Des études au kilo ou au mètre ?
Quelques questions sur l'évolution du marché des études, qui s'apprête à subir le contrecoup des turbulences économiques, posées par Gilles Gaultier, P-dg de Gaultier & Associés. Des questions définies par leur auteur comme "davantage un poil à gratter qu'un cahier de doléances".
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« On constate, ces deux-trois dernières années, le rôle croissant des
services achats dans la sélection des instituts. Cette approche, qui privilégie
le critère de prix, se développe dans les entreprises, mais également chez tous
les utilisateurs d'études du secteur public. On voit se développer, voire se
généraliser les appels d'offres, portant sur la fourniture d'études sur des
périodes de 1, 2 et 3 ans, sans objectifs définis. Les instituts se voient
obligés de remplir des bordereaux de prix complexes, qui correspondent sans
doute davantage à l'achat de boulons de 12, de tuyau en PVC ou de papier pour
photocopieuses. Dans le meilleur des cas, ces appels d'offres sont structurés
en lots (qualitatif, quantitatif, études quali/quanti) et sont caractérisés par
une fourchette budgétaire annuelle. Cette démarche d'achat a pour conséquence
immédiate de standardiser les études. L'acheteur souhaite maîtriser son budget
sur une période plus ou moins longue. Le renouvellement de l'appel d'offres à
intervalle régulier n'ayant pour objectif que d'obtenir des prix inférieurs à
ceux obtenus précédemment. En interne, les différents utilisateurs d'études
n'ont plus qu'à s'adapter à ce moule, et ce, quelles que soient les
problématiques. Le plus surprenant réside dans le peu de réactions des
instituts. Durant des années, les professionnels ont défendu l'idée que les
études marketing étaient une prestation intellectuelle, impliquant une
compréhension et une explicitation des objectifs du client, une recommandation
méthodologique, la mise en oeuvre de techniques spécifiques, une analyse et
l'élaboration de recommandations. Depuis deux-trois ans, un nombre croissant de
grands demandeurs d'études réduit cette prestation intellectuelle au statut de
produit proche du paquet de pâtes aux oeufs, dans le plus grand silence des
instituts les plus importants et des organisations professionnelles.
Les études banalisées
Cette standardisation, qui peut
sans doute s'appliquer à certains types d'études relativement standardisables
(pré ou post-tests par exemple), a bien d'autres conséquences. Elle entretient
l'idée que le prix des études est compressible à l'infini. Elle banalise les
études. Elle réduit à néant toute notion d'études ad hoc (puisque des barèmes
de prix sont fournis sans objectifs et sans possibilité d'émettre une
recommandation méthodologique). Enfin, ces procédures nous paraissent avoir une
incidence sur le jeu de la libre concurrence (nous appelons de nos voeux une
évaluation de l'impact de ces procédures d'achat sur l'organisation du marché).
L'organisation des appels d'offres regroupant les demandes d'une institution ou
d'une entreprise sur une période donnée, en mêlant souvent des approches
méthodologiques hétérogènes, écarte de facto les petits instituts de ce marché
(ou conduit, dans quelques cas, des petits instituts à concourir pour des
études qui dépassent leur capacité d'intervention). Rappelons que
l'allotissement a été mis en place en théorie par les pouvoirs public pour
permettre aux PME d'accéder aux appels d'offres. Ces dernières années, on a pu
constater une augmentation constante du poids des grands instituts leaders. Les
10 premiers instituts représentent 80 % du marché de la recherche marketing en
France. Cette évolution résulte à la fois du mouvement de fusionacquisition des
années 90, de la structuration de la démarche commerciale des grands instituts
et de modes de gestion infiniment plus rigoureux. Plusieurs phénomènes ont
accompagné cette émergence de groupes puissants (y compris sur la scène
internationale). On constate bien évidemment une concurrence accrue et une
pression croissante sur les prix (ayant anticipé la mise en oeuvre des
techniques d'achat évoquées précédemment). On constate également une inquiétude
croissante des acheteurs d'études quant à la qualité des prestations fournies.
La recherche de prix les plus bas s'est accompagnée d'un besoin croissant de
ré-assurance quant à la qualité, mais une qualité qui a changé de nature,
semble-t-il.
Transparence et pression sur les prix
Tous les instituts sont unanimes à considérer que le demandeur d'études en 2001
n'est plus focalisé sur l'intervalle de confiance, les écarts-types ou les
modalités de mise en oeuvre d'une analyse de contenu. Globalement, ce besoin de
ré-assurance n'est pas exprimé avec précision. S'y mêlent absence de confiance
grandissante dans la qualité du recueil des données, déception quant à la
qualité des conclusions et des recommandations, voire soupçon plus ou moins
clairement exprimé quant aux modalités d'analyse de l'information. Globalement
et quasi mécaniquement, plus les prix payés sont bas et moins on fait
confiance. Certains demandeurs d'étude revendiquent, dans les contrats qu'ils
établissent avec les instituts, un droit de contrôle sur les conditions de
recueil de l'information et sur les moyens mis en oeuvre. Plus généralement, on
ressent un besoin de plus grande transparence, qui suscite une certaine
réticence de la part des instituts, non sans raison, puisque s'accompagnant
d'une pression sur les prix. La réponse des instituts est quelque peu
cosmétique pour l'instant, y compris au travers de la mise en place d'une
certification de service à l'initiative de Syntec. Les instituts ne sont pas
forcément prêts à révéler en toute transparence le méccano du mode de
production des études, la cascade de sous-traitance qui conduit certains
instituts à n'être que des coordinateurs d'intervenants extérieurs, des
acheteurs de prestations auxquelles on applique un taux de marge. Si
traditionnellement le métier des études suppose un recueil d'information
effectué par des personnels engagés sur des missions ponctuelles, on a vu se
développer ces dernières années une sous-traitance généralisée des phases
d'analyse, voire même de la phase de synthèse et de présentation des résultats
au client, ce qui n'est pas admissible à notre avis. Dans ce contexte, force
est de constater que la qualité n'est pas forcément du côté du prix ou de la
notoriété. De nombreux instituts petits ou moyens sont en mesure de garantir
une qualité de prestation dans la plus grande transparence. »