Etudes: accepter la complexité
Au programme de la Journée nationale des études: défrichage des nouveaux outils, sérendipité, modélisation, wikiresearch... Ou comment mieux appréhender le consommateur en acceptant sa complexité.
Je m'abonneLa Journée nationale des études (JNE), organisée le 26 janvier dernier par l'UDA et l'Adetem (en partenariat avec Marketing Magazine, E-marketing.fr, Ubifrance, Research Now, Projectpro), fut particulièrement riche. Autour du thème «Les Etudes en 2012: comprendre et/ou mesurer», plus de 150 professionnels étaient présents pour échanger au cours d'exposés, de tables rondes, etc.
La matinée fut consacrée au «quali» et l'après-midi au «quanti». Surinformation, multiplication des données potentielles et des outils on et off line, accélération de la recherche...: en raison de cette complexité croissante, la profession des études a de plus en plus de mal à affiner la mesure. Aussi, la JNE a-t-elle voulu être à la fois dans l'ère du temps (cocréation, communautés on line, panel propriétaire, modélisation...), mais aussi revisiter quelques fondamentaux intemporels. Après l'introduction d'Henri Kaufman
Luc Speisser (Landor): «Cet observatoire est un vivier d'insights inédits et pertinents.»
Landor Families, le pouvoir de l'observation
Depuis plusieurs années déjà, l'observation in situ a fait un retour remarqué dans le cadre des techniques de recueil destinées à améliorer la connaissance des consommateurs. Les Landor Families, créées par l'agence Landor en 2007, en sont un exemple. «Le meilleur moyen de comprendre les gens, c'est d'être au plus près de leur quotidien », résume Luc Speisser, président de Landor Paris. Cet observatoire en temps réel de dix familles et de leur consommation, que Luc Speisser décrit comme «un laboratoire d'idées nouvelles, un vivier d 'insights inédits et pertinents», fonctionne selon cinq principes d'action: suivre les familles dans la durée, les rencontrer chez elles, les considérer dans leur dynamique relationnelle réelle, dans la globalité de leur personne et les appréhender dans leurs contradictions. Pour suivre les dix familles, sélectionnées avec une méthode spécifique (les 4C's), Landor utilise une combinaison de modes de recueil d'informations
De l'analyse du matériel recueilli ressortent plusieurs évolutions de fond. En cinq ans, ces familles sont passées «du coût de la vie au prix de la qualité de la vie», évoluant de stratégies d'achat «dures» (MDD, premiers prix) à des comportements plus diversifiés mais aussi plus satisfaisants personnellement. Parallèlement, elles sont passées par un certain désenchantement vis-à-vis des types de produits achetés, mais aussi par l'avènement d'une quête de petits plaisirs. De même, elles ont évolué «de l'armure à l'ouverture», avec l'avènement du B to B to C, lui-même étroitement lié à celui du digital. Cette mutation a entraîné un bouleversement de leurs rapports au prix.
Enfin, ces familles ont effectué une migration «de l'impulsion à la programmation», à la fois de façon contrainte, à l'image du verbatim «je n'ai les moyens d 'acheter que bon marché», mais aussi de façon réfléchie en intégrant dans leurs décisions d'achat les notions de qualité, de durée de vie et de revente. Des «familles vraies»: «L'une d'elles vient d'arrêter, pour des problèmes familiaux. Nous sommes dans l'humain», conclut Luc Speisser.
Contre l'unidimensionnel et l'opinionisme
Le père des sociostyles a donné plusieurs pistes de réflexion: « Remettre le produit dans les modes de vie, accepter que les humains soient compliqués et ne pas croire que ce que disent les experts des sondages est universel. »
Celui qui exhorte les jeunes chargés d'études à « sortir faire de l'ethno » plutôt que de rester devant leur ordinateur, réfute « les études média-mythologiques » sur les bobos et autres « inventions publicitaires », rappelant ainsi que « la qualité de l'échantillon est plus importante que sa taille ».
Le rêve du marketing de masse, comme celui du one-to-one, sont irréalisables. Il faut approcher les personnes en ayant une typologie prédictive, en évitant les études à oeillères, du style: le consommateur de yaourt est un multiconsommateur, un citoyen et un humain. L'unidimensionnel constitue un danger, aux yeux de Bernard Cathelat...
Sa conviction (réfutée par les adeptes des typologies attitudinales) tient en une phrase: « La meilleure compréhension du consommateur est issue de la typologie la plus globalisante. » Et de s'insurger: « On interroge de moins en moins les gens sur leurs rêves. On fait de l'opinionisme. »
Pour cet infatigable explorateur de la socioconsommation, il faut donner du temps au temps: « La durée, c'est cher mais primordial. Réunir à nouveau le même échantillon à quatre mois d'intervalle permet de voir son évolution. Il ne faut jamais croire ce qui se dit une fois. Acceptons la complexité! Un consommateur à la veine «verte» peut s'acheter un 4x4 fort polluant! Les individus peuvent se positionner sur des valeurs contradictoires. CCA développe actuellement 13 sociostyles, dont sept hétérogènes (luxe / lowcost). »
Bernard Cathelat (CCA): « Les sociostyles ne sont pas monolithiques. Nous sommes là pour apporter une intelligence, pas pour tout expliquer, et j'espère que l'on n'arrivera jamais à expliquer tout le consommateur. »
Un marketing de dialogue
A propos de l'invasion du Web, Bernard Cathelat constate qu'il n'existe plus de cible passive que l'on puisse analyser sous microscope. Il insiste sur les exigences des études sur ce multiconsommateur: « Ne pas prendre des e-amis, susciter le débat autour de sa marque. Nous sommes aux antipodes du marketing impérialiste enseigné autrefois dans les écoles de commerce. Le marketing de dialogue s'inscrit dans une démarche gagnant/gagnant. » L'interactivité entraîne une nouvelle façon de traiter les consommateurs, non plus comme des cibles, mais comme des partenaires.
Et le «gourou» d'évoquer la wikiresearch et la montée du wikiconsommateur: « Nous n'en sommes encore qu'aux tâtonnements, mais j'ai la conviction que la technique compte peu. Ce qui est primordial, c'est la dialectique des «gens». » Comme l'a résumé François Laurent, coprésident de l'Adetem, « il faut être humble, accepter de ne pas tout comprendre chez le consommateur ». Une incitation à être curieux et modestes, en quelque sorte.