Des signes comme des signatures à même le corps
David Le Breton vient de publier Signes d'identité*, un ouvrage sur les tatouages, le piercing et les marques corporelles. Un riche questionnement sur ce nouveau désir individualiste de modifier notre corps.
Je m'abonneAvec une industrie du design corporel en pleine expansion, pourquoi ce" bricolage identitaire du corps" ?
Il est dû à la fin
des grands récits comme le marxisme, à l'éparpillement des références de la vie
quotidienne, à la fragmentation des valeurs. L'individu trace lui-même ses
limites, il dessine de manière mouvante et délibérée ses propres frontières
d'identité. Bien sûr, la souveraineté personnelle est bornée par les pesanteurs
culturelles, les modes, la condition sociale, l'histoire personnelle.
Néanmoins, l'individu a l'impression de décider. Les ruptures sociales,
générationnelles et culturelles rendent le monde plus confus, plus incertain.
Chaque acteur est aujourd'hui amené à une production de sa propre identité à
travers la mondialisation culturelle. On peut dire que nous sommes les artisans
de nos vies avec une marge de manoeuvre plus ou moins large. Nous sommes pris
dans un courant d'individualisme, au sens sociologique du terme, qui libère
l'individu de son allégeance morale au social. La culture ambiante est sans
épaisseur réelle. Elle ressemble à un grand supermarché de biens matériels et
symboliques où chacun est plus ou moins libre de se servir à son gré. Le corps
est ainsi devenu la matière première de notre relation au monde.
Comment en sommes-nous arrivés à cette relation au corps ?
A la fin des années 60, le corps s'impose comme un signe de
ralliement unanime. Le féminisme, la révolution sexuelle, le body art, les
nouvelles thérapies, l'expérimentation des drogues proclament leur attachement
au corps. Un nouvel imaginaire se compose jusqu'à aboutir à certaines
transformations et des faits comme le droit à la contraception et à
l'avortement, l'acceptation de l'homosexualité, la transformation de la
relation homme-femme... Mais, si le corps de cette période incarnait encore la
vérité du sujet, son être au monde, aujourd'hui, il n'est qu'un artifice soumis
au design permanent de la médecine ou de l'informatique. De support de
l'identité personnelle, il prend parfois désormais le statut d'accessoire.
C'est-à-dire ?
La chirurgie esthétique ou plastique
modifie les formes corporelles ou le sexe, certains produits augmentent la
masse musculaire, les régimes alimentaires dessinent la silhouette, les
tatoueurs ou les perceurs apposent des signes identitaires. Toutes ces
démarches isolent le corps comme une matière première à part, pour en faire le
support d'une identité à géométrie variable. Ainsi, la valeur personnelle
réside moins dans des oeuvres que dans ce que l'on affiche de soi. *Editions
Métailié