Etats-Unis / France: je t'aime, moi non plus
Depuis La Fayette, Français et Américains sont liés pour le meilleur et pour le pire. Mais sommes-nous finalement si proches de l'American way of life? Notre vision du rêve américain correspond-elle à la réalité, ou est-elle erronée, voire idéalisée? Fans des Etats-Unis ou anti-Américains, nous nesommes pas, en tout cas, indifférents aux USA, comme Ta démontré notre intérêt pour l'élection d'Obama.
Je m'abonne«Sijamais quelqu'un doute encore que l'Amérique est un endro it où tout est possible, se demande si le rêve de nos Pères Fondateurs est toujours vivant, doute encore du pouvoir d e notre démocratie , la réponse lui est donnée ce soir.» C'est en ces termes que Barack Obama a célébré sa victoire, le 4 novembre dernier, à la présidentielle américaine. Signe qu'une ère de changement est enfin arrivée, non seulement aux Etats-Unis mais aussi sur la planète tout entière. Car si le reste du monde avait eu son mot à dire, il aurait également massivement voté pour le candidat démocrate! Selon une étude réalisée par Synovate et commanditée par le Reader's Digest avant les élections, Barack Obama aurait ainsi triomphé haut la main. En particulier en France avec 75% d'intentions de vote, contre 10% pour McCain. Car nous n'avons pas manqué de prendre parti! Avec raison, puisque, pour une fois, nous ne nous sommes pas trompés sur l'issue du vote! Contrairement à 2000 quand il s'agissait de choisir entre Bush et Al Gore, contrairement à 2004, quand 9 Français sur 10 plébiscitaient John Kerry. L'Obamania a triomphé, la France y a succombé et devrait, par conséquent, modifier son regard sur les Etats-Unis.
Pour autant, il y a encore beaucoup à faire pour concrétiser cette ère de changement et de ressenti envers nos alliés américains. Nous, qui nous sentons si concernés par les Etats-Unis, sommes-nous finalement si proches de ce que l'on appelle communément l'American way of life? Notre vision du rêve américain correspond-elle à la réalité? Pour Michel Desmurget, chercheur à l'Inserm qui a vécu huit années aux Etats- Unis, elle est au contraire erronée, faussée, voire idéalisée. Dans son ouvrage, Mad in USA, les ravages du modèle américain (Editions Max Milo), il s'insurge contre le tableau idyllique que l'Europe dresse du «Nouveau Monde». «L'Amérique dont on nous parle à longueur de journée n'est, je le crains, qu'une chimère médiatique dépourvue de substance. «Nos» Etats-Unis sont un leurre», martèle- t-il, avant d'analyser que «les Etats-Unis ont une puissance de marketing impressionnante. Ils savent raconter des histoires et c'est ce qui séduit.»
L'American Dream, réalité ou fiction?
Ansi les séries TV américaines, auxquelles nous sommes pour la plupart tellement accros, ne reflètent qu'une vision faussée de la vie aux Etats-Unis. Il suffit de regarder Desperate Housewives ou encore Friends pour remarquer que leurs héros vivent dans des milieux très favorisés, bien loin de la vie - réelle - de l'Américain moyen. La profusion de ces séries venues d'outre-Atlantique a façonné une Amérique mythique dans l'esprit des Français. «Nous baignons dans la culture américaine via la télévision, appuie Michel Desmurget, mais c'est une représentation biaisée», et qui, pourtant, «finit I par rentrer.» En I effet, si les téléspectateurs se contentent de cette description idéalisée «que leur transmettent les séries télévisées, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils se bâtissent une idée fausse du quotidien des Américains. Il suffirait pourtant qu'ils se confrontent à la réalité en mettant les pieds aux Etats-Unis pour prendre conscience du fossé. Malgré tout, si certains d'entre nous idolâtrent le pays de l'Oncle Sam, d'autres le haïssent ou, tout du moins, n'hésitent pas à le critiquer ouvertement. Déjà mis en évidence dans le film Super Size Me de Morgan Spurlock, le problème de la malbouffe est ainsi montré du doigt. Tout comme, de plus en plus, le mode de vie américain dominé de façon caricaturale par les centres commerciaux, la consommation à outrance et les grosses voitures. Ce modèle de vie est mis à mal, y compris dans les films d'animation, à l'instar de Wall-E de Pixar, décrivant une civilisation futuriste obèse, incapable de se mouvoir et esclave de sa technologie. Dans son livre Over - Visions aériennes de l'American Way of life: une absurdité écologique, le photographe aérien Alex MacLean a d'ailleurs pris le parti de photographier son pays de manière à révéler le gaspillage aussi bien des espaces, des ressources que des liens humains. Si ses photos interpellent, c'est parce qu'elles dévoilent une autre vision de l'Amérique, bien loin des clichés éculés des cartes postales. Et qu'elles prouvent, s'il le fallait encore, que c'est tout un mode de vie basé sur l'hyperconsommation qui est à revoir.
Reste qu'une chose est sûre: aucun d'entre nous n'est indifférent aux Etats-Unis. Et cela depuis toujours. «Les relations entre Français et Américains relèvent, je le crains, d'un traitement psychanalytique», écrit André Kaspi dans son ouvrage Comprendre les Etats-Unis d'aujourd'hui. En outre, si nous rejetons la malbouffe, la politique de Bush ou encore leur modèle social, nous ne pouvons qu'adhérer à la vague de solidarité de l'après- 11 Septembre. Rappelons-nous l'émotion et le mouvement de solidarité qui avait alors saisi la majorité des Français, notamment avec la Une du Monde qui titrait «Nous sommes tous Américains». Les marques américaines sont passées dans notre vie courante, tout comme les séries TV et les stars du show-biz. Et New York demeure l'une des premières destinations touristiques du monde. Il semble donc bien que nos relations à l'Amérique soient excessives, passionnelles, schizophrènes.
Les séries TV ne reflètent qu'une vision biaisée de la société américaine. Le plus souvent idéalisée.
Les livres traitant du modèle américain sont légion. Celui d'Alex MacLean, Over, montre les conséquences du fameux American Way of Life sur l'environnement.
Si semblables et si peu complémentaires
«Les Français n'ont jamais cessé de méditer sur les Etats-Unis, de ressentir une véritable fascination pour ce nouveau pays, pour cet Etat construit sur des fondements originaux et porteur d'un message universaliste», analyse André Kaspi. Selon ce dernier, cette fascination a induit une attitude ambiguë: «Les Américains changent et nous changent. Ce qui nous effraie et nous séduit. Les influences américaines, nous les subissons, nous les appelons de nos voeux et nous les redoutons.» Il poursuit: «Les pro-Américains ont souvent croisé notre chemin. Ils donnent des couleurs charmeuses à tout ce qui vient d'Amérique. Ils aiment la country music, le rock et le hip-hop. Ils se précipitent pour voir les films américains et nous persuadent que seule la démocratie américaine respecte les droits de l'homme... Bref, ils manifestent une admiration béate.» Selon l'auteur, l'inverse existe aussi et a pour nom l'anti- américanisme. Ce dernier imprègne notre réflexion et notre conversation, «comme si nous avions besoin d'un ennemi, imaginaire ou réel, pour définir ce que nous sommes». En clair, résume Didier Chaudet, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri), «nous avons une vision faussée des Etats-Unis, sans doute car nous attendons trop d'avoir un duplicata européen». Seulement voilà, s'il existe bien deux frères ennemis, ce sont évidemment nos deux nations. «Certes, le rêve américain nous attire, mais il n'est pas cumulable avec notre histoire, avec notre culture», glisse Michel Desmurget. La France et les Etats-Unis se ressemblent sur bien des points. «Nous avons ainsi la même prétention à l'universalisme, explique le directeur général de CSA, Stéphane Rozes. Ce qui vaut pour les Américains vaut pour la planète. Et il en est de même pour nos concitoyens.» Avant de poursuivre: «Malgré cela, nous n'avons pas le sentiment d'être arrogants, car nous pensons que tout le monde est comme nous. Et encore une fois, il en est de même pour les Américains.» Et pourtant, «l'imaginaire américain pour les Français est d'autant plus répulsif que nous avons le sentiment que notre modèle se dégrade», note Stéphane Rozes. Néanmoins, pour ce dernier, il est impératif de distinguer la période, les générations et le président au pouvoir pour comprendre nos relations avec le pays de l'Oncle Sam. Ainsi, «Obama est davantage porté par nos valeurs et son élection est forcément positive sur l'image que l'on a des Etats-Unis», souligne-t-il. Et d'ajouter: «Il incarne l'idée d'une autre Amérique qui, en termes de leadership, est sensible aux intérêts de la planète.» Didier Chaudet estime, pour sa part, que beaucoup de Français ont le sentiment aujourd' hui que «l Europe est en bout de course, que l assimilation et l'intégration ne fonctionnent pas». Bref, tout simplement que l'on n'avance pas. Ils ne voient pas que, malgré cela, l'économie européenne se porte mieux que l'économie américaine! Comment expliquer ce décalage entre la réalité et notre perception? La réponse pourrait bien se trouver dans notre état d'esprit. Car, en dépit de toutes les crises que les Etats-Unis ont traversées, les Américains ont su conserver de l'optimisme, qui fait tant défaut aux Européens. Preuve en est leur vote massif pour le candidat du changement. «Par cette mentalité de l' American Dream, les Américains ont la possibilité de retomber sur leurs pieds, de refonder quelque chose, de rebondir, souligne Didier Chaudet. Or, cette capacité de rebondir, on ne la ressent plus dans la société française. Il y a cette réserve d'optimisme aux Etats-Unis qui permet de continuer à avancer, alors qu'en Europe on continue à patauger.» La forte consommation d'antidépresseurs en France -- la plus élevée d'Europe - en est un signe flagrant...
Stéphane Rozes (CSA):
«Obama est davantage porté par nos valeurs et son élection est forcément positive sur l'image que nous avons des Etats-Unis»
Michel Desmurget (Inserm):
«certes le rêve américain nous attire, mais il n'est pas cumulable avec notre histoire, avec noutre culture.»
Vers un «European Dream»?
Reste que la crise financière qui a frappé les Etats- Unis a également mis à mal l'état d'esprit des Américains. Et donc celui des Français à l'égard de l'Oncle Sam. De nombreuses familles de la classe moyenne américaine, jusque-là épargnées, se sont ainsi retrouvées à la rue du jour au lendemain, obligées de quitter leur maison et de vivre dans leur voiture... Alors, ce rêve, a-t-il encore un sens? Avant le résultat des élections américaines, Didier Chaudet estimait que «la seule chose qui pourrait remplacer le rêve américain, surtout si McCain était élu, ce serait tout? simplement un rêve européen.» Un avis partagé par Jeremy Rifkin, président de la Foundation on Economic Trends à Washington, qui observait dans son ouvrage Le rêve européen (paru en 2004)?'qu'il existait un nombre croissant d'Américains qui avaient purement et simplement renoncé à l'American Dream. Voyant les Etats-Unis dans une impasse, il notait avec espoir la naissance d'un «rêve européen». Un rêve qui, d'après lui, «convient davantage à la prochaine étape du voyage humain - une étape qui promet de conduire l'humanité à une conscience globale mieux adaptée à une société de plus en plus interconnectée et mondialisée».
La défaite de Barack Obama, symbole par excellence du renouveau de l'American Dream, aurait assurément signé le glas - aux yeux des Européens tout du moins - de cet espoir de changement outre-Atlantique. La victoire du démocrate remet toutes ces thèses en cause. Car la «marque Obama» semble être une marque d'avenir, à l'unanimité. En somme, un symbole fort capable de nous réconcilier avec l'Amérique. De nombreuses marques s'étaient d'ailleurs emparées de la campagne. A l'instar de Jean-Charles de Castelbajac qui a imaginé une robe à l'effigie du candidat démocrate, des deux tee-shirts au nom d'Obama lancés par Zadig & Volaire, ou encore de Marithé + François Girbaud qui a affiché clairement dans sa dernière campagne de publicité son soutien au candidat démocrate. Plus que le visage d'un candidat, le visage d'Obama est devenu celui d'un symbole. Celui du mélange des peuples, des origines, et du changement, tant attendu par la planète.
Voilà en quoi la nouvelle Amérique peut nous aider à repenser l'Europe de façon plus positive, comme le martelait Jeremy Rifkin dans son livre. C'est cela que le rêve américain peut nous apporter, et la condition sine qua non à la construction d'un rêve européen.
Jeremy Rifkin avoue ainsi que son «plus grand souci actuel est de savoir si l'espoir des Européens sera suffisamment puissant pour entretenir une nouvelle vision d'avenir». Et d'ajouter: «la nécessité de surmonter un certain cynisme sera aussi difficile et stimulante pour les Européens que celle de venir à bout de leur optimisme béat l'est pour les Américains.»
Un nouveau monde pour demain
En outre, ce fameux rêve américain «existe toujours, analyse Didier Chaudet, mais ce n'est plus qu'un rêve». Un rêve le plus souvent inatteignable. A moins de mélanger le meilleur du rêve américain et du rêve européen. Car, comme le souligne Jeremy Rifkin, «nous serions certainement mieux armés pour entreprendre le voyage vers une troisième étape de la conscience humaine». Il conclut son livre en observant que «le rêve européen offre une lueur d'espoir dans un monde troublé. Il nous invite à accéder à une nouvelle époque de cohésion, de diversité, de qualité de vie, d'accomplissement personnel, de durabilité, de droits universels de l'homme, de droits de la nature et de paix sur la Terre. On a long- temps dit que le rêve américain méritait que l'on meure pour lui. Le nouveau rêve européen mérite que l'on vive pour lui.» Certes, cette vision peut sembler idéaliser le modèle européen. Cependant, il suffit d'observer d'un peu plus près le mode de vie des Américains, le déficit flagrant d'aide sociale, et l'écroulement du système économique mondial, pour se rendre compte que là n'est pas l'avenir. Alors, en tout état de cause, ces élections ont été l'occasion de revenir sur un plaisir annoncé depuis longtemps, celui de réinventer le rêve américain, ou pourquoi pas d'en inventer un autre, à la jonction entre le modèle américain et le modèle européen. Dans son carnet de tendances 2008, Geneviève Reynaud, directeur Innovation de Research International, affirme que l'on assiste à la fin d'un monde centré sur les Etats-Unis. Reste qu'elle de centré sur les Etats -Unis. Reste qu'elle ne parle pas de la mort d'un monde,?. mais de sa renaissance. «Le nouveau I monde est déjà là», insiste-t-elle. Il nous I incombe la tâche de le réinventer. Les I Américains s'y sont déjà attelés. En I élisant un président Afro-américain, I ils ont élu plus que leur 44e président. Ils ont aussi consacré un homme symbole d'une société métisse, multiethnique, un homme qui ressemble tout simplement au monde tel qu'il se dessine aujourd'hui. Ces élections vont peut-être nous réconcilier avec cette Amérique tant critiquée durant I les années Bush, et stopper net les caricatures. Gageons aussi qu'elles I permettent au monde de s'engager vers une nouvelle voie, plus optimiste. «Il a fallu longtemps. I Mais ce soir, grâce à ce que nous avons accompli aujourd'hui et pendant cette élection, en ce moment historique, le changement est arrivé en Amérique», a affirmé Barack Obama le jour de sa victoire. Ce changement I atteindra-t-il le monde entier, en réunissant les peuples, en insufflant tout simplement une bonne dose d'espoir et d'optimisme? Les Français sont en tout cas prêts aujourd'hui à y croire. Yes we can!
Didier Chaudet (lnfrj):
«il y aune réserve d'optimisme aux Etats-Unis qui permet de continuer à avancer, on continue à partager.»