« Une phase irréversible de progrès »
Loin des heures sombres de fin 95, la SNCF a entamé depuis sa mutation. De l'institution vers l'entreprise. De la seule image du train vers l'image d'une entreprise de service multimodal et européenne. Mireille Faugère, directrice adjointe Grandes Lignes, et Jean-Marie Gerbeaux, directeur de la communication, tracent les grandes lignes de cette évolution.
Je m'abonneComment analysez-vous l'évolution de l'image de la SNCF ?
Jean-Marie Gerbeaux : La nouvelle image a commencé à se
construire il y a 5 ans, après une assez longue période de déclin du
ferroviaire, une morosité cheminotte et un très long conflit social fin 95. Ont
été alors mises en place une politique de volume et une politique commerciale
plus dynamique avec "A nous de vous faire préférer le train". Cela voulait dire
aller chercher des gens dans les voitures et les avions pour les mettre dans le
train. A partir de là, toute la politique de communication était au service de
cette politique de volume. Il y a eu peu de budget de communication
institutionnelle. L'investissement commercial qui tirait l'image s'y est
substitué.
Quels résultats aujourd'hui ?
J-M. G :
L'image du train et de la SNCF allait de pair. Nous avons retrouvé les volumes
avec des taux de croissance conséquents depuis 4 ans. En interne, 73 % des
cheminots sont confiants dans l'avenir de l'entreprise. Ils n'étaient que 24 %
en 1995. Une confiance retrouvée, donc une image interne meilleure.
Ce regain de confiance est aussi basé sur votre projet industriel...
J-M. G : Il a été mis en place en 1997 et couvre la
période 1997-2002. Ce projet, c'est la vision de la SNCF : être en 2002
l'entreprise de service public de référence en France et en Europe. Il consiste
à construire la nouvelle SNCF, une entreprise versus une administration. Mais
aussi une image d'entreprise, chargée de missions de service public, versus
l'image du train. Il faut que l'on aille vers un esprit "A nous de vous faire
aimer la SNCF". Une entreprise de référence, cela implique de se fixer des
standards de qualité, d'exemplarité, aussi bien en France qu'en Europe. Cela
veut dire cesser d'être franco-français pour établir une stratégie à dimension
européenne où, comme le dit le président Gallois, le client est le vrai patron
de l'entreprise. En Europe, il y a des concurrents qui vont venir chez nous et
chez lesquels on va aussi aller porter le fer. L'efficacité, c'est ne pas
perdre d'argent, rééquilibrer les comptes de façon durable, améliorer le
dialogue social dans l'entreprise, être plus performant, offrir un meilleur
service aux clients. Voila l'ossature du projet industriel que l'on doit
réussir d'ici à 2002.
Où en êtes-vous aujourd'hui ?
J-M. G : A mi-parcours. Il y a quelques années, nous avions l'image d'une
institution ferroviaire, d'une machine à faire rouler des trains, guidée et
orientée par la production. Pour s'exprimer comme une entreprise orientée par
le client, il faut devenir un groupe de service de transports. Nous sommes en
train de réaménager le groupe en créant des synergies avec du tramway, du métro
et de l'autobus. Nous allons maintenant offrir une chaîne de services de bout
en bout aux régions, en France comme en Europe. C'est une entreprise un peu
différente qui se dessine.
Vous menez déjà des projets dans ce sens ?
J-M G : Oui, il y a quelques mois nous avons racheté Via
GTI, qui est le premier transporteur privé français. L'entreprise a déjà un
pied à l'étranger, ce qui va permettre de développer des synergies très fortes.
Ces activités étaient avant un peu éparpillées, on ne les faisait pas toujours
jouer ensemble. Il faut maintenant devenir un groupe européen de services de
transports multimodal d'ici à trois ans.
Le contenu de la marque va devoir évoluer...
J-M. G : La SNCF va devenir la marque de
l'entreprise, une marque porteuse d'autres valeurs. Aujourd'hui, c'est le
train. Dans deux ans, elle va devenir l'entreprise et la marque ombrelle des
autres activités : TER, TGV, Fret, Transilien...
Quid de l'identité visuelle ?
J-M. G : La concurrence croissante impose de
donner plus de force à la marque. Etant comparée à d'autres, elle doit rassurer
le client, être une caution. Nous avons donc lancé une étude d'identité
visuelle avec Carré Noir. Aujourd'hui, le logo est très "infrastructure" : ce
sont des rails, c'est enfermé, technique, production, ce n'est pas un logo de
service. Par ailleurs, son utilisation n'est pas flexible. Or, nous avons
besoin d'un outil plus moderne, plus souple, permettant plus de réactivité et
d'efficacité.
Sur quelles bases avez-vous amorcé ce virage ?
Mireille Faugère : Nous avons fait une grande enquête auprès des
clients début 96. Les résultats étaient assez sévères. Les clients disaient
"Vous avez un bon produit, mais il est cher, compliqué et pas accessible". D'où
un travail de fond sur la réforme complète de notre gamme tarifaire. De 96 à
98, on a inventé les tarifs réduits et installé la marque "Découverte" et le
principe du "- 25 % pour tous". Mais aussi des cartes commerciales très simples
: "12/25", "senior" et "enfant plus". On a réussi à faire passer l'idée du
"Vous êtes des clients occasionnels, c'est 25 % de réduction ; quand vous êtes
fidèles, c'est 50 %". De ce point de vue, on s'améliore sur la note que nous
donne notre clientèle, même non utilisatrice, sur l'image de cherté du train.
Dès 1998, un tiers de la croissance du chiffre d'affaires des grandes lignes a
été tiré par les nouveaux produits de la gamme tarifaire. Nous avons
complètement gagné la bataille de la réforme tarifaire. J-M. G : Le président
Gallois disait récemment à des journalistes que 78 % des utilisateurs de TGV
bénéficiaient d'une réduction.
Vous cherchez également à fidéliser ?
M. F : Il fallait que l'on se mette dans une politique de
marketing avec de la reconnaissance client et des relations personnalisées.
Nous avons lancé en 1999 notre programme "Grands voyageurs", une première en
Europe dans le ferroviaire. On compte déjà 50 000 porteurs de cartes en six
mois qui bénéficient des services du programme.
Vous menez également une politique de partenariats...
M. F : C'était
important d'avoir une entreprise ouverte sur le monde extérieur et nous avons
noué des partenariats très forts avec Avis sur la location de voiture, avec
Accor sur le train + hôtel l'année dernière. Nous avons lancé des partenariats
avec les compagnies aériennes pour faire de l'acheminement ferroviaire sur
Roissy et avoir des correspondances sur des vols longs courriers aériens. Nous
avons passé des accords avec Air France bien sûr, mais aussi avec beaucoup de
compagnies, dont United Airlines et American Airlines. Cela change
incontestablement l'image de la SNCF.
Vous rénovez aussi les trains Corail...
M. F : Après la réforme tarifaire, la mise en place des
dessertes cadencées TGV, le développement à l'international, la SNCF devait
moderniser ses trains classiques. C'est un projet d'ensemble pour ces trains
qui sortiront en 2002 : le matériel, l'amélioration des services et des prix.
Comment gérez-vous ce décalage entre lignes classiques et TGV ?
M. F : Le client perçoit les améliorations. Nous avons des
relations de trains classiques sur lesquels on est assez compétitifs. Tant
qu'on est à trois ou quatre heures, on est compétitif par rapport à la route.
Pour être dans le marché, il fallait que l'on entame la réforme des trains
classiques. Et paradoxalement, nous innovons sur ce parc plus ancien, là où on
ne l'avait pas encore fait sur le TGV. C'est important pour les personnels et
pour les clients parce qu'on les étonne. Ils n'attendaient pas d'innovation
commerciale sur ces trains-là.
Vous modernisez également les trains de nuit...
M. F : Nous avons lancé le 24 mai une grande opération
intitulée "Faites de beaux rêves", opération de lancement de nos trains
classiques de nuit avec du service à bord, de l'accueil par les contrôleurs et
le changement de la literie avec des couettes. Là aussi, cela change l'image
par rapport aux couvertures écossaises...
L'année prochaine verra le lancement d'une nouvelle ligne TGV...
M. F : Nous lançons le
compte à rebours ce mois-ci pour le TGV Méditerranée qui circulera à partir de
juin 2001. C'est Marseille à 3 heures de Paris avec des fréquences extrêmement
importantes. Là, on va complètement changer le paysage concurrentiel. Quand on
est à 2 heures de Paris comme sur Lyon, notre part de marché par rapport à
l'aérien est de 90 % ; à 3 heures de 60 % et à 4 heures de 35 %. J-M. G : Des
Bruxellois voyagent désormais par le Thalys pour prendre l'avion à
Roissy-Charles-de-Gaulle.
Quelle sera la ligne suivante ?
M. F : Le TGV Est, en 2006, mettra Strasbourg à 2 h 30 de Paris.
Rennes devrait être, la même année, à 1 h 30 de Paris. Avant cela, il y aura
des améliorations sur l'Eurostar.
Comment vivez-vous l'Internet ?
M. F : Internet, c'est la revanche des marques. Sur le Net, avec
une marque qui a 100 % de notoriété, notre site a été immédiatement très
visité. Sncf.fr et le site de e-commerce enregistrent plus de 2 millions de
visites par mois. Nous sommes le premier site marchand et ce, sans aucun
investissement publicitaire. En 1999, nous avons fait 140 MF de chiffre
d'affaires sur le site. Nous ferons sûrement plus de 400 MF cette année et plus
de 2 milliards en 2003. Nous allons investir pour en faire un site portail du
voyage ferroviaire. Les clients nous poussent dans cette voie. On attire aussi
beaucoup de partenaires du fait de notre clientèle. On s'intéresse de près à la
télévision interactive, au WAP, à la téléphonie mobile... Nous sommes très bien
placés sur cet univers technologique et nous avons un avantage concurrentiel
fort car le train est un univers de communication. Beaucoup de clients prennent
le train parce qu'ils peuvent y travailler et garder le contact avec leur
entourage.
Que prévoyez-vous sur le réseau en Ile-de-France ?
J-M. G : On rénove les gares et, dans un deuxième temps, le
matériel. C'est important parce que la moitié des voyageurs que l'on transporte
tous les jours sont ceux de la Région Parisienne. Il s'agit du programme
Transilien, portant la rénovation de notre réseau en Ile-de-France.
Comment progresse votre climat social ?
J-M. G : Il a
longtemps constitué un point très négatif de notre image. Avec une entreprise
qui avait la réputation de faire beaucoup de grèves, et où le dialogue social
manquait, disait-on. Depuis deux ans, cela s'améliore nettement. Aujourd'hui,
on voit diminuer les conflits et cela devrait contribuer à améliorer l'image.
La SNCF est une entreprise qui est en changement assez profond. Cela ne se voit
pas encore beaucoup à l'extérieur. Mais notre baromètre d'image interne mensuel
montre une évolution rapide de la culture de l'entreprise et une ouverture des
esprits. D'expérience, il faudra qu'il se passe un moment avant que cela ne se
sente en externe. Il y a un décalage qui est en train de se créer entre interne
et externe, avec parfois des frustrations en interne de ne pas être encore
reconnu à l'extérieur. Il faudra que la communication accélère la transmission
vers l'extérieur des bonnes nouvelles internes. Ce qui est important aussi,
c'est que l'on vient d'équilibrer nos comptes pour la deuxième année
consécutive. Cela change complètement l'ambiance et ce que l'on dit de
l'entreprise. Nous sommes entrés dans une phase irréversible de progrès.
Biographies
Mireille Faugère a 44 ans, elle est mariée et a deux enfants. Diplômée d'HEC, elle entre à la SNCF en 1979 et occupe différents postes opérationnels jusqu'en 1982. Elle pilote ensuite les études Marketing à la Direction Commerciale Voyageurs puis, en 86, devient chef de projet économique pour le TGV Méditerranée. En 1993, elle est nommée responsable du département de la Stratégie à la Direction Economie, Stratégie et Investissements. Depuis 4 ans, elle est Directrice Adjointe Grandes Lignes.
L'entreprise
Après un statut de Société Anonyme d'économie mixte pendant 45 années, la SNCF est devenue un Etablissement Public Industriel et Commercial (EPIC) par application de la Loi des Transports Intérieurs (LOTI) le 1er janvier 1983. Elle est pilotée par un comité exécutif présidé par le président Louis Gallois. 23 Directeurs de Régions sont placés directement sous son autorité. La SNCF compte actuellement 174 300 personnes, réparties sur environ 305 établissements. Son chiffre d'affaires a été de près de 78 milliards de francs en 1999. Le trafic 1999 se répartit comme suit : Voyageurs grandes lignes : 50 milliards de voyageurs-km ; Ile-de-France : 9,66 milliards ; services régionaux hors Ile-de-France : 8,13 milliards ; fret : 53,8 milliards de tonnes-km. La SNCF exploite 31 770 km de lignes dont 14 153 km électrifiées parmi lesquelles 1 281 km de lignes à grande vitesse.