Digital : La réponse des agences aux besoins des annonceurs
Profession. Plus que jamais au coeur des préoccupations des marques, le digital remodèle en profondeur le marché de la communication. Pour autant, aucun modèle type d'agence ne semble émerger. L'abolition progressive de la frontière entre le on et le off line redistribue les cartes.
Je m'abonneHistorique ! Il s'agit bien d'une première car selon une étude du cabinet Outsell, les investissements publicitaires en ligne aux EtatsUnis seront supérieurs de 8,1 milliards de dollars à ceux effectués dans la presse papier cette année (119,6 Md$ contre 111,5 Md$). En Grande-Bretagne, ils ont également dépassé ceux effectués à la télévision en septembre 2009. La France, comme à son habitude, est un peu à la traîne. Les investissements progressent dans l'Hexagone mais ils ne sont pas encore à la hauteur de la place qu'occupe ce média dans la vie de plus de 30 millions d'internautes. Selon l'étude 2009 Media In Life de Médiametrie, Internet est passé du quatrième au troisième rang des médias les plus fréquentés avec 4,6 contacts par jour. Il a également profondément modifié le parcours du consommateur. Aussi, les annonceurs ont intérêt à suivre le mouvement car la révolution numérique emporte tout sur son passage. La communication digitale, en effet, ne s'arrête plus à Internet. Elle envahit le mobile, la télévision, les jeux vidéo, l'affichage, etc. Et tout va très vite. « D'ici cinq à dix ans, tous les médias seront digitalisés. La communication digitale sera la communication », estime Frédéric Colas, président de SixandCo (groupe FullSIX). Un paramètre incontournable qui pousse les marques à entièrement repenser leur stratégie. Celles-ci s'y mettent plus ou moins vite en fonction de leur niveau de maturité. « Il existe une résistance classique de la part de certains annonceurs qui ont du mal à bousculer leurs habitudes », constate Stéphane Amis, président de Razorfish/Digitas Group France. « Le métier du digital est assez compliqué. Cela peut générer du stress pour l'annonceur. C'est pourquoi nous avons créé une université du digital. De façon régulière, nous formons nos clients qui le souhaitent sur différents sujets. Nous adaptons aussi les typologies de nos équipes en fonction de la maturité de l'annonceur », explique Olivier Mazeron, directeur général de GroupM Interaction.
Convertir les marques au digital, c'est forcément une bonne chose pour le business. « La crise ?, s'étonne Olivier Bronner, président de l'agence Plan.net. Nous ne l'avons pas vue. En fait 2009 a été la meilleure année de notre existence. Et 2010 se présente encore mieux. Le marché du digital reste très porteur et ne faiblit pas. »
Olivier Mazeron (GroupM interaction) : « Le métier du digital est assez compliqué. Cela peut générer du stress pour l'annonceur. »
Un secteur en ébullition
Les opportunités de développement sont nombreuses. « Des dizaines de milliers d'entreprises modestes ont aujourd'hui besoin d 'un accompagnement sur Internet », assure Pascal Gayat, président de Quamediagroupe. Le gâteau est appétissant et les agences sont une bonne centaine ou plus à se le partager. Petits studios, grands groupes de communication ou de médias, pure players indépendants..., tout le monde se positionne sur le digital. Depuis l'apparition des premières web agencies, dans les années quatre-vingt-dix, le secteur a considérablement évolué. « Le paysage des agences interactives reflète la diversité et la complexité du digital », affirme Frédéric Colas. Le marché est extrêmement mouvant et n'en finit plus de se structurer. « Je sais que nous avons une multitude de concurrents, mais je suis incapable de tous les citer. Il y a trop d'acteurs éparpillés à droite et à gauche », observe Dominique Cerruti, directeur général de Relevant trafic, agence de Search Marketing. Tout le monde est à la recherche du bon modèle, si tant est qu'il en existe un. Une instabilité qui ne facilite pas la lisibilité du marché. « Il est vrai qu 'à la place d 'un directeur marketing, je serais un peu perdu », reconnaît Ludovic Bajard, directeur associé de Human to Human, agence spécialisée dans la veille et l'opinion en ligne.
«Certaines agences ne sont pas assez transparentes »
Questions à Julien Le Bigot, directeur marketing du Parc Astérix
Marketing Magazine : Quand avez-vous pris le virage du digital ?
J. le B. : Il y a encore un an, notre communication digitale était assez décousue. Nous n'avions pas mis en oeuvre une réelle stratégie. Elle a pris beaucoup plus d'importance à l'occasion des vingt ans du Parc Astérix. Comme Havas, avec qui nous travaillions jusqu'alors, ne nous donnait pas satisfaction sur le on line, nous avons lancé un appel d'offres remporté par l'agence 79. Elle nous a aidés à moderniser notre site internet pour en faire un canal de vente. Nous avons mis en place des campagnes de search et d'affiliation et lancé des formats événementiels. Nous sommes contents des résultats obtenus : + 33 % de trafic et + 30 % de chiffre d'affaires sur le site Parcasterix.fr en 2009.
Qu'attendez-vous d'une agence digitale ?
Avant tout un rôle de conseil. C'est encore plus important que sur le off line. Communiquer sur Internet est assez compliqué. Il est difficile pour un annonceur de s'y retrouver. Or, je constate que certaines agences ne sont pas assez transparentes et manquent de pédagogie. La plupart des grandes agences de communication ont maintenant un département digital plus ou moins étoffé et plus ou moins efficace. Face à elles, les agences spécialisées ont, selon moi, toute leur place. Elles possèdent la réactivité et la capacité à innover qui font aujourd'hui défaut aux grosses agences de communication.
Avec 46
contacts par jour, internet est passé du quatrième au troisième rang des médias les plus fréquentés.
(Source : Etude 2009 Media In Life Médiametrie)
Stéphane amis (Razorfish/Digitas France) : «Tous les grands clients vont développer des stratégies mondiales. notre structure doit être en cohérence avec cela. »
Les grands groupes sont décidés à reprendre la main
Pour ne pas faire les frais de la révolution digitale, les grands groupes de communication français ont été dans l'obligation de se remettre en cause et de se réorganiser. « Ils ont perdu trois ou quatre ans à revoir leur modèle », estime Mathieu Morgensztern, président de la délégation interactive de l'AACC (Association des agences-conseils en communication) . Parmi eux, le groupe Publicis a été le premier à se réveiller. Pour se consolider, il choisit de privilégier une croissance externe. « Nous parions sur les réseaux internationaux. Tous les grands clients vont développer des stratégies mondiales. Notre structure se doit d'être en cohérence avec cela », indique Stéphane Amis. Pour s'entourer des meilleurs, Publicis a procédé à de nombreux rachats pour un montant dépassant les deux milliards d'euros. Ce fut d'abord le groupe américain Digitas, fin 2006, puis W Cube en 2007. Deux pure players importants sur le marché français viennent également de tomber dans son escarcelle : Business Interactif (devenu Digitas France) en 2007 et Duke/Razorfish en 2009. Ces anciennes agences concurrentes travaillent maintenant côte à côte. Et il n'est pas question de les fusionner.
« Le groupe a l'intelligence de laisser travailler les pure players à part. Cest une bonne chose car chaque agence a une histoire et des clients différents », justifie Stéphane Amis. Ces dernières partagent néanmoins des ressources communes et un management conjoint dans un souci de rationalisation des coûts. « Avec 450 collaborateurs pour Digitas /Razor fish rien qu'en France, nous avons misé gros et pris une certaine avance sur nos concurrents », estime Stéphane Amis.
Edouard de Pouzilhac (5ème gauche) : « Les grandes agences de communication ont évolué, non par conviction, mais parce qu'elles n'avaient pas le choix. »
Antoine Pabst (Nurun France) : « nous avons embauché des publicitaires pour qu'ils nous aident à réfléchir à ce qu'est une marque. »
Olivier Bronner (Plan.net) : « La crise ? Pas vue. Le marché du digital reste très porteur et ne faiblit pas. »
Petites ou grandes, des agences veulent à tout prix garder leur indépendance
Et que deviennent les autres groupes de communication ? Chez Havas, tout se passe en interne. Euro RSCG 360 a, par exemple, fait le choix de répondre à des objectifs et des clients différents en intégrant le digital dans une stratégie de communication globale et en lançant parallèlement une agence dédiée. Chez DDB, le signal fort est venu de DDB Paris, fin 2009. L'agence s'est totalement réorganisée en nommant pour la première fois à la coprésidence une figure du Web, Matthieu de Lesseux (ex-fondateur de Duke). Sa mission : digitaliser l'agence en s'inspirant du modèle Goodby Silverstein & Partners dont plus de la moitié des revenus provient d'Internet. Deux personnes sont en charge de la formation des équipes de l'agence. Une autre va nouer des partenariats extérieurs avec des talents afin de répondre à des problématiques digitales de plus en plus pointues. Une organisation qui laisse Stéphane Amis dubitatif : « En tout état de cause cette stratégie ne peut attirer que des clients qui ont une assez faible attente du digital. »
Pour Edouard de Pouzilhac, cofondateur de l'agence 5ème gauche : « Les grandes agences de communication ont évolué, non par conviction, mais parce qu'elles n'avaient pas le choix. » Les quelques pure players indépendants, qui n'ont pas été avalés par plus gros qu'eux, observent d'un oeil critique les grands manoeuvres des géants de la publicité. « Le digital est une culture à part, difficile à appréhender pour des équipes qui ont toujours fait de la publicité traditionnelle », pense Frédéric Colas. Ce que reconnaît David Gillaux, directeur général adjoint d'Euro RSCG 360, pour qui « le renouvellement des effectifs sera déterminant ces prochaines années ». On a le digital dans le sang ou on ne l'a pas. « Les grands groupes de communication n'ont pas encore parfaitement intégré ce qui fait la force d'une très bonne campagne Internet. Ce n 'est pas encore dans leurs gènes », reconnaît Mathieu Morgensztern. Résultat : la transition vers le digital se fait parfois dans la douleur. Un problème que ne connaissent pas les pure players qui chérissent leur indépendance. « Nous avons beaucoup de propositions de rachat mais nous avons toujours tenu bon car la liberté est un gage de qualité. Nous pouvons aller au bout de nos convictions. Les choix économiques entrent moins en ligne de compte », considère Edouard de Pouzilhac. Pour Olivier Bronner, pas question non plus de succomber à l'attrait du gros chèque. La greffe ne prendrait pas : « Les pure players qui se sont alliés avec des groupes de communication ont tous perdu leur âme. » Benjamin Laugel, directeur de création chez Soleil Noir, cite l'exemple de Megalo (s), « une boîte créative qui s'est fait cannibaliser par CRM Company Group ». « Quand un pure player rejoint un grand groupe, il travaille avec un ensemble de personnes qui lui impose des modes de pensée différents. Ce qui à terme peut représenter un frein à sa créativité », explique Mathieu Morgensztern.
Généraliste ou spécialiste ?
Afin de peser plus lourd face aux grands groupes de communication, certaines agences pure players grossissent à vue d'oeil. Pour le groupe FullSIX qui emploie trois cents personnes en France, la taille est un choix stratégique. « C'est un gage de crédibilité qui permet d'atteindre de gros clients », affirme Frédéric Colas. L'agence Plan.net est, elle, passée de dix collaborateurs à cinquante-cinq en quatre ans. « Il existe une course à la taille car Internet demande énormément de ressources », explique Olivier Bronner. L'expansion de ce média semble en effet sans limite et son renouvellement est permanent. Il y a trois ans, on parlait encore de Second Life. Place maintenant à l'influence des blogueurs ou à la réalité augmentée. Sans cesse, de nouvelles expertises apparaissent. Autrefois, les agences digitales se contentaient de créer de jolis sites. Elles doivent maintenant mettre en oeuvre de véritables dispositifs de communication de plus en plus riches, diversifiés et complexes. « Nous devons continuellement faire évoluer nos offres », remarque Antoine Pabst, président de Nurun France. Oui, mais jusqu'à quel point élargir son domaine de compétences ? Les généralistes sont-elles pertinentes sur l'ensemble des leviers d'interaction ? Les spécialistes peuvent-ils le demeurer longtemps ? « C'est un peu présomptueux d'affirmer que l'on sait tout faire. Si l'on arrive à acquérir une bonne expertise sur un petit bout d'Internet, c'est déjà pas mal », confie Ludovic Bajard. Pour Benjamin Laugel, l'essentiel est d'être le meilleur dans son domaine. « Nous avons des compétences graphiques que ne possèdent pas les autres agences en interne. C'est pour cela que les annonceurs font appel à nous. Nous continuons à vivre car nous nous sommes arrêtés à ce que l'on maîtrise. » Un sentiment que ne partage pas Dominique Cerruti. « Etre très spécialisé ne suffit plus. Notre expertise s 'est un peu banalisée. Les agences 360 marchent sur nos plates-bandes. Nos clients nous incitent à nous diversifier. Nous faisons maintenant de la web analyse et du social média. Pour certains annonceurs, il est plus pratique d 'avoir un seul contact. » Généraliste, spécialiste ou multispécialiste, il y a en fait de la place pour tout le monde sur le marché. Le tout étant de rester à l'écoute des innovations et des demandes des clients.
Fabrice Valmier (VTScan) : « Les marques ne veulent plus seulement développer leur audience, mais cherchent maintenant à savoir comment l'utiliser. »
Frédéric Colas (SixandCo) : « D'ici cinq à dix ans, tous les médias seront digitalisés. La communication digitale sera «la» communication. »
De nouveaux axes de développement
La grande tendance du moment est d'accompagner les marques sur le mobile et les réseaux sociaux. Le Groupe Figaro s'est ainsi adressé à Playsoft pour développer une application qui permet aux utilisateurs de consulter l'actualité sur les mobiles. « D'autres contenus premium - un jeu notamment - sont à l'étude. Le but est de trouver des sources de revenus qui ne proviennent pas de la publicité », explique Nicolas Bensignor, président de l'agence. Le phénomène des réseaux sociaux est également pris très au sérieux et les agences se positionnent sur ce créneau porteur. « Nous avons été la première agence à utiliser Twitter pour une marque française, en l'occurrence Renault », revendique Toufik Lerari, directeur général de Tequilarapido.
C'est établi, le social media est un vrai mouvement de fond. Mais, pour Frédéric Colas, le plus difficile est de réussir à faire la part des choses : « L'innovation doit être utile. Notre travail consiste à dire ce qui est fondamental et ce qui l'est moins. Or, selon moi, Facebook et Twitter ne boxent pas dans la même catégorie. » Quel bénéfice tirer de sa présence sur les réseaux sociaux ? Quel est l'intérêt d'avoir une page Facebook regroupant plusieurs milliers de fans ? « Les marques ne veulent plus seulement développer leur audience, mais cherchent maintenant à savoir comment l'utiliser », analyse Fabrice Valmier, directeur associé de VTScan. Pour pouvoir répondre aux interrogations de leurs clients, les agences sont parfois amenées à s'adjoindre les services des quelques personnes qui possèdent les réponses. Nurun a par exemple embauché, fin 2009, Grégory Pouy, un expert du social média. Les marques réclament également plus d'indicateurs de performance. Et pour cause, le Web est aujourd'hui le média mesurable par excellence. Les stratégies des annonceurs deviennent de plus en plus ROIstes. « Nos clients nous imposent dorénavant une obligation de résultats. C'est un grand changement dans la relation entre l'agence et l'annonceur », précise David Gillaux. Cette exigence accrue se retrouve au moment des compétitions. « En 2009, nous avons répondu à des dossiers pour lesquels il a fallu travailler vingt jours avant l'avant-vente », relate Toufik Lerari. Un investissement important d'autant plus problématique que la quantité d'appels d'offres s'est nettement accentuée sur Internet ces dernières années. « Entre 50 et 100 par an pour chaque agence interactive », estime Mathieu Morgensztern.
Le digital ne se limite plus au Web. Il va bien au-delà. Partant du constat que le consommateur virtuel et le consommateur réel ne sont, en réalité, qu'un seul et même consommateur, les agences interactives s'aventurent sur de nouveaux terrains.
Du on au off line
C'est le cas de Business Lab qui, depuis deux ans, a décidé d'abolir la distinction désuète entre le on line et le off line. Son expertise s'étend désormais aux médias traditionnels et elle se définit aujourd'hui comme une agence de communication spécialiste du shopper, le consommateur sur le point de passer, sur un plan mental ou physique, en mode d'achat. L'agence Plan.net commence aussi à gérer des marques de manière globale. « Nous faisons de l'ombre aux grandes agences de médias traditionnelles. Nous nous battons sur les mêmes champs de bataille, mais pas avec les mêmes armes ni avec les mêmes soldats », déclare Olivier Bronner qui a recruté un directeur du planning stratégique afin d'acquérir une meilleure expertise publicitaire. Même démarche chez Nurun. « Nous avons embauché des publicitaires pour qu 'ils nous aident à réfléchir à ce qu'est une marque », indique Antoine Pabst. «Je suis persuadé que l'on va voir certaines agences digitales apprendre plus vite le off line que les agences traditionnelles le on line», écrit Emmanuel Vivier, cofondateur de Vanksen Group, sur le blog Culture-buzz.fr. Chez FullSIX, l'objectif est clair : « Nous voulons devenir le partenaire marketing principal de nos clients, assure Frédéric Colas. Le digital est au coeur des préoccupations des annonceurs. Il est donc logique que leur partenaire soit une agence très compétitive dans ce domaine. Notre force de frappe n 'a rien à envier à celle des groupes de communication. » La guerre est déclarée. Aux marques d'arbitrer les hostilités.