Incontournable quali
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Selon un panel de quinze experts européens réunis par Esomar, les études
qualitatives figurent en très bonne place parmi les techniques qui seront les
plus demandées dans un avenir proche. La référence, toujours plus fréquente
dans les entreprises, à “l'insight consommateur” et au rôle du quali, la
multiplication des fonctions “Consumer Insight” (Lever Fabergé, Colgate
Palmolive…), soulignent la place prise par le quali dans les outils d'aide à la
décision. Si l'on y ajoute le besoin incessant d'innovation, la nécessité de
fidélisation et de connaissance de ses leviers, le rôle des marques, la
tendance à se différencier notamment par l'émotion, l'obligation d'anticiper…,
tout concourre à donner du poids au quali. Les instituts ne s'y sont pas
trompés. Objectif : offrir la palette entière des outils et répondre à une
problématique donnée par la méthodologie appropriée, qu'elle soit quanti ou
quali. Depuis quelques années, les sociétés spécialisées en quali se
rapprochent d'instituts quanti. Dès sa création, l'an dernier, QCG (Qualitative
Consulting Group, fondé par Georges Guelfand) s'est rapproché de SocioScan pour
créer Arteam. En 2002, Martine Thialon a intégré Stratégir pour former
Stratégir Quali. Pour le Qualitative Village - fédération de 4 instituts
spécialisés : Allegoria (fondé par Adeline Attia), Creative Works (par Aldo
Nonis), ID Sourcing (par Pascale Dor) et Roland Guenoun Conseil -, un
partenariat avec Dimension construit un pont avec le quanti. L'an dernier,
Audirep a créé Audirep Conseil, qui insiste beaucoup dans ses approches sur les
intentions. Reason Why fait partie du groupe BPM qui compte également Carré
Latin (quanti), etc.
Les généralistes se renforcent en quali
A l'inverse, les grands instituts généralistes, plutôt
quanti, n'ont de cesse de développer ou renforcer leur expertise en quali. «
Les sociétés d'études comme Ipsos sont, aujourd'hui, dans une approche
“solution”, confirme Stéphane Truchi, Dg d'Ipsos France. Nous abordons chaque
problématique avec une totale neutralité de méthode. Sans forcer ni le quali,
ni le quanti. » Au sein du groupe Kantar, Research International réalise plus
de 75 M£ en quali, dans le monde, et Millward Brown rachète, depuis trois ans,
des instituts quali, notamment en Europe, avec la volonté d'être parmi les
leaders mondiaux dans ce domaine. En France, l'institut a racheté, l'an
dernier, MFR Stratégie, qui représente 25 % du CA hexagonal ; les études quali
pesant 15 % du CA mondial. « A terme, le métier des études sera tenu par de
grands professionnels qui seront des consultants en stratégie marketing,
s'inspirant du quali et du quanti, prévoit Liz Musch, directrice générale de
Millward Brown France. On ne peut pas prétendre être des experts de la marque
sans le quali. » Synovate est également conscient qu'il lui faudra s'intéresser
de très près au quali s'il veut continuer à se développer à l'international. De
son côté, GfK est entré dans une phase de revalorisation du quali. « Le quali
d'aujourd'hui doit être plus sensible et répondre à une approche et une
combinatoire pour action, souligne Helen Zeitoun, Dg de GfK Sofema. Cela
nécessite des moyens pour accompagner le processus quali avec des gens très
qualifiés et beaucoup de formation. » Chez TNS Sofres, le département
Qualitatif Stratégique réalise, à lui seul, plus de 6 ME, ce qui en fait l'un
des grands instituts quali français. A l'Ifop, le quali est transversal. « Nous
nous donnons les moyens de faire du quali, avec de la formation interne, des
méthodologies », explique Olivier Bauby, Dga. Chez Ipsos, le quali a vécu
pendant des années sur l'expertise développée par les fondateurs d'Insight,
partis depuis. « Nous revendiquons aujourd'hui le quali comme une de nos forces
et une spécialité que nous voulons développer au niveau mondial avec la même
exigence de qualité », affirme Stéphane Truchi. Pour preuve, les activités
marketing par enquêtes ont adopté le nom d'Ipsos Insight. Trois objectifs :
faire venir des professionnels aux profils éclectiques, maintenir un fort
marquage international, mieux intégrer le quali dans les activités de marketing
global. En France, le quali représente 20 % du CA d'Ipsos.
Le défi de l'international
Pour servir et fidéliser leurs principaux
clients, les instituts cherchent tous à se doter de structures à même d'assurer
une qualité homogène de recueil et d'analyse dans tous les pays où ils
interviennent. « Nos clients, et en particulier les grands annonceurs, sont sur
des stratégies globales et recherchent une expertise transversale à
l'international », constate Béatrice Maccario, directrice du département Quali
de NFO Infratest France. L'international est un vrai pôle de développement chez
MSM, chez Cegma Topo, notamment depuis que l'institut est devenu le membre
français du réseau Iris. Chez Novatest, l'international représente 34 % du CA
quali ; 40 % chez Thema, 60 % chez Repères, de 50 à 60 % chez Sorgem. « C'est
une part en constante évolution. Au point que l'on peut se demander s'il
restera des études purement France dans cinq ans », constate Yves Krief, P-dg
de Sorgem.Des réseaux plus ou moins formels ont été également constitués par
les instituts spécialisés. Sorgem a ainsi créé Sorgem International afin
d'offrir des standards de qualité favorables à l'analyse multipays. MSM est
membre du réseau Nexus, initié par Procter & Gamble. Gatard fait partie du
réseau International Qualitative. « Nos clients sont souvent internationaux.
Ils nous ont poussé à formaliser notre réseau, celui avec lequel nous
travaillons depuis 10 ans. Dans le trimestre, nous allons lancer des choses,
avec un nom, une philosophie, des méthodes communes », révèle Eric Fouquier,
P-dg de Théma. Optem, qui a remporté en 1997 un contrat cadre qualitatif pour
la Commission Européenne, vient d'être reconduit cette année. Dans ce contexte,
l'institut, qui a réalisé au cours des 12 derniers mois près de 440 groupes et
plus de 1 000 interview), a constitué l'un des tout premiers réseaux quali en
Europe, capable de mener des études homogènes dans l'Europe des 15 mais aussi
dans les pays de l'Union élargie, la Suisse et la Norvège. CSA est le nouveau
partenaire national en France. « Le quali à l'international exige des méthodes
de coordination extrêmement rigoureuses », souligne Daniel Debomy, gérant
d'Optem. « Il n'y a aucun problème pour faire du quali à l'international, note
Georges Guelfand. L'international est une question de technique avec
l'obligation de travailler avec des partenaires que l'on connaît bien. Il ne
faut pas hésiter à aller sur place puis respecter la loi de l'exhaustivité,
c‘est-à-dire travailler sur la totalité du matériel d'enregistrement. » Car,
comme le souligne Raphaël Yvon Chokron, de la Market Research Plate-forme
d'Altadis, « les études qualitatives à l'international sont des sources uniques
de connaissance des mentalités et des aspirations des individus. C'est une
énorme clé de lecture qu'il convient de bien exploiter. »
A la recherche de la vérité du consommateur
« Les clients se rendent
compte que le quali n'est pas seulement un outil pour savoir, ou de “go/no go”,
mais un vrai apport pour prendre des décisions stratégiques », estime Kevin
Singer, Dg de MFR Millward Brown. « Les sujets qui nous arrivent sont
stratégiques, inattendus, audacieux : quel est le sens de telle couleur ? Que
raconte tel espace intérieur ? Quel est l'impact des scandales financiers sur
tel marché ? », constate Eric Fouquier. « Les clients nous disent :
“Apportez-nous des réponses créatives par l'étude elle-même”, souligne Georges
Guelfand. Il y a une implication de plus en plus forte du marketing envers la
création. Cela implique que toutes les techniques quali soient appliquées à la
production. » D'où le rapprochement de QCG avec une expertise d'expression
créative. Nouveaux contextes de consommation, évolution des marchés… tout
concourre à réfléchir sur les méthodologies. « Cela oblige à préempter les
réactions des consommateurs sur des marchés nouveaux, sans références passées
», explique Danielle Rapoport, directrice de DRC. L'entreprise doit tenir
compte de ses consommateurs, mais aussi de ses clients/fournisseurs, de ses
salariés, de ses actionnaires. Le consommateur ayant changé, les façons de
l'interroger doivent aussi changer. Il faut sortir du déclaratif, s'intéresser
à l'inconscient, à son mode de vie, s'éloigner du consensus. «Les consommateurs
obligent à innover à la fois sur l'animation (il faut les surprendre, les
déstabiliser) et le type d'étude même », constate Danielle Rapoport. QCG
travaille beaucoup par sous-groupes et par procédures croisées. Ipsos est en
train de mettre en place un nouveau protocole qualitatif. « Le principe est
d'inscrire la notion de conflit et de crise au cœur de notre démarche, explique
Stéphane Truchi, de débanaliser la parole et réinventer la créativité, de
relever les pulsions contradictoires pour mieux comprendre et anticiper les
comportements du consommateur. Nous allons conserver les techniques de base,
associatives, analogiques, projectives et anticipatives, mais nous allons aussi
avoir recours à des techniques d'immersion et de hiérarchisation qui favorisent
l'opposition, la critique, l'exaspération, l'expression du non-dit ; nous
allons renforcer la place du comportemental. Tout cela pour surprendre et
déstabiliser par des expériences et des situations nouvelles et inattendues.
»
Pour une exploitation opérationnelle
Le
renouvellement du recrutement peut également être une solution. Added Value
interroge des “lead users” ou des “early adopters” mais aussi des consommateurs
éclairés. RI travaille avec des Super Groups. Faces, société créée par
Françoise Auniac, interviewe, pour son étude “Féminine Intelligence”, des
“expertes” (médecins, dont des psychiatres, sages-femmes, etc.) et des “VIP”
(Very Interesting Persons), qui témoignent à la fois de leurs expériences
professionnelles et personnelles. L'ethnographie, l'anthropologie font partie
de la palette des techniques de plus en plus appréciées. QCG lance ainsi une
étude ethnographique sur l'hygiène domestique. Pour Sun, parce qu'il avait du
mal à comprendre, à partir des groupes, comment les consommateurs faisaient
pour mettre du sel dans leur machine, Lever-Fabergé a eu recours à
l'observation. Même démarche chez Colgate-Palmolive : « Nous allons faire plus
d'observations, constate Dominique Esmieux, Consumer Insight Senior Manager.
Mais, ce qui a démarré chez nous, ce sont les études dans les magasins. Un
programme international a été déployé. » Au Consumer Insight vient désormais
s'ajouter le “Shopper Insight”. « Les études merchandising et en magasin
constituent un énorme gisement de marché pour les instituts », estime Laurent
Yvrad, directeur adjoint du département Qualitatif Stratégique de TNS Sofres.
Parmi les nouveaux outils développés récemment, on peut citer Créagir chez
Stratégir Quali et la Caméra Mystère chez Audirep Conseil. « Il est important
que les qualitativistes ne soient pas éloignés du marketing », souhaite
Guillaume Antonietti, responsable des études marketing chez Décathlon.
Capitaliser sur le savoir interne de l'institut par la mise en commun des
expériences est une voie nouvelle de knowledge management. Sorgem met à
disposition ce fond d'expertise en arrière-plan dans les interprétations
d'études ad hoc. RI a développé Pandora, des groupes de recherche quali/quanti
en interne, appliqués à certains marchés, ou Global Whisper, rumeur collective
on line, en interne. Anne-Gabrielle Dangu, responsable du Département Consumer
& Market Insight de Lever Fabergé France, résume ainsi la pensée de beaucoup de
clients : « Nous formulons nos attentes en ayant à l'esprit une exploitation
opérationnelle des résultats et c'est aux instituts d'adapter les méthodes. »
La révolution du quali est-elle en marche ? Une vraie réflexion s'impose. Des
pistes sont à l'étude, on le voit. Il faut aller encore plus loin. « Je veux
géométriser le quali, affirme Georges Guelfand. Les outils actuels d'analyse
sémantique et statistique le permettent, il faut s'en servir pour pondérer le
discours. Il est impensable qu'un client, qui paye 40 000 E pour une étude
qualitative, n'obtienne pas des résultats un peu quantifiés. »
Hy MariampolskiP-dg de Qualidata Research
Comment voyez-vous l'évolution du métier quali sur le marché américain ?
Les clients veulent que leurs données soient converties en savoir et que cette connaissance s'intègre dans une stratégie corporate. Désormais, les qualitativistes doivent penser "stratégie" et multiplier les contacts, non plus seulement avec le service études mais également à de nombreux niveaux de l'entreprise cliente. Les études quali, elles, évoluent vers une connaissance intime des styles de vie des consommateurs, du langage du corps, et vers une intégration plus forte entre les différentes écoles de pensée, l'anthropologie, l'économie, la sociologie, la linguistique ou encore la psychologie.
Trois questions à Van Terradot,Dg, et Edith Boulen, directrice du département Etudes Qualitatives, de Novatest.
Qu'apporte Internet au quali ?
Van Terradot : Les focus groups on line peuvent être animés de n'importe quel point du globe, les participants peuvent y participer où qu'ils soient. Avec les e-mails groups, les bulletins boards, les groupes asynchrones, ils peuvent aussi le faire à n'importe quel moment. C'est la fin de la distance et des limites géographiques. C'est un facteur de renouvellement du recrutement, une réponse au problème de la professionnalisation des consommateurs participant aux tables rondes. Internet sera de plus en plus un moyen d'être moins discriminant et d'inclure des cibles jusqu'ici difficiles à interroger : rares, mobiles, pressées ou, à l'inverse, handicapées, âgées ou minoritaires (minorités ethniques).
Tout le monde est-il capable de faire du quali on line ?
Edith Boulen : Ses avantages ne justifient pas à eux seuls le choix d'Internet pour faire du quali. L'expérience a permis de faire le tri et de le préconiser à meilleur escient. On s'aperçoit que la plupart des méthodes qualitatives on line - focus groups (6-8 personnes connectées en même temps), e-mails groups (liste d'adresses e-mails qui reçoivent des questions et répondent individuellement) ou bulletin boards (groupes de discussion longue durée et asynchrones) -, sont toutes des méthodes textuelles, basées sur l'écrit. Cela suppose que les animateurs s'adaptent et acquièrent un nouveau savoir-faire, celui du savoir lire entre les lignes, s'initiant à l'art de la formulation des questions et des relances dans un style à la fois court, direct, mais clair et engageant. Il leur faudra pallier cette perte du langage corporel par le recours aux signes de ponctuation, aux émotions ; au langage courant des utilisateurs réguliers d'Internet. Cette nature textuelle du recueil tend aussi à rendre le quali on line plus adapté pour les analyses plus sémantiques (des concepts, perceptions, opinions) que pour des informations plus factuelles ou épisodiques.
Le quali traditionnel est-il menacé ?
Van Terradot : Le quali on line n'est pas fait pour remplacer les autres techniques qualitatives mais pour les compléter. Quant à savoir si la maturité du quali on line sonnera l'heure des mix modes, il est encore trop tôt pour répondre. Il semblerait que le quali on line s'oriente désormais plus vers une compréhension du non dit.