Business intelligence: la performance en mode industriel
Plus de doute, les départements marketing sont entrés dans l'ère du décisionnel. Qu'elle soit utilisée pour répondre aux exigences de la gouvernance interne ou à la pression concurrentielle, l'analyse des données opérationnelles et stratégiques s'inscrit aujourd'hui dans une logique prédictive. Reste à faire les bons choix.
Je m'abonneLes croissances à deux chiffres sont trop rares pour ne pas être soulignées. En 2006, le secteur de la business intelligence a vu son chiffre d'affaires mondial augmenterden,5 %, selon le cabinet IDC. C'est la seconde année que ce marché progresse, atteignant 6,25 millions de dollars. «Business performance solutions» (BPS), «intelligence d'affaires», «informatique décisionnelle»...,quelle que soit l'appellation retenue, ce que l'on regroupe le plus communément sous les initiales Bl («business intelligence»), constitue le troisième poste budgétaire des directions informatiques. Le marché du décisionnel n'a cessé de croître au cours des dernières années et s'est progressivement décliné à tous les services de l'entreprise, avec des enjeux multiples: optimiser chaque métier en vue d'améliorer l'ensemble de l'organisation, renforcer la relation fournisseur et la relation client, améliorer la gestion des ressources humaines, favoriser la délivrance en interne des informations stratégiques et tactiques au sein du système d'information. Il repose, pour ce faire, sur des technologies et des solutions qui faciliteront la prise de décision au sein des directions fonctionnelles et opérationnelles des entreprises.
Mesurer une option à l'aune de critères objectifs, projeter les résultats d'une campagne sur les prévisions, partager les données et les chiffres avec l'ensemble des départements de l'entreprise et avec les partenaires, garantir la visibilité des opérations et des campagnes, aider à la construction des politiques marketing et de distribution: référencement, pricing, promotion, category management... La business intelligence répond à la fois à des besoins de gouvernance interne (expliquer les choix et les investissements) et des pressions conjoncturelles externes (réagir plus vite à la pression concurrentielle).
«La Bl s'inscrit de plain-pied dans l'industrialisation des processus marketing. En fait, il s'agit défaire plus avec moins», souligne Hervé Dhélin, directeur marketing Europe du Sud de SPSS, éditeur de solutions logicielles d'analyse prédictive et décisionnelle. Objectif visé: le pilotage de la performance, dans un contexte marqué par une croissance exponentielle de la volumétrie d'informations à gérer. «On estime qu'en 2006, le nombre de données traitées par une entreprise a crû de 30 à 40%. Il y a encore cinq ans, on était sur des croissances inférieures à 10%», indique Ivan Maillard, spécialiste Bl au sein de la ligne gestion de la relation client d'Accenture.
Pour les entreprises en quête de solution de Bl, rien de plus délicat que de se repérer au milieu d'une offre très composite. Pas facile non plus de répondre aux questions essentielles. Quel est le coeur de métier de l'éditeur, fournit-il des solutions de reporting, de CRM analytique, de data mining, d'extraction et de suivi des données...? Est-il simplement éditeur ou offre-t-il également une prestation de conseil? Quel périmètre opérationnel ses solutions couvrent-elles (extraction et consolidation des données, possibilité et puissance de stock, établissement et diffusion de rapports...)? Le cabinet IDC pointe à cet égard le manque flagrant d'intégrateurs systèmes et de sociétés de conseil à même d'aider les entreprises dans le choix, l'installation et la gestion d'un modèle de Bl.
Quant à l'offre, elle est d'autant plus difficile à décrypter que les rachats se multiplient. Acquisition de ProClarity par Microsoft en avril 2006, de Pilot Software par SAP en février 2007, d'Hyperion par Oracle en mars dernier, de Cartesis par Business Objects en avril, de Spad par Coheris en mai, de Business Objects par SAP en octobre, d'Applix par Cognos il y a trois mois... Et le mouvement de consolidation pourrait se poursuivre: comparé à Business Objects et Oracle, Cognos reste une proie pour les acheteurs potentiels. Des acteurs comme HP et IBM auraient toutes les raisons de vouloir consolider leur offre en intégrant un volet décisionnel.
«Drag and drop» pour les fans de rugby...
En octobre dernier, QlikTech a lancé une application «Coupe du monde de rugby 2007». Un outil d'analyse permettant aux fans du ballon ovale d'accéder à toutes les informations disponibles sur les équipes, les joueurs, les techniques. Parmi les fonctions proposées: l'analyse des performances des joueurs et des équipes pour chacun des pays en compétition. L'application puise ses données à partir de sources variées issues de sites web publics. Pour l'éditeur, il s'agissait de démontrer de façon ludique que la business intelligence dispose de solutions d'analyse décisionnelle simples à utiliser, rapides, flexibles et très visuelles. Car à l'heure où les analystes du Gartner parlent d'une business intelligence «de nouvelle génération», force est de constater que la plupart des éditeurs rivalisent d'efforts pour proposer des interfaces utilisateurs intuitives, en misant clairement sur l'approche ergonomique et les astuces graphiques: drag and drop (glisser-déposer) et interactivité des visualisations, toute requête sur une fenêtre d'analyse étant immédiatement paramétrée sur les autres, qui seront actionnées dans ce sens.
DAVID LAU LAM (BUSINESS & DECISION):
«LES MOUVEMENTS DE CONCENTRATION ONT DONNE AU MARCHE DE LA BI UNE PLUS GRANDE LISIBILITE ET, AUJOURD'HUI, LES SOLUTIONS SONT EN PLACE, FONCTIONNENT, SONT RODEES.»
Quick opte pour le fast reporting
Leader européen de la restauration rapide, Quick possède des restaurants en Belgique, en France, au Luxembourg et dans de nombreux autres pays. La déperdition d'informations directement imputable à la multitude des systèmes informatiques utilisés depuis trois décennies a conduit l'enseigne à restructurer sa plateforme décisionnelle, afin de permettre à quelque 500 collaborateurs et managers au sein du groupe de travailler sur une interface unique. Jusqu'à présent, la planification d'entreprise nécessitait l'étude de plus de 400 feuilles de calcul. Chaque restaurant établissait un tableau des indicateurs-clés et l'envoyait au département de contrôle pour consolidation des données. Au total, le processus de planification nécessitait trois mois de travail. Aujourd'hui, le p-dg reçoit des rapports de vente quotidiens et des bilans consolidés mensuels. Les dirigeants peuvent fournir des comptes de résultat à tous les restaurants et connaître les prévisions de chiffre d'affaires. Chaque restaurant peut ainsi s'occuper lui-même du budget, du reporting et de la planification.
Un marché devenu mature
De l'avis des observateurs, on peut néanmoins considérer que le marché de la Bl est devenu mature. «Les mouvements de concentration lui ont donné une plus grande lisibilité et, aujourd'hui, les solutions sont rodées», soutient David Lau Lam, directeur technique de Business & Décision. Moins d'acteurs et des intervenants qui, au fil des opérations de croissance externe, ont renforcé leur gamme et proposent aujourd'hui des offres grosso modo comparables en termes de fonctionnalités.
Effet mécanique oblige, la concentration du marché, si elle facilite l'identification des acteurs en présence et en clarifie le positionnement, crée un appel d'air et laisse un espace ouvert pour de nouveaux intervenants. Pour les éditeurs américains ou européens, il s'agit de mettre un pied sur un marché porteur qui abrite encore de réelles marges de croissance. «La France est un marché extrêmement important pour la business intelligence en Europe, car c'est le pays d'origine de solutions OLAP traditionnelles», déclarait ainsi récemment Lars Björk, CEO de QlikTech, fournisseur américain qui vient d'ouvrir une filiale à Paris. QlikTech, qui revendique 6000 clients (dont Tetra Pak, Deutsche Telekom, Reuters, Colonial Supplemental Insurance, BMW) dans 76 pays, dispose déjà en France d'un réseau de 40 partenaires. Sa solution d'analyse décisionnelle QlikView compterait dès à présent quelque 150 clients (parmi lesquels 3M France, Caroll, La Mondiale, La Guilde des Lunetiers et Meilleurtaux), dont un tiers dans le cadre d'applications marketing.
La Bl repose sur l'exploitation d'un système d'information nourri de données transactionnelles et de données production. Un outil appelé ETL (Extract, Transform, Load) va extraire des données, les mettre aux normes et les placer dans un entrepôt de données (ou datawarehouse).
Le cas échéant, ces informations seront ensuite sériées dans des datamarts (ou bases de données métier). A l'autre bout de la chaîne, les utilisateurs vont pouvoir dès lors lancer des requêtes, qui seront lues et reformulées par les applications analytiques, puis routées vers la base de données. Les résultats des requêtes seront alors restitués et diffusés par le biais de processus de reporting grâce auxquels on modélisera des représentations.
Le reporting opérationnel sera davantage utilisé par les équipes marketing et les chefs des ventes, voire les opérateurs, qui veulent pouvoir descendre dans le détail des tableaux de bord et des analyses (analyse des résultats de vente sur la semaine, la journée, sur telle zone de chalandise, au regard de telle action promotionnelle sur telle cible de prospection...). Le reporting stratégique s'adresse plutôt aux directions marketing dans leurs besoins d'information macro et d'un pilotage guidé par des métriques élevées à l'échelle de l'entreprise.
SNCF: un système unique sur les rails
Depuis un an, la SNCF travaille avec un nouveau modèle d'informatique décisionnelle. En septembre 2006, le transporteur a, en effet, procédé à une rationalisation de son système de business intelligence. Avec un enjeu direct de productivité et de fiabilité, puisqu'il s'agissait d'uniformiser un dispositif utilisé par des entités juridiques, fonctionnelles et structurelles diverses: d'une part, la maison mère, au statut d'Epic (établissement public à caractère industriel ou commercial), d'autre part, les plus de 640 filiales et participations (regroupées pour la plupart au sein de SNCF Participations). Les cinq grandes directions de la SNCF (Fast, Voyages France Europe, Transport public, Fret et Infrastructure) reposant sur quatre directions des systèmes d'information différentes. Plusieurs modèles, d'inévitables incompatibilités techniques, des coûts d'acquisition et de maintenance accrus. D'emblée, l'entreprise a donc opté pour une solution unique et a lancé, dès 2005, un appel d'offres auprès des éditeurs du marché. En mai 2006, la SNCF retient Cognos et ses offres Cognos Reporting et Cognos Analysis, des solutions modulaires et évolutives, intégrables à l'existant. A terme, le nombre des utilisateurs devrait s'élever à 12000 personnes, réparties en quatre segments fonctionnels (reporting préétabli, reporting ad hoc, analyse multidimensionnelle et tableau de bord) .
Quel reporting?
«Qu'il soit opérationnel ou stratégique, le reporting présente deux limites majeures, explique Hervé Kauffmann, directeur France de KXEN. D'une part, il ne représente que ce que l'on a demandé au travers de tableaux statiques, sans apporter d'éclairage sur le pourquoi ou le comment. D'autre part, il se limite à un constat et ne révèle que ce qui a eu lieu. On reste dans le passé.» Un passé que l'on agrégera à mesure que l'on glissera vers un reporting stratégique et que l'on détaillera en s'orientant vers des requêtes opérationnelles.
Si l'objectif de la Bl est d'aider les utilisateurs à exploiter et croiser des indicateurs de nature diverse, cette finalité ne se limite plus aujourd'hui aux champs informatifs, mais s'inscrit pleinement dans une logique projective. On passe ainsi d'une analyse multidimensionnelle à une analyse prédictive. Le reporting devient dynamique et intègre des fonctionnalités de data mining, qui permettent aux marketeurs d'expliquer les phénomènes et de mettre en place des actions correctives au travers de simulations: scoring et ciblage, hiérarchisation des variables, probabilités... «Il est aujourd'hui possible de mixer des informations de transaction et des données externes en provenance de blogs, d'e-mails, de call centers, et de décupler ainsi la portée opérationnelle des analyses», commente Hervé Dhélin.
La mise en oeuvre de modèles de Bl procède d'une logique itérative. Il n'est pas nécessaire de tout modifier à la moindre agrégation d'indicateurs, de paramètres ou d'applications fonctionnelles ou métier. On peut considérer la durée moyenne d'implémentation à trois mois: un mois pour l'analyse fonctionnelle, un mois et demi pour le développement, quinze jours pour le rodage. Mieux va ut prévoir également un mois pour assurer la conduite du changement et jusqu'à six mois d'appropriation du système par les utilisateurs.
«Dès lors que l'on développe des outils dont la vocation est d'être utilisés à divers niveaux de l'entreprise, on prend le risque de créer des dispositifs faits de couches agrégées et d'entretenir sans cohérence une espèce de course à l'armement on ne peut plus coûteuse et faiblement productrice de valeur», explique Xavier Cimino, expert marketing sciences chez Accenture. C'est là toute la difficulté de la business intelligence: elle doit répondre aux exigences d'un modèle industriel reposant sur des indicateurs référents et actionnant des informations fiables, tout en autorisant une grande souplesse dans l'évolutivité des applications et des périmètres d'utilisation. «Les offres se structurent dans ce sens, en favorisant la compatibilité de socles à dimension industrielle et de sur-couches métier de plus en plus flexibles», poursuit Xavier Cimino.
Souplesse, flexibilité, mais aussi confort d'utilisation. Les éditeurs s'engagent à l'évidence sur la voie d'une nouvelle génération de solutions d'analyse décisionnelle, simples, rapides et flexibles, qui permettent aux utilisateurs de manipuler instantanément les données dans un environnement graphique très visuel. «Il s'agit d'occulter toute la recherche fondamentale sur laquelle repose la Bl pour aboutir à des modèles intuitifs et immédiatement parlants», souligne Olivier Nuzzo, responsable France de Tibco Sportive.
Une approche également revendiquée chez QlikTech, dont le produit phare, QlikView 8, est construit sur une technologie brevetée d'association «in-memory» de nouvelle génération permettant d'effectuer des analyses rapides de plus d'un milliard d'enregistrements. «Cette technologie permet aux entreprises de gagner beaucoup de temps dans la phase de mise en oeuvre, explique Gaud Prat, directrice marketing de QlikTech. Avec l'analyse «in-memory», plus besoin en effet de préagréger les données lorsque l'on décide d'intégrer de nouvelles métriques. En termes de temps, on passe ainsi de trois mois à une semaine.»
GAUD PRAT (QLIKTECH):
«AVEC L'ANALYSE «IN-MEMORY», PLUS BESOIN DE PREAGREGER LES DONNEES LORSQUE L'ON DECIDE D'INTEGRER DE NOUVELLES METRIQUES.»
Gare aux coûts cachés!
Prix Plus que tout autre, le marché du décisionnel entretient un flou total quant à ses référents tarifaires.
La concentration du marché, en réduisant le nombre d'acteurs, a contribué à une augmentation moyenne des prix. Mais, rappelle David Lau Lam, directeur technique de Business et Décision,«tout est plus que jamais négociable». D'autant que, sur ce marché de la business intelligence comme, de manière générale, dans la sphère informatique, les tarifs affichés traduisent un énorme flou, largement entretenu par des éditeurs qui se gardent bien de baser leurs grilles sur des référents universels. D'où des écarts de prix parfois astronomiques pour des solutions comparables.
Une solution strictement fonctionnelle (sans fonctionnalités de simulation ni de segmentation), par exemple un outil d'analyse des ventes, va coûter 150000 euros environ (ventilés à parts égales entre l'achat du produit et le paramétrage). Mais certains contrats peuvent atteindre des centaines de milliers, voire des millions d'euros.
Chez Tibco Spotfire, présent en France depuis six ans (trois salariés),on avance une fourchette tarifaire allant («a minima») de 50 000 à 100000 euros pour une dizaine d'utilisateurs, à laquelle il faut ajouter au moins 15 000 euros pour la formation et le support. QlikTech propose, pour sa part, une prestation estimée à 15000 euros pour une base de 10 utilisateurs.
Les acheteurs doivent donc exiger des devis détaillés, demander ce qui se cache derrière chaque ligne, chiffrer le coût de raccordement aux couches informatiques en place, évaluer le poids de la formation, le temps d'appropriation par les utilisateurs, le coût de la maintenance. Autre élément à prendre en compte: les filtres et les paliers d'accès aux divers niveaux de fonctionnalités. Un contrat de licence ouvrant l'ensemble des fonctionnalités à tous les utilisateurs coûtera plus cher qu'un accord prévoyant une limitation des accès pour certaines catégories de collaborateurs. «L'écart en matière de coûts cachés peut aller de un à cent», précise Ivan Maillard, spécialiste Bl au sein de la ligne gestion de la relation client d'Accenture. Avant toute chose, les acheteurs doivent donc budgéter leur choix de manière prospective, en raisonnant en termes de retour sur investissement. Le prix de la business intelligence est directement lié à la gouvernance que les entreprises auront de leurs propres besoins. Aussi doivent-elles se poser d'emblée la question de l'utilité des données exploitées. En réduisant de 50 ou de 70 % les informations injectées dans le système, on abaissera très sensiblement le coût des dispositifs (tant en termes d'investissements initiaux que de coûts cachés).
«Ce qui importe, ce n'est pas le coût d'acquisition lié à l'achat de licences, ce sont les coûts récurrents: coût d'exploitation, taux de retour, effectifs impliqués...», insiste David Lau Lam. Et de mettre en garde contre les sirènes des bas prix. «Attention, un tarif largement inférieur aux pratiques moyennes, cela cache quelque chose et cela finit toujours par se payer.»
IVAN MAILLARD (ACCENTURE):
«L'ECART EN MATIERE DE COUTS CACHES PEUT ALLER DE UN A CENT.»