Catherine Becker (Sorgem) : « Les marques internationales échappent à leurs créateurs »
Trois questions à Catherine Becker, directrice générale de Sorgem International, maître de conférence associée au Celsa, auteur de "Du Ricard dans mon Coca".
Je m'abonneOn ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre votre livre Du Ricard dans mon Coca - Nous et les marques* et celui de Naomi Klein, Logo, No Logo. Votre discours sur les marques est à la fois très lucide quant à la tyrannie des marques, mais aussi optimiste sur la globalisation. En quoi votre livre est une réponse à No Logo ?
Catherine Becker : Je suis
contente que mon livre soit vu comme une réponse et non comme une contradiction
à celui de Naomi Klein. C'est une militante anti-mondialisation qui ne
s'intéresse pas au phénomène culturel des marques, de l'intérieur. Tout ce
qu'elle dit en se plaçant à l'extérieur des marques sur un plan économique
global est parfaitement juste. Je la rejoins pour constater les excès du
système économique et condamner l'exploitation des travailleurs du Sud-Est
asiatique. Elle part d'une définition simple des marques qui dit : les
marketers dans les grandes entreprises sont des gens qui ont un matériel
idéologique entre les mains et qui s'en servent pour exercer un pouvoir. Mais,
ce dont elle ne se rend pas compte, c'est que les marques ont complètement
échappé à leurs créateurs. Si l'on n'aborde pas ce que les gens ont fait des
marques, on ne comprend pas l'internationalisation et le mondialisme qu'il va
falloir aider à construire et dont les marques sont un terreau essentiel. S'il
n'y a qu'une thèse dans mon livre, c'est celle-là.
Si les marques n'appartiennent plus à leurs créateurs et qu'elles deviennent des faits culturels en s'internationalisant, que reste-t-il aux marketers ?
C. B : Face au fait que les marques deviennent effectivement des acteurs
culturels dans la cité et prennent effectivement des configurations différentes
selon les cultures auxquelles elles sont liées, les marketers se retrou- vent
devant un double travail. D'abord, ils doivent faire preuve d'une qualité
d'écoute et d'ouverture extraordinaire en comprenant que les marques ne sont
jamais des acquis, mais toujours des potentiels en pleine transformation. Ils
doivent être capa- bles de maîtriser les fruits de cette écoute et non
seulement de s'adapter aux transformations, mais de les devancer par leur
intelligence. Par exemple, quand une marque comme Lacoste voit une nouvelle
population s'intéresser à elle et vouloir la transformer, les marketers doivent
être capables de tirer profit de cette transformation en restant fidèles aux
valeurs propres de leur marque. Il faut savoir écouter sans abandonner, se
transformer sans se perdre.
La mondialisation est-elle la fin des marques ou un renouveau qu'il faut savoir gérer et étudier ? Y a-t-il une façon de "recevoir/voir/vivre" les marques selon les pays ?
C. B : La
mondialisation a d'abord été l'apogée de marques dominantes, globalisantes,
universalisantes, ce type de marque est sans doute condamné à disparaître face
aux attentes de toutes ces nouvelles clientèles, mais ce qui doit surgir, ce
sont des nouvelles façons de gérer les marques internationales, qui s'appuient
davantage sur un mondialisme nourri de différence que sur une mondialisation
uniformisante. Les marques internationales seront le fruit d'un mondialisme
bien construit. Elles sont alors vouées à s'épanouir car elles reposent sur une
volonté d'intégration mondiale et sur la recherche exacerbée de leurs propres
différences. On peut, par exemple, penser à ces grandes marques de cosmétiques
qui doivent comprendre la relation à la beauté, les représentations de la
nature et de l'artifice, dans les différentes cultures, pour savoir apporter
leur juste réponse. * Editions d'Organisation, 206 pages, 23 E.