« Parler de service, c'est banal mais cela peut faire une vraie différence »
Extrapole, jeune outsider des distributeurs de l'économie culturelle, joue à fond la carte du service, de l'accueil et de "l'hospitalité". Cette stratégie que Philippe Wargnier, son directeur commercial et marketing, définit comme "modeste et concrète", lui a valu un Echo d'Or de la meilleure relation clientèle.
Rappelez-nous la courte histoire de l'enseigne ?
Extrapole a été créée en 1993 par Philippe Mondan qui en est le président et le
fondateur. Il a été précédemment Dg de la Fnac et a décidé de conduire son
propre projet. Cela s'est traduit en 1993 par un premier magasin dans le centre
commercial Belle Epine. Depuis 1998, Extrapole a rejoint le groupe HDS,
Hachette Distribution Service, qui possède, entre autres en France les Relay.
Enfin en 1999, nous avons racheté l'enseigne Furet du Nord qui compte 11
magasins dans le Nord de la France.
Comment peut-on concurrencer un géant comme la Fnac ?
Il faut d'abord un attrait certain pour les biens de l'économie culturelle.
Ensuite, c'est un marché suffisamment large et diversifié pour qu'il y ait de
la place pour plusieurs intervenants. Il n'y a pas une réponse unique mais des
réponses, et réellement l'espace pour que plusieurs personnes puissent
s'affirmer. Philippe Mondan a surtout voulu instaurer un nouveau rapport à la
clientèle en développant un endroit différent. Nous vendons à peu près les
mêmes produits que l'ensemble des distributeurs de l'économie culturelle, mais
avec une recherche de convivialité, de proximité avec la clientèle ; la
recherche d'une certaine hospitalité, c'est-à-dire accueillir les gens comme
s'ils étaient chez eux et qu'ils s'y sentent bien. Qu'Extrapole soit un lieu de
détente et de découverte.
Concrètement, par quoi cela passe-t-il ?
D'abord une alchimie qui se dégage des différents métiers. Nous
avons été les premiers à associer disques, livres, papeterie, multimédia et
notion de service. Par la façon d'accueillir, de recevoir le client. L'achat
est la résultante de l'atmosphère et de ce qui se passe dans le magasin. C'est
quelque chose d'important.
Qu'offre Extrapole que l'on ne trouve ailleurs ?
Beaucoup de services. Une carte de fidélité qui offre
des avantages importants et qui récompense largement la fidélité. Nous avons un
espace café dans tous les magasins. Les gens peuvent s'asseoir, prendre un
verre et lire. Il y a des canapé... des services de démonstration, des bornes
internet, la possibilité de faire des photocopies, d'aller aux toilettes...,
c'est un détail mais on a véritablement le souci du confort du client. Tout le
magasin est organisé pour qu'un client, avec une idée précise en tête, puisse
trouver ce qu'il cherche et l'acheter en moins de deux minutes et, en même
temps, qu'il puisse passer un bon moment dans un contexte de loisirs. Chacun
peut faire comme il veut et ce, jusqu'à minuit tous les jours.
Connaissez-vous les évolutions des attentes en matière de culture ?
Il y a plusieurs choses. D'abord le produit prescrit par tous
les moyens marketing mis en oeuvre par les éditeurs. Toute la difficulté réside
dans le fait que l'on est sur un fonds de catalogue extrêmement riche, cela se
compte par centaine de milliers de références. En vidéo, il y a six cent
nouvelles références par mois... Tout notre métier, en tant que spécialiste du
commerce de biens culturels, c'est de faire des choix, de les affirmer, de les
reconnaître et de les faire partager par notre clientèle. Dans l'immensité de
l'offre, c'est à nous de guider, de faire ressortir nos sélections.
Mais encore ... ?
L'année 2000 a été très bonne pour le
livre, média pourtant ancien, qui a connu des périodes assez difficiles. Le
marché a progressé de 5 %, ce qui est important. On l'explique par une bonne
qualité des parutions, un engouement du public et sans doute grâce à des
magasins comme les nôtres qui aident à promouvoir la culture. Nous essayons de
faire en sorte que le public puisse mieux rencontrer les auteurs. On développe
nos propres prix, comme le Prix de la BD que nous décernons tous les ans depuis
trois ans. Cela finit par compter puisque l'on arrive à faire des pourcentages
très importants sur ce secteur en étant sélectionneur. Il y a quand même une
vraie distinction entre les magasins spécialistes comme nous et les magasins de
grande distribution. Nous avons le souhait d'offrir des gammes beaucoup plus
larges avec de vraies spécialisations, ce qui permet d'avoir une réponse
beaucoup plus étendue. Pour que des gens qui ont découvert quelque chose sur un
mode un peu grosse cavalerie arrivent à rechercher des choses véritablement
plus pointues. Là, nous avons un rôle déterminant dans cette propagation. A
titre d'exemple, notre part de marché sur le disque qui est encore modeste,
(sur tout le groupe, Extrapole et le Furet du Nord), représente 1,5 à 2 % du
marché. Sur la région parisienne, où nous avons beaucoup de magasins, on peut
considérer que l'on double notre part de marché nationale à 4 %. Tout confondu.
Mais si l'on prend dans ce marché des jeunes artistes en développement, des
produits un peu particuliers, etc., nos 4 % ne sont pas loin de représenter 20
% du marché des produits spécialisés. Nous sommes un point de passage obligé
avant que de jeunes artistes ne se retrouvent médiatisés à outrance.
Quelle place faites vous aux petits éditeurs ?
Nous
travaillons avec eux, nous les référençons. On s'inscrit complètement dans
l'esprit défricheur de jeunes talents. Ce qui d'autant plus facile que tous nos
vendeurs sont spécialisés.
Font-ils l'objet d'une formation particulière ?
Il n'y en a pas vraiment. Mais il est sûr que
devenir libraire, ce sont des années de travail et aussi des goûts personnels
naturels. C'est vraiment un métier de passion. Mais nous restons une enseigne à
taille humaine. Chacun travaille sa clientèle. Ici, à Paris, on est plus
intello, le rayon sciences humaines est important. A Paris Nord, notre première
vente en rayon disque, c'est le rap. Nous avons là-bas des spécialistes du rap
extrêmement pointus. A tel point que, pour l'anecdote, lorsque l'un de nos
vendeurs a été hospitalisé, certains clients l'appelaient sur son lit d'hôpital
pour lui demander des conseils !
Quels sont vos "plus" et "moins", comparés à la Fnac et Virgin ?
Par rapport à la Fnac, on est plus
convivial, plus accessible et moins élitiste. Nos vendeurs sont chaleureux et
jamais suffisants. Résultat, les gens n'ont pas de gêne à aller poser des
questions qui paraîtraient banales ou désuètes dans des endroits comme la Fnac.
Il y a un contact clientèle très différent. On n'est pas dans un concept
aseptisé. Ca vit, ça bouillonne. On est plus ouvert et hospitalier. Quand on
parle de service, ça paraît banal mais cela peut faire une vraie différence.
Quand vous demandez quelque chose à un vendeur, il ne vous dit pas "première
étagère à droite", il vous y emmène. Il est prêt à considérer votre demande
dans sa globalité ; il ne va pas seulement lever sa tête de son écran. Quant à
Virgin, l'enseigne est plus typée disques. Nous avons plus réussi l'alchimie
entre les différents métiers. Et cela sans compartimenter d'un point de vue
architectural. Où que se porte le regard, vous voyez des gens parce que nous
avons choisi un mobilier bas qui laisse de la visibilité. Le positionnement de
Virgin est surtout lié à la personnalité de Richard Branson, qui porte
l'enseigne. Il a un côté provoc' qui rejaillit sur le positionnement de
l'enseigne. Ils se sont installés dans un certain nombre de combats : ouverture
le dimanche, etc.
Vous prévoyez d'être présent sur Internet ?
Notre site devrait voir le jour dans le courant du mois de
février. Et nous devrions proposer très vite une réponse liée au e-commerce. En
revanche, nous envisageons de le faire d'une façon un peu originale et
complètement différente de ce que peuvent faire d'autres enseignes. Pour cela,
nous allons nous rapprocher de partenaires dont c'est le métier. Soit
l'association du clic et du mortar.
Quels sont vos objectifs à moyen terme ?
Aujourd'hui, nous sommes autour de 2 % du marché
pour une enseigne qui n'existait pas il y a sept ans. Nous voulons poursuivre
son développement par l'acquisitions et l'ouverture de nouveaux magasins. Un
prochain devrait ouvrir dans l'année à Nice. En confortant notre activité sur
la France, nous souhaitons d'ici quatre à cinq ans, devenir un intervenant
européen majeur sur le marché des biens culturels.
Allez-vous conserver la marque Furet du Nord ?
A l'occasion des travaux qui
se réalisent, nous exportons les principes Extrapole dans les magasins Furet.
Extrapole s'imposera progressivement, mais en association avec la marque Furet.
Aujourd'hui, elle est très forte dans le Nord de la France et il est impossible
d'envisager de la débaptiser. Pour l'instant, le Furet est plus connu dans le
Nord qu'Extrapole. De plus, nous ne sommes pas dans une démarche quantitative.
Nous prenons le temps de faire les choses, ce qui veut dire que notre notoriété
croît tranquillement mais les gens qui nous connaissent ont une bonne
appréhension de l'enseigne. Nous prévoyons donc d'ouvrir de nouveaux magasins
de façon régulière. Lorsque nous avons racheté le Furet du Nord, nous avons
doublé de taille et il a fallu harmoniser l'ensemble. C'est 40 ans d'histoire
et de pratiques. Nous avons donc deux enseignes à gérer, même si nous
travaillons toutes les synergies. Nous avons, par exemple, lancé notre premier
catalogue commun. Mais les choses se font toutes seules lorsqu'elles sont
mûres. Aujourd'hui, ça ne l'est pas encore.
D'autres projets ?
Nous sommes avant tout des vendeurs de contenu. On ne vend que
du soft. Il y a de nouvelles façons de présenter le soft. Notre positionnement,
c'est d'être des magasins culturels multimédia et je crois que l'on peut aller
encore plus loin dans le fait de rendre les magasins encore plus multimédia.
Quelles sont vos enseignes étrangères favorites ?
Les
librairies Waterstone en Angleterre. Elles sont conçues sur plusieurs niveaux
avec des univers différents. On est plus dans le registre de l'évocation et de
la subtilité ; ce qui est un axe important et très intéressant. On peut
affirmer des choses avec des petites touches qui font la différence. Ces
enseignes travaillent également le merchandising de façon très intéressante ;
elles changent la mise en scène des produits avec les mêmes stocks.
Des concurrents comme Amazon vous effraient-ils ?
Je ne
me sens pas directement concurrent d'Amazon. Par rapport au fait d'être les
challengers, nous sommes sur un marché qui est vraiment en devenir. On est dans
une société de loisirs, on vend des produits de loisirs. Il n'y a pas une
réponse Fnac, une réponse grande distribution et rien entre les deux. Je crois
qu'au contraire, il y a des contextes et des ambiances différentes. La preuve :
nous captons notre clientèle. Elle nous est fidèle. Nous avons plus de 15 000
adhérents, ce qui est beaucoup compte tenu de la jeunesse de l'enseigne. Le
plus difficile, c'est de faire venir les clients chez Extrapole, après ils sont
gagnés. Comme on peut le lire sur nos livres d'or. Donc la clé du succès, c'est
de les faire entrer. Les clients ne s'y trompent pas puisque nous venons d'être
récompensés d'un Echo d'Or de la meilleure relation clientèle. Cette étude est
faite en interrogeant les clients. Ce n'est pas le microcosme qui fait son
petit jury. Les gens ressentent cette parenthèse qui se passe chez Extrapole et
c'est cela qui fait notre succès. Avec une réponse spécifique et originale,
nous n'avons aucune raison de redouter une quelconque concurrence. Nous avons
une vraie place à prendre et ensuite, que le meilleur gagne.
Allez-vous céder à la vogue du consumer magazine ?
Nous
sommes une jeune enseigne et nous devons faire des choix. Ce n'est pas une
priorité. Nous avons déjà une feuille d'informations qui s'appelle Quartier
Libre. Nous préférons en faire moins mais le faire bien.
Que pensez-vous d'Epok ?
Cela me paraît pertinent à deux titres.
C'est, d'une part, interessant d'avoir un support qui lie la Fnac à ses
clients. Et d'autre part, plus astucieux, c'est la couverture médiatique que
cela leur garantit compte tenu de tous les pigistes qu'ils font travailler. Ils
jouent sur des renvois d'ascenseur évidents. Quand un journaliste travaille
dans d'autres supports, cela devient difficile pour lui de ne pas parler de la
Fnac.
Biographie
Philippe Wargnier 41 ans, marié, 4 enfants. Après une maîtrise d'économie appliquée et un DEA de politique générale des organisations à Dauphine en 1983, il commence sa carrière chez Burke Marketing en tant que consultant. En 1986, il entre chez Chocolat Poulain (Cadbury Schweppes) où il évolue en huit ans de chef de produit à directeur marketing. En 1994, il intègre le groupe Intermarché comme directeur marketing pour l'ensemble des filières d'achat. Il y développe notamment la stratégie des marques propres. En 1997, il rejoint la maison-mère et devient directeur général adjoint de ITM Marchandises Internationales. Depuis 1999, il est directeur commercial et marketing d'Extrapole.
L'entreprise
Extrapole est née en septembre 1993 avec un premier magasin dans le centre commercial Belle Epine (94). Nombre de magasins Extrapole : 10 dont 1 à Varsovie ; Furet du Nord : 11. CA 2000 : près de 1 milliard de francs. Effectifs : 869 salariés. Répartition du CA : disques 32 %, livres 31 %, logiciels 15 %, papeterie 13 %, presse 1 %.