Grande distribution : la crise de la quarantaine ? 1/2
Ils ont tous appliqué les mêmes recettes : stratégie de coûts serrés, de promotion, de fidélisation. Quarante ans après la création du premier hypermarché, les grands distributeurs savent qu'une nouvelle ère s'annonce. Les attentes du consommateur, le contexte légal et concurrentiel poussent les colosses du commerce à revoir leur copie. Comment fera-t-on nos courses demain ? Les premières tendances se dessinent.
Remise en cause du modèle de l'hyper, perte de vitesse des supermarchés,
évolutions du comportement et des attentes des consommateurs : le monde de la
grande distribution alimentaire est en mutation. Tous les observateurs du
secteur s'accordent à le dire. "Sous le même toit, vous trouverez tous les
produits à prix abordables" : si cette maxime a fondé le succès des grandes
surfaces alimentaires, et qu'elle est encore appliquée en grande majorité par
les géants du commerce, elle commence à prendre du plomb dans l'aile. Avec,
d'un côté, la maturité des consommateurs en termes d'achats et, de l'autre, le
développement des enseignes spécialisées. Ce qui faisait aujourd'hui encore la
force des très grandes surfaces peut se transformer en faiblesse. «
L'hypermarché fonctionnait très bien dans un pays sous-développé en termes de
distribution, quand les enseignes spécialisées n'étaient pas encore là. Mais,
aujourd'hui, on ne veut plus de grands points de vente ! », estime Georges
Chetochine, spécialiste de la grande distribution. Tous les experts n'ont
cependant pas la même opinion. Mais les avis convergent unanimement pour dire
que la distribution alimentaire, et particulièrement le format de
l'hypermarché, doit entrer dans une nouvelle ère. Un mot-clef est au centre de
toutes les réflexions des distributeurs : la différenciation. A l'échelle de
gigantesques groupes internationaux, le challenge prend de la valeur. Au-delà
des mécanismes promotionnels classiques, des stratégies de fidélisation, à
l'image du Ticket Leclerc, comment les groupes vont-ils, demain, se démarquer
les uns des autres ? Et comment, sans perdre de vue les basiques qui ont fait
le succès de la grande distribution, peuvent-ils faire évoluer leur modèle ?
Une réflexion permanente dans les départements d'études des distributeurs.
Le jeu de l'équilibriste
De son côté, le client a-t-il
changé ? Le besoin de fond du consommateur est toujours le même. « Il est
important de rappeler que s'approvisionner, c'est une obligation !, lance
Georges Chetochine. Vous êtes obligés de faire vos courses en produits frais,
qui composent à 50 ou 60 % votre panier, et en produits non frais. » Depuis une
dizaine d'années, la fréquence d'achat des clients n'a pas bougé. « Elle est
d'une fois tous les 10 jours environ en grandes surfaces, pour un panier moyen
stable. La seule différence que l'on note, en termes d'évolution de la
clientèle, c'est la part des réguliers qui tend à diminuer, contrairement à
celle des occasionnels. Le consommateur est plus zappeur qu'auparavant »,
constate-t-on à la direction du groupe Carrefour. Plus informé, plus exigeant,
le consommateur est aussi mieux armé pour faire la différence entre les
produits et les enseignes. « Le client d'aujourd'hui sait ce qu'est le bio, une
crise alimentair... Il connaît les différences entre les enseignes, et il
accorde également de l'importance au climat social qui règne dans un magasin »,
estime un responsable de la direction des enseignes d'Intermarché. A cette
connaissance accrue du marché de la distribution et des produits s'ajoute un
autre phénomène : le client est plus pressé qu'auparavant. Faire ses courses
alimentaires est une corvée, donc une perte de temps. « Il y a 20 ans, le temps
moyen passé dans un hypermarché était de 90 minutes, aujourd'hui, il est de
l'ordre de 40 minutes. Le paradigme du prix est toujours important pour le
consommateur, mais celui du temps est à prendre en compte par les
distributeurs, pour penser à de nouvelles approches comportementales »,
remarque François Bellanger, directeur de Transit. Les distributeurs vont
ainsi devoir jouer aux équilibristes : faire gagner du temps à leurs clients,
rendre leurs courses plus agréables et les séduire en permanence pour se
différencier des autres enseignes. D'autant plus que le débat ne se pose plus
forcément en termes de taille de surfaces. « Aujourd'hui, parler d'un
supermarché ne veut plus rien dire, précise Philippe Moati, directeur de
recherches au Crédoc. C'est la localisation qui est essentielle pour le
consommateur dans l'accès aux produits. » Le format le plus controversé, depuis
déjà une dizaine d'années, est celui de l'hypermarché. Sa mort annoncée n'a pas
encore eu lieu ! Cependant les signes d'essoufflement se font sentir (cf.
encadré) face à la croissance des enseignes de hard discount, fréquentées cette
année par un million de foyers français de plus que l'année dernière. Le
phénomène de lissage des prix, entre les hypers, les supers et les plus petites
surfaces a indéniablement diminué la force de la promesse du bas prix. «
J'émets des doutes sur l'avenir de l'hypermarché, explique Philippe Moati.
C'est un format encore extrêmement puissant, mais il cède du terrain en termes
de parts de marché. Les distributeurs tentent de faire évoluer le concept, mais
jusqu'où pourront-ils aller ? L'exemple de Carrefour Carré Sénart, n'est pas
très révolutionnaire, on reste sur une évolution en termes de discours
marketing uniquement. »
LE HARD DISCOUNT GAGNE DU TERRAIN
TNS Secodip vient de publier le RéférEnseigne 2002, qui brosse le tableau de la distribution française. Cette étude annuelle est menée auprès d'un panel de 8 000 foyers. Première tendance de fond : les enseignes de hard discount ont le vent en poupe, quelle que soit la région observée. La progression concerne autant le nombre de clients que la fréquence de venues en magasins. Le hard discount représente 10,9 % de la consommation valeur des Français. Face à cette tendance, les hypermarchés et les supermarchés perdent du terrain. Le format hyper représente 52,3 % de part de marché valeur, contre 52,9 % en 2001, et le format Super 35,6 % contre 36,3 %. Les petites tailles s'en tirent cependant plutôt bien, avec Leclerc qui consolide sa part de marché, et Géant qui est la seule enseigne d'hypermarchés à augmenter sa part de marché valeur : 0,3 point en plus par rapport à l'année dernière. Enfin, Système U, Franprix et Atac gardent une croissance saine et réussissent à recruter et fidéliser leurs clientèles.