Du marketing de projection au marketing d'adhésion
L'objectif du marketing a semblé être pendant longtemps de séduire le consommateur, d'aller vers lui, de répondre à ses attentes. Il est aujourd'hui acquis que la marque doit moins courir après son consommateur, mais plutôt le laisser venir à elle grâce aux leviers déjà mentionnés du service et du savoir*. Cette démarche peut aussi être résumée comme une évolution naturelle de la projection vers l'adhésion.
Avant-hier : des produits et des marques de projection pour les autres
Avoir, posséder, montrer ses achats ont permis de faire
vivre dans l'esprit du consommateur une quête permanente de nouveautés,
d'innovations avec lesquelles parader. C'était l'heure de la consommation pour
les autres, qui fonctionne encore très bien... dans les cours d'école, comme
l'illustre les plus que fameux Pokemons. Cette consommation pour les autres
était recherchée comme élément d'appartenance, les produits must, les cartes
gold, les séries limitées étaient les meilleurs symboles de cette quête de
projection, de consommation pour les autres autant que pour soi. La maxime "dis
moi ce que tu consommes, je te dirai qui tu es" n'avait jamais aussi bien
fonctionné. Cette période a semblé s'éteindre, ou pour le moins s'étioler en
Europe Occidentale (plus tardivement aux Etats-Unis et actuellement en Asie) et
a débouché sur le cocoonning ou les années 90.
Hier : des produits et des marques de projection pour soi
Il semble que les années de
l'être (années 90) ont permis l'explosion des marchés de la décoration, du
jardinage et de la cuisine, mais ceux-ci semblent à leur tour parvenir à un
certain palier et atteindre leur maturité. C'était des produits pour soi, tout
en restant à forte connotation image. Les deux espaces qui ont le plus grandi
dans les maisons et les appartements ont été les cuisines et les jardins, des
pièces qui invitaient au travail pour soi (pas sur soi), tout en étant des
lieux de projection, des espaces à faire visiter. Il est plus rare d'inviter à
faire découvrir son bureau et sa salle de bains, qui seront ainsi les nouveaux
espaces à vivre et à réfléchir, les espaces d'adhésion pour soi.
Demain : des produits et des marques d'adhésion pour soi
Les différents ouvrages récemment publiés** illustrent cette
attente diffuse pour une nouvelle façon de vivre sa consommation : plus
éthique, plus vraie, plus sincère. Cette demande a commencé à trouver
différentes réponses : le marketing de l'éthique et les produits équitables
(Max Haavelar, voir Marketing Magazine n° 45), le marketing du vrai (la
naturalité/ la santé/la sécurité), certains fabricants automobiles et de
pneumatiques l'ont constaté à leurs dépens en cachant les causes de
dysfonctionnements.
Les premiers produits d'adhésion et pour soi : les nouveaux produits de beauté
Les réponses ainsi apportées
semblent, sinon incomplètes, destinées à évoluer pour s'exprimer de façon plus
intense. Ainsi, dans l'univers des produits de beauté et de l'auto médication,
la très forte croissance des produits d'aromathérapie, de phytothérapie ou
d'homéopathie expriment ce marketing d'adhésion. Ce sont des produits qui font
appel à l'esprit et à la connaissance des consommateurs, qui obligent ces
derniers à comprendre les produits. Or ceux-ci ne demandent pas autre chose,
soit de la considération et de l'échange plutôt que du mimétisme. Ce sont
aussi des produits d'adhésion par la valorisation d'un style de vie, soit une
convergence, une communauté (qui rassemble, par rapport à la tribu qui
exclut). Déjà mentionnés plus haut, les espaces à conquérir sont la salle de
bains et le bureau. Les produits de beauté seront de plus en plus invités à
être utilisés intelligemment, en profondeur (voire l'acceptation des produits
de pré ou postchirurgie esthétique), la France restant très en retrait en ce
domaine par rapport aux Etats-Unis et à l'Espagne. Cette nouvelle relation au
produit recherchera une beauté pour soi, l'utilisation du couple
produits/services plaisir à employer dans un espace bien-être/boudoir très
éloigné de la salle de bains étroite, dans laquelle il était de bon ton de
passer le moins de temps possible.
Adhésion et projection : une obligation de choisir
Si toutes les marques n'ont pas vocation à
parler de la sorte à leur consommateur, elles devront toutes choisir car
l'adhésion est à la fois le meilleur frein à la course à l'innovation et le
meilleur rempart contre la concurrence. Ainsi, l'hyper-séduction des marques
de mode et de beauté, notamment italiennes et françaises, continueront à
attirer. Mais la vraie question deviendra : devons-nous entrer dans cette
farandole des collections sur le modèle de la mode, et ainsi investir de plus
en plus en communication, ou, au contraire, rester sur un tempo peut-être plus
lent, mais pas obligatoirement source d'échec. Cette conviction semble
d'ailleurs illustrée par l'évolution la plus récente des linéaires
hygiène-beauté en France : la réduction des rythmes d'innovation et de
lancements a tassé le marché et autorisé la croissance des marques
distributeurs. Ainsi, la question devient : dois-je poursuivre ce rythme
d'innovation ou établir ma relation avec mes clients sur un nouveau tempo ? Et
si le dernier luxe était non seulement d'offrir de l'espace à mon consommateur
mais aussi, et surtout, du temps. * "Des 4 P aux 4 S", Marketing Magazine n°
45, décembre 99. ** La société de consommation de soi, par Dominique Quessada.