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Des odeurs de cuisine dans le musée

Des odeurs de cuisine se dégageaient du Jeu de Paume en avril dernier. Le musée s'était transformé en restaurant à l'occasion d'une grande manifestation de Eat-art, conçue et réalisée par Daniel Spoerri. Capturés par l'artiste pour devenir des "tableaux pièges", les reliefs de ces repas sont exposés jusqu'au 2 juin prochain.

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Dix dîners retraçant l'histoire du Eat-art se sont tenus au musée du Jeu de Paume en avril dernier. Le premier d'entre-eux a eu lieu le 10 mars 1963 à l'occasion de l'exposition "723 ustensiles de cuisine" à la galerie J à Paris. Il fut suivi d'événements à Bâle, Zurich, Berlin, Cologne, Milan, durant lesquels Spoerri remettait en question la relation du spectateur à l'art en questionnant ses réflexes culturels, ses goûts, sa liberté de penser. En même temps que le restaurant installé dans les trois grandes salles du premier étage, deux salles du musée ont été transformées en atelier. Spoerri y a fixé sous forme de "tableaux-pièges" un moment de tables d'hôtes. Ces "menus-pièges" ont été accrochés au fur et à mesure du déroulement des soirées aux cimaises du Jeu de Paume pour composer l'exposition. Les salles d'exposition et de documentation du rez-de-chaussée présentent des oeuvres historiques de Spoerri : "tableaux-pièges" de table dont les reliefs d'un repas de Marcel Duchamp, la célèbre "Collection d'épices" conservée par le Moderna Museet de Stocklom qui en sort pour la première fois, le coin du restaurant Spoerri ouvert en 1968 à Dusseldorf, ainsi que des oeuvres d'Arman, Beuys, Morellet, Filliou... produites pour la Eat-art Gallery, inaugurée en 1970 au-dessus du restaurant Spoerri. On peut aussi apercevoir des ouvrages de référence telle la Rezeptbuchbibliothek, édition de recettes de cuisine illustrées par des artistes comme Roland Topor ou Dieter Roth, ainsi que des documents d'archives : menus, invitations, photographies et la bibliothèque culinaire de Daniel Spoerri. L'artiste lui-même donne cette définition du "tableau-piège" : « Des objets trouvés au hasard en ordre ou en désordre (sur des tables, dans des boîtes, dans des tiroirs, etc.) sont fixés ("piégés") tels quels. Seul le plan est changé dès lors que le résultat est appelé tableau : ce qui était à l'horizontale est mis à la verticale. Par exemple, les restes d'un repas sont fixés sur la table même où le repas a été consommé, et la table est accrochée au mur. » Daniel Spoerri, né en 1930 en Roumanie, réalise son premier "tableau-piège" en 1960. Son amitié avec Jean Tinguely l'amène à rencontrer les artistes du Nouveau Réalisme dont il co-signe le manifeste. Cinq catégories de banquets sont mises en scène par Spoerri : les banquets en relation avec des objets, qui offrent de "l'art à manger" ou sont liés à la création de tableaux-pièges ; les repas à dimension sociale, dont l'aspect socio-culturel est le plus important, par exemple, ceux où le public des vernissages, souvent privilégié, se voit servir une nourriture "de pauvres" ou un "menu de prison" ; les dîners homonymes qui ont aussi une dimension sociale ; les repas briseurs de tabous qui remettent en question l'idée de l'universalité du goût ; enfin, les menus travestis, un concept né de cette réflexion sur le goût : l'apparente inversion de l'ordre des plats remet en cause les habitudes gustatives.

Des oeuvres d'art comestibles


Les banquets qui offrent de l'art à manger sont organisés autour d'oeuvres d'art comestibles. « Les invités peuvent se laisser surprendre par ces oeuvres, mais ils peuvent aussi les manger et commencer immédiatement à les digérer », explique Eva Esterhazy à propos des banquets de Eat-art. Ainsi ont donc eu lieu au Jeu de Paume, le Dîner des Nouveaux Réalistes, le Dîner cannibale Claude et François-Xavier Lalanne, un dîner surprise en écho au vers de Stéphane Mallarmé, « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard », un Menu Hommage à l'artiste Raymond Hains, un dîner "Les oeufs sont faits" où chaque convive reçoit une quantité de jetons équivalente au prix du dîner. A la table de roulette, un croupier permet de gagner ou de perdre les différents plats qui composent le buffet. Le Dîner du haut goût, quant à lui, a célèbré la pourriture noble. Des oeufs chinois de cent ans à la sauce nuoc-mâm vietnamienne en passant par des fromages affinés aux vins de Sauternes y ont été consommés. La cuisine des pauvres du monde entier proposait dix des féculents les plus utilisés qui ont été offerts sous leurs formes les plus consommées : riz, haricots, pommes de terre, millet, lentilles, maïs, orge, pois chiche... Mais sans doute, l'idée de dîner la plus divertissante est-elle celle de dîner palindrome. Selon le principe du palindrome qui se lit indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche, il s'agit d'un dîner "renversé". Si, visuellement celui-ci commence par son terme avec le café et les gâteaux pour remonter jusqu'aux hors d'oeuvres, il se déroule sur le plan du goût selon l'ordre classique des plats. Le repas débute ainsi par un cigare, imité par une sorte de gressin, très cuit, le café est un bouillon de champignons concentré et noir. « Pour clore, on apporte une grande table recouverte d'un carrelage en chocolat noir et blanc, jonché du contenu d'une poubelle renversée, également en chocolat », explique l'artiste. Alors à quand des produits industrialisés de Spoerri pour mettre un peu d'humour dans les linéaires ? "Menus-pièges" de Daniel Spoerri. Jusqu'au 2 juin 2002 Galerie nationale du Jeu de Paume 1, place de la Concorde 75008 Paris Tél. : 01 47 03 13 28.

Stiresius

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