Comment réinsuffler aux acteurs de l'entreprise l'énergie créatrice?
Angoisse face aux enjeux, rationalisation très poussée des process, manque de reconnaissance de l'investissement personnel que nécessite l'effort d'inventer... sont autant de facteurs qui expliquent le désengagement croissant des équipes en charge des démarches d'innovation. Pourtant, il y a une dizaine d'années, les gens «couraient» de réunion de créativité, en «brainstorming», le mot annonçant à lui seul l'aventure palpitante de la quête de la «bonne idée». Aujourd'hui, l'encadrement consent à dégager quelques heures du temps de ses collaborateurs, dans une attitude ambivalente de sur-attente et de doute. Ce qui a pour effet de les démobiliser. On s'en remet alors à des services dédiés, «Lab» et autres «Insight Consumer Teams», qui ont souvent du mal à trouver leur légitimité sur le long terme. Certes, il est plus difficile d'innover aujourd'hui qu'hier. Saturation des marchés, prise de distance du consommateur face aux «fausses» innovations, qui n'apportent pas de «vrais» bénéfices, compression des délais imposés par des marchés de plus en plus réactifs et des directions générales avides de propositions d'innovation, mais plus attentistes que véritablement moteurs de l'acte d'inventer... Il en résulte chez les acteurs de l'entreprise un sentiment d'angoisse et d'impuissance, qui agit comme un puissant inhibiteur de l'acte d'innovation. Comme pour compenser cette indétermination, sont mis en place des modèles organisationnels qui tendent à rationaliser les démarches, mais font perdre en spontanéité, en reconnaissance de l'individu et donc en créativité.
La complexité des process, la lourdeur des effectifs concernés, la délégation totale à des consultants extérieurs, sont autant de critères qui diluent la responsabilité et limitent l'implication personnelle. Moins on engage ses propres émotions, son intuition, moins on «est» créatif. Plus on sent son potentiel d'inventivité et de progrès «instrumentalisé», moins on peut se montrer généreux en efforts de «changement» et de progrès. Car créer, et innover, est d'abord un acte courageux, parce qu'il faut se remettre en cause et avoir la force de reconstruire.
Comment alors, dans ce contexte difficile, relever le défi et redonner à l'innovation le souffle qui lui manque? L'expérience prouve que le recours à des outils spécifiquement conçus pour optimiser les démarches d'innovation, inscrits dans une approche plus globale du management de l'innovation, permet de redonner aux acteurs de l'entreprise les moyens d'être plus efficaces.
Pascale Dor (Fondatrice et dirigeante d'ID Sourcing):
«Créer est d'abord un acte courageux, parce qu'il faut se remettre en cause, et avoir la force de reconstruire.»
Optimiser les démarches d'innovation
Ouverture d'esprit, mais aussi acceptation d'une prise de risque psychologique sur le plan individuel, sont des postures qui favorisent considérablement la fertilité de la démarche. A la naissance des méthodes de recherche créative en France, dans les années soixante-dix, on parlait de «déstabilisation douce», autrement dit de questionnement intime sur la question à l'étude (c'est-à-dire le produit en marketing...). En premier lieu, quand les décideurs s'associent à la démarche créative, acceptant alors de se «mettre à nu», peu ou prou, dans leur vision imaginaire, dans leurs projections de ce que devrait être le produit ou la communication idéaux, ils autorisent l'équipe à se dépasser. Il faut ensuite se laisser déstabiliser par les remarques, les contradictions des consommateurs jouant un rôle d'aiguillon à la créativité. Etre physiquement présent sur le terrain lors du recueil d'information d'étude est important pour échanger avec eux, entendre intimement, ressentir, plonger dans leurs propres représentations. L'idée, avant d'être conceptuelle, est d'abord vibration, vision, désir d'avancer. D'où l'importance de susciter et d'entretenir la mobilisation et l'engage- ment personnel des individus impliqués. Il faut savoir concevoir et organiser une démarche d'innovation, renouveler les méthodes et les outils pour alimenter et stimuler la créativité. De ce point de vue, les différents outils d'études qualitatives, utilisés tels quels ou détournés, restent prioritaires pour fournir à la fois un réservoir de compréhension et stimuler l'imagination.
Leur apport, dans une démarche d'innovation, est en effet double. Sur le plan rationnel, ils permettent de repérer des inputs créatifs précis, ou des insights, qui vont permettre d'organiser la recherche autour d'axes plus riches et pertinents. Sur le plan irrationnel, il ne faut pas oublier que les méthodes de dynamique de groupe étaient, à l'origine, conçues pour stimuler la créativité des consommateurs eux-mêmes, invités pendant de longues réunions «au vert» à inventer des produits, à exprimer des bénéfices, à transmettre des axes publicitaires. Cette exposition «organisée» à l'imaginaire exprimé de «l'Autre» est un levier très efficace pour générer un écho dans son propre imaginaire...
Croyance dans l'individu
Le métier de l'animation des démarches d'innovation en groupe consiste donc à savoir mobiliser cette attention latente, cette énergie potentielle, pour la diriger de façon «obstinée» vers la résolution des problèmes.
Au cirque, ce rôle regrouperait trois fonctions: le clown, qui libère en autorisant la transgression; Monsieur Loyal, qui régit, et l'équilibriste, qui a confiance, ose, à force d'entraînement et de maîtrise, même dans des situations a priori impossibles. Cela demande à la fois des qualités humaines de croyance dans l'individu, de respect des différences, précisément fructueuses, d'encouragement, de pugnacité, et d'effacement de son propre leadership; ce qui ressemble étrangement à ce qu'on demande d'un manager...
D'ailleurs, on constate que dans les entreprises qui se sont engagées dans une démarche systématique de formation aux attitudes personnelles et méthodes de créativité, les résultats sur le plan de l'innovation sont plus concluants. On gagne en flexibilité, en engagement immédiat, donc en longueur d'avance sur la concurrence.
Aller plus loin dans une démarche d'évaluation globale du potentiel créatif et de la contribution à la capacité d'innover de l'entreprise permettrait certainement de mobiliser plus efficacement les ressources et d'optimiser les résultats. Dans la mesure où l'acte d'innovation est avant tout un acte qui relie le plan rationnel (l'esprit, l'expertise) à l'axe émotionnel (la vision imaginaire, l'envie d'en faire quelque chose), il ne peut puiser sa vitalité et sa force qu'au coeur de la richesse humaine de l'entreprise.
Réinsuffler aux acteurs l'énergie créatrice qui leur fait parfois défaut passe donc nécessairement par une évolution plus globale de la prise en considération du capital humain. Le besoin vital qu'ont aujourd'hui les entreprises d'innover peut-il faire évoluer positivement la vision et la pratique du management dans les entreprises? L'incitation permanente à innover, présente dans l'ensemble des discours des dirigeants, ne se substituerait-elle pas aux préoccupations de management «actif» et «participatif», en vogue dans les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix?