alimentaires et des traiteurs. L'ambition
de la SNCF est de faire de certaines de ses gares de vrais pôles marchands à
destination non seulement des voyageurs, mais aussi des riverains. Ce n'est
d'ailleurs pas par hasard si le projet Saint-Lazare est cofinancé par un
important promoteur commercial, la Ségécé. Après avoir construit pendant 20 ans
des centres commerciaux périphériques, cette dernière a compris les formidables
potentiels de développement des gares. Le groupe Ségécé, qui participe aussi à
l'aménagement de la gare de Lyon (13 000 m2 de commerces en 2003), s'est
d'ailleurs récemment porté candidat au rachat de Grandi Stazioni, la filiale
des chemins de fer italiens chargée du développement commercial des 12
principales gares du pays. Un appel d'offres que le groupe français a perdu
face à Benetton qui mise aujourd'hui une bonne part de son développement
hors-textile sur l'alimentation et les services aux nomades, via notamment sa
filiale Autogrill.
Bientôt une centaine de convenience stores
Si le mouvement d'équipement des grandes gares est
aujourd'hui une réalité, il devrait dans les mois à venir toucher des gares de
taille plus modeste et notamment celles de la région parisienne. Certaines
d'entre elles voient, en effet, passer plus de passagers que beaucoup de
grandes gares de province. S'ouvre là pour les marques et les distributeurs un
formidable chantier. Certains promoteurs évoquent déjà des magasins
multifonction tout à la fois épicerie, laverie et vidéo-clubs dans lesquels les
passagers pourraient le matin passer leurs commandes de courses et laisser leur
linge sale. Des courses et du linge qu'ils récupéreront le soir, tout en
empruntant pour la soirée une cassette vidéo. A Paris, Virgin s'est déjà lancé
dans cet exercice. L'enseigne propose ainsi aux passagers de Montparnasse de
commander un CD ou un livre le matin et de le récupérer le soir sur le chemin
du retour. Quant au groupe Casino, il ouvrait au printemps 99 son premier
magasin dans la gare d'Austerlitz à Paris. Actuellement, A2C négocie avec un
géant de la distribution afin d'installer des convenience stores dans une
centaine de gares de la région parisienne. Dans un deuxième temps, ces magasins
auront vocation à abriter des services annexes et à servir de point relais pour
retirer les achats. La gare deviendrait alors un lieu de vie et plus seulement
un lieu de passage subi, et souvent mal subi. A la gare SNCF de Saint-Denis, un
Espace Service offre déjà ce type de prestations.
Des espaces de vie en Espagne, en Allemagne, en Angleterre et au Japon
Cette
évolution n'est évidemment pas une particularité nationale. Le phénomène est
même déjà ancien au Japon, où les gares sont tout bonnement "diluées" dans des
grands magasins où les Japonais font tous les jours leur courses. A Kyoto, la
gare à proprement parler n'occupe plus que 10 % de la surface de la JR Kyoto
Railway Station. Sur 16 étages, et plus de 200 000 m2, les usagers des
transports et les habitants de la ville peuvent trouver un hôtel, un théâtre,
un musée, un Dome Theater, une galerie marchande et plusieurs "food courts". La
gare est ainsi devenue, depuis son inauguration en 1997, un vrai lieu de vie
associant commerces et loisirs grâce entre autres aux spectacles donnés
régulièrement et gratuitement dans le grand espace central. En Europe, le
développement de la grande vitesse avec l'AVE espagnol ou l'ICE allemand, a
conduit les décideurs locaux à réfléchir autrement au concept de gare. Ainsi,
après l'ouverture en 1992 au coeur de la gare d'Atocha à Madrid d'un vaste
jardin public, ils ouvriront dans la gare restaurée de Pontevedra en Galice un
centre commercial avec des salles de cinéma, des salles de jeux et même un
gymnase. En 2002, la gare de Malaga accueillera quant à elle un espace marchand
de 25 000 m2 avec une forte composante loisirs. Le mouvement de
"retailtainment" qui connaît actuellement un vrai succès en Espagne, avec entre
autres, l'ouverture du centre Héron City à Madrid et le futur Diagonal Mar de
Barcelone, touche désormais les lieux de transport. En Allemagne, la gare
rénovée de Leipzig compte déjà 30 000 m2 de commerces partagés par 130
enseignes et la Deutsch Bahn est engagée dans un programme de modernisation
visant à faire des gares des pôles urbains et de commerces de premier ordre
(voir les photos). Les Anglais ne sont pas en reste et innovent en créant des
crèches dans les gares. La première vient ainsi d'ouvrir à la gare de Victoria
(Londres) où les parents peuvent laisser leurs enfants pour la journée ou
quelques heures, dans un local de 300 m2. Une cinquantaine d'enfants y trouvent
des jeux et des ordinateurs. A l'initiative du projet, la Connex (ex-CGEA
Transport) prévoit d'en ouvrir une soixantaine sur son réseau. Dans quelques
années, la gare deviendra en Europe ce qu'elle est déjà au Japon : un superbe
espace de services, de commerces et de communication. Restera alors aux
exploitants des transports urbains, et notamment à la RATP, à se mettre à
niveau. Laissons-nous aller au rêve !