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L'intuition doit aussi dicter le travail du marketeur, Matthieu Lambeaux (Findus)

De retour sur le marché des surgelés depuis 2000, Findus y retrouve ses positions grâce, notamment, à un marketing de la simplicité. Un marketing dicté par la réalité du consommateur que l'entreprise scrute au plus près. Matthieu Lambeaux, son directeur marketing, nous dit comment et pourquoi.

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Alors que toutes les marques du food se sont lancées dans une démarche premium, Findus se distingue en prônant une stratégie orientée cœur de marché. N'avez-vous pas le sentiment d'aller à contre-courant ?


ML : Depuis le retour de Findus sur le marché du surgelé en 2000, nous nous sommes concentré sur des produits simples, ayant un bon rapport qualité-prix. Cette stratégie nous a permis d'obtenir des résultats exceptionnels. Notre chiffre d'affaires a augmenté de 50 % en quatre ans ; ce n'est pas si mal, surtout dans le monde de l'alimentaire. Et, alors que la marque était numéro 3 du marché en 2000, nous sommes à nouveau leader depuis juin dernier. Tout cela avec assez peu d'innovations, mais en faisant des choses très simples. Nous essayons de faire de l'innovation de cœur de marché, c'est-à-dire innover sur ce que les consommateurs veulent. Le grand défaut actuel des fabricants, c'est d'essayer d'innover sur les produits que les marketeurs veulent. Il y a une grande différence. Cela demande une compréhension plus aiguisée des raisonnements des consommateurs. Lorsque l'on gagne 1 500 euros par mois, on ne peut pas se permettre d'acheter un nombre incroyable de produits nouveaux qui coûtent très cher. La simplicité en alimentaire, c'est très important. Elle nous a permis de revenir face à des groupes dont les moyens sont autrement plus importants que les nôtres. Et si Findus est à contre-courant, pour combien de temps encore ? Sommes-nous un cas isolé, ou sommes-nous précurseurs d'un retour sur des choses beaucoup plus simples ?

Pourtant toutes les études nous disent que les consommateurs veulent de l'innovation et des produits nouveaux ?


ML : Le consommateur vous dira toujours qu'il est intéressé par l'innovation. C'est comme si vous lui demandiez s'il a envie de partir en vacances. Il va vous répondre par l'affirmative et qu'il souhaite partir loin. Dans la réalité, il se contente de choses plus simples. C'est pareil en alimentaire, où les choses ont peu changé. Une étude du Crédoc le montre d'ailleurs. En matière de surgelés, le top 10 des plats cuisinés n'a pas changé en l'espace de vingt ans. Et puis l'innovation peut se situer dans ces produits simples. Elle doit surtout apporter plus de pertinence aux consommateurs. Et la pertinence, ce n'est pas forcément de la nouveauté. Si nouveauté il y a, elle n'est pas obligatoirement dans la recette mais dans la manière dont la recette est confectionnée, dans le packaging. Le tout nouveau tout beau, qui prévaut dans les secteurs de la technologie, n'est pas forcément aussi pertinent dans l'alimentaire.

Est-ce à dire qu'il n'y aura pas d'innovations majeures chez Findus en 2005 ?


ML : Nous avons annoncé au trade qu'en 2005 nous n'aurons aucune innovation en plats cuisinés. Lorsque, début 2004, nous avons remis notre lasagne sur les rayons face à la marque B qui nous avait remplacé pendant quatre ans, nous avons obtenu des rotations de 83 % supérieures à celles de cette marque. Et il en va de même pour la moussaka, dont les rotations sont de 37 % supérieures. La conclusion, c'est que cette stratégie de cœur de marché, avec des produits simples, attendus par les consommateurs, n'est pas totalement aberrante. La croissance viendra certainement plus de ce parti pris que de lancements de produits que les consommateurs n'attendent pas. Cela étant, cette stratégie est très difficile à vendre. Vendre du hachis parmentier et de la pomme noissette, ce n'est pas sexy. C'est grâce à notre force de conviction, qui n'a pas baissé depuis quatre ans, que l'on parvient à faire passer le message. Nous sommes la seule voix, la seule entreprise de l'agroalimentaire à parler de cœur de marché, de produits simples et de bons rapports qualité-prix. Résultat, nous n'avons pas eu besoin de baisser nos prix au-delà des 2 % négociés. Pour revenir aux innovations 2005, nous allons retravailler le poisson pané pour tenter de mettre un terme à son déclin. Nous en reparlerons dans quelques semaines.

Pour mieux comprendre les consommateurs, vous avez lancé en 2003 un laboratoire d'observation, le Loft Findus. Pourquoi avoir eu recours à cette méthode ? Vous n'étiez pas satisfait des remontées des études ?


ML : Nous avions deux questionnements. Le premier concernait, et concerne toujours, l'écart criant entre le résultat des études que l'on peut faire sur les nouveaux produits et la réalité du marché. La majorité des marketeurs doivent vivre ce que j'ai vécu. En général, nous avons des produits qui, selon les études, doivent marcher, mais qui ne marchent pas. Un moment donné, on doit se poser la question du pourquoi. Le second point concerne le fait que toutes les études sont basées sur du déclaratif. Notre question était donc de savoir si le consommateur est vraiment capable de nous dire ce qu'il a fait. Le sait-il réellement ? Sommes-nous capables de le retranscrire, notre langage nous permet-il de le détailler, de le décoder ? Lorsque l'on sait que les études U&A sont basées sur du déclaratif consommateur, on peut s'interroger sur la validité de ces études. Ce qui ne veut pas dire que les études ne sont pas valides, mais qu'il existe peut-être une part minimale d'erreurs qui suffit à faire la différence entre un produit qui marche et un produit qui ne marche pas. En groupe, nous avons un consommateur ouvert, intéressé par l'innovation. Mais, lorsqu'il est devant un rayon et qu'il doit payer, qu'il doit gérer la réalité de sa vie, il est beaucoup plus conservateur. Finalement, ce produit, qui l'aurait intéressé dans un groupe, l'intéresse beaucoup moins lorsqu'il doit passer à l'acte. Ce qui nous a conduit à penser qu'il fallait trouver un autre moyen pour s'approcher de la plus grande vérité du consommateur. En partant d'une idée toute simple. Il y a la vérité de sa vie et ce qu'il pense qu'il vit. C'est pourquoi l'observation pouvait être intéressante.

Et vous vous êtes inspiré de la télé-réalité…


ML : L'arrivée de la real-TV était en train de décomplexer le consommateur face à la présence de caméras. Cela étant, c'était une expérience nouvelle. Lorsque nous nous sommes embarqués dans cette aventure, en recréant un appartement à deux étages, avec une cuisine, un frigo rempli et le nécessaire pour faire à manger, on ne savait pas si le consommateur allait nous livrer des choses intéressantes. Nous étions sur un territoire totalement vierge. Toute recherche marketing consiste à poser une question pour avoir une réponse, ce qui veut dire qu'il existe déjà un biais, puisque l'on amène le consommateur à nous répondre sur quelque chose dont il n'a pas forcément envie de nous parler. A l'inverse, l'observation implique qu'il n'y a pas de questions des marketeurs. On ne sait pas ce que l'on va trouver, ce qui en soi est passionnant. Sur les 200 familles qui sont venues cuisiner dans le Loft Findus entre juin et septembre 2003, on ne savait pas si elles allaient rester, partir en courant, si elles allaient jouer le jeu et si, finalement, nous allions apprendre. La première chose que nous avons apprise, c'est que les gens s'habituent très vite aux caméras, que le naturel revient très vite au galop. Et on a appris des choses que nous n'avions jamais imaginées avant.

Par exemple ?


ML : Le loft est une mine d'or fabuleuse. Vous comprendrez que nous n'avons pas envie de tout dévoiler. Un exemple cependant, qui a eu une répercussion importante sur le marché du surgelé. Pendant quarante ans, les plats cuisinés n'étaient pas micro-ondables, ils étaient conditionnés dans des barquettes qui ne pouvaient aller qu'au four traditionnel, ce qui veut dire que 40 à 50 minutes étaient nécessaires pour réchauffer un hachis parmentier. Or, nous savons que le consommateur recherche la rapidité. Aucune étude n'a mis en avant cette incompatibilité, puisqu'en recherche le consommateur nous dit qu'il est réticent à l'usage du micro-ondes pour les plats cuisinés. Dans le Loft, lorsqu'il préparait son plat cuisiné, son premier souci était de regarder s'il était micro-ondable. Il n'y a jamais eu de discussions pour savoir si cela serait plus ou moins bon. Cela montre bien qu'il existe une marge entre le déclaratif, où le consommateur va nous dire qu'à la maison il prend le temps de faire à manger, que le micro-ondes ne donne pas des résultats aussi probants…, et la réalité où il ne se pose pas la question. Pourquoi ? Parce qu'il est dans la réalité de sa vie, il faut faire à manger rapidement, les critères de décision ont changé. Lors d'un groupe, ses critères de décision auraient été “donner le meilleur repas possible à ma famille”, dans sa réalité, cela devient “donner à manger le plus rapidement possible à ma famille”. Et à ce moment-là, le micro-ondes reprend toute sa valeur.

Quelles conclusions en avez-vous tiré pour la marque ?


ML : Tous les plats cuisinés Findus, revenus sur le marché début 2004, étaient micro-ondables. Et la concurrence - c'est de bonne guerre - est passée en l'espace de quatre mois au micro-ondable. Tout un marché s'est converti du jour au lendemain. Une expérience unique comme le Loft a fait basculer tout un marché en très peu de temps. Tous nos concurrents se sont donc satisfaits des résultats du Loft, ce qui signifie que l'observation a certainement un intérêt.

En 2005, vous allez reconduire cette expérience. Qu'en attendez-vous ?


ML : Ce qui nous intéresse, c'est d'aller plus loin dans la compréhension des familles. C'est de voir, par exemple, l'impact de la télévision sur la vie de la famille, sur la structuration des repas, sur les choix alimentaires. L'idée est de comprendre ce qui se passe quand les gens rentrent de leurs courses, l'impact qu'ont les enfants sur la structure des repas. Est-ce qu'ils décident réellement ? Est-ce que la structure des repas est différente aujourd'hui ? On sait que les gens mangent toujours ensemble le soir, mais mangent-ils de la même façon ? A-t-on toujours une structure traditionnelle française, avec un hors-d'œuvre, un plat principal, un fromage, un yaourt ou un dessert, ou sommes-nous passés à un système beaucoup plus simple, à l'Anglaise, où l'on a tout dans une assiette ? Est-ce que les gens se parlent ? En fait, plein de questions auxquelles les études classiques n'apportent pas de réponses. Dans ce but, nous avons retenu une formule un peu inédite. Nous allons installer des caméras pendant une semaine au sein de dix familles, dans deux grandes villes françaises, a priori Lyon et Paris, et nous observerons leur repas. L'analyse sera faite conjointement par l'équipe marketing et par notre agence de recherche MarketVision. C'est par l'observation que l'on peut apprendre. Parce que le consommateur n'est pas totalement conscient de ce qu'il fait. L'alimentaire se situe dans des décisions extrêmement fines, rapides, souvent automatiques et on demande aux consommateurs de rationaliser quelque chose qui ne l'est absolument pas. C'est là, peut-être, que se trouve cette marge d'erreurs qui explique l'écart criant entre les résultats d'études et la réalité du marché…

Apparemment, les études ne vous ont pas apporté ce que vous en attendiez. Quelles conclusions en tirez-vous pour l'avenir ?


ML : En Europe, nous avons décidé d'arrêter la majorité des études quantitatives. Nous ferons donc exclusivement des études qualitatives, mais beaucoup moins. L'intérêt, c'est de redonner le pouvoir au marketeur, en lui permettant de reprendre confiance en lui. Son travail, c'est aussi de prendre des décisions selon son intuition, sur la base de toutes les données dont il dispose et pas toujours de suivre le résultat d'une étude. Faire des études nous permet d'apprendre, mais retarde aussi beaucoup les processus d'innovation. Si l'on estime que sept à huit produits sur dix sont des échecs, sur la base de processus d'innovation extrêmement compliqués, avec beaucoup d'études, on peut se dire qu'en faire moins ne sera pas forcément préjudiciable et permettra de gagner en rapidité.

Groupe Findus


3 000 salariés, dont trois cents en France. Chiffre d'affaires en Europe : 800 millions d'euros en 2003. 162 millions en France (prévisions 2004). Depuis 2000, année de la vente par le groupe Nestlé, Findus appartient au fonds d'investissement suédois EQT, lié à la famille. Une clause de non-concurrence interdisait à la marque d'être présente sur le marché des plats cuisinés surgelés jusqu'en 2004. En Suisse, la marque est toujours propriété du groupe Nestlé. Taux de notoriété spontanée : 57 % en France.

Parcours


Parcours Marié, 35 ans, trois enfants. 1989 European Business Study (Angleterre). 1994 Bestfoods Europe (différentes fonctions marketing). 1997 Campbell Soup (différentes fonctions marketing). 2001 Findus France : directeur du marketing France et vice-président Europe de l'innovation.

Propos recueillis par Rita Mazzoli

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