«Nous sommes à la fois opportunistes et réactifs»
L'outsider du marché de l'eau agace Nestlé et Danone et joue sans cesse de créativité pour remuer le marché. Sur la base d'un "marketing simple et pragmatique", selon les termes de Thierry Boidé, son directeur général, le groupe Neptune Distribution s'infiltre peu à peu sur l'ensemble des créneaux du marché. En favorisant des eaux aux bénéfices objectifs, sur lesquelles il est plus facile de communiquer.
Comment évolue le marché de l'eau ?
Aujourd'hui,
la progression du marché de l'eau en bouteille est surtout liée au désintérêt
pour l'eau du robinet. Les gens pensent de plus en plus à leur santé, à leur
bien-être. Deux secteurs progressent fortement : le premier prix et les niches
ainsi que les marques fortes comme St-Yorre qui, ces dernières années, ont
communiqué sur leur bénéfice, études scientifiques à l'appui. Bien que d'un
prix élevé, elles sont en progression parce que les gens y trouvent un profit
santé.
Des eaux comme St-Yorre, Vichy Célestins, Thonon...
Thonon a plutôt des difficultés dans le coeur du marché
des marques comme Evian, Volvic, Vittel... Elles sont attaquées par les eaux à
réel bénéfice santé, les eaux premiers prix et les marques distributeurs. Ces
dernières années, les distributeurs ont fait énormément d'efforts pour avoir
chacun leur eau minérale aussi bien plate que gazeuse.
Travaillez-vous aussi pour des distributeurs ?
Notre
marque Châteauneuf est la "marque repère" de Leclerc en eau minérale gazeuse
naturelle. Dans la législation, vous ne pouvez pas faire trente-six marques sur
un même forage et faire avec cette même eau une eau "Carrefour", une eau
"Continent"
Vous avez contourné le problème avec Cristalline ?
C'est différent, c'est une législation d'eaux de sources et
dix-sept sources différentes peuvent exploiter une même marque. Sur chacun des
sites, il y a un forage Cristalline qui ne fait que de la Cristalline.
Ce lancement a dynamisé votre groupe...
Dans les années
90, nous nous sommes aperçus que nous avions plusieurs sources avec des noms
différents. Parallèlement, les médias ont commencé à communiquer sur les
méfaits de l'eau du robinet. Cela a favorisé le marché de l'eau embouteillée et
notamment Cristalline, l'eau à un franc, qui est aujourd'hui le leader en
volume. Evian rectifie tout de suite en disant qu'en valeur cela fait moins.
Bien sûr, Evian vend son eau 3 francs. Et nous ne faisons pas trois fois leurs
volumes...
L'astuce de Cristalline, c'est la campagne nationale...
En 1990, nous nous sommes dits : plutôt que d'avoir
des marques différentes dans chacun de nos sites, imposons une marque et
appelons la Cristalline partout. Il y a donc eu tout à fait naturellement une
grande diffusion de la marque.
Comment évolue la perception de l'eau du robinet ?
Les gens n'ont plus confiance. Les médias font
tout pour cela. La Bretagne, par exemple, avec les élevages de porcs et les
forts rejets de nitrates, est l'une des régions où l'eau premier prix se
développe le plus et notamment le bidon de cinq litres. Les gens l'achètent
pour faire leur café, la cuisine... C'est dire à quel point, pour eux, l'eau du
robinet n'est pas bonne.
De quelles informations fiables dispose-t-on sur les répercussions de la consommation de l'eau du robinet ?
Aujourd'hui, on n'a rien, à part beaucoup de craintes. C'est
valable pour l'eau mais aussi pour beaucoup de produits... Le consommateur a un
peu peur de tout ce qu'il mange.
Que faites-vous pour échapper à ces psychoses ?
De plus en plus nous achetons des terrains autour
de nos sources, pour avoir une zone de protection non cultivée. On les
entretient naturellement ; on fait des périmètres de 500 m à 1 km de diamètre
autour du forage. Soit plusieurs centaines d'hectares.
Comment évolue la perception du consommateur concernant les différences entre eau de source et eau minérale ?
Pour lui, l'eau de source, c'est l'eau
pas chère, et l'eau minérale reste (avec notre culture thermale) celle qui
apporte quelque chose. On la boit parce qu'il y a des minéraux, du calcium, du
magnésium, des bicarbonates pour la digestion...
Il y a donc des eaux objectivement plus actives que d'autres ?
Oui, d'ailleurs
nous avons réalisé des études scientifiques sur des athlètes. Certains ont bu
de la St-Yorre et d'autres de la Thonon gazéifiée. C'est une eau plate riche en
minéraux, sur laquelle vous ne pouvez pas communiquer réellement sur un
bénéfice santé, sauf à coup d'efforts marketing comme fait aujourd'hui Evian en
disant "c'est l'eau des bébés". L'étude portait sur l'hydratation, l'acidose
(l'acide lactique qui donne des crampes et crée des courbatures) et la
récupération en fin d'effort. Sur ces trois paramètres, St-Yorre se détache
nettement des deux autres testées en aveugle. C'est l'eau la plus riche du
marché en bicarbonates qui est un anti-acide et donc combat l'acidose.
Quelqu'un qui boit de la Saint-Yorre en fin d'effort a une performance physique
de 10 à 20 % supérieure. Pour le faire savoir, nous faisons des opérations, des
partenariats sportifs comme, par exemple, avec les fédérations de football et
de rugby.
Et si on la met en parallèle avec Badoit ?
Badoit n'a pas la teneur en bicarbonates de St-Yorre ni les études
scientifiques qui peuvent prouver ses bienfaits. Badoit s'est attribuée le
territoire de la table, en disant "l'eau gazeuse fait digérer", mais elle ne
peut pas revendiquer le même bénéfice digestion ni le même actif. L'année
dernière nous avons conduit une étude sur ce que l'on appelle le reflux
gastrophagien (ou brûlure d'estomac). Grâce à sa teneur en bicarbonates,
St-Yorre a un effet aussi bénéfique qu'une pastille Rennie ou qu'un Maalox.
Que fait-on quand on est ni une eau de source, ni une eau minérale au bénéfice clair ?
Avec Thonon, qui a la même neutralité
qu'Evian, nous nous sommes attribué le territoire de la citoyenneté. Depuis
trois ans et en partenariat avec l'ONF, quand vous achetez une bouteille et que
vous renvoyez des points, la marque s'engage à reboiser et à nettoyer des
forêts. Le consommateur, préoccupé par l'environnement et l'écologie, se dit
"J'achète" ! Ca, c'est du marketing !
Allez-vous tenter le créneau des "eaux à valeur ajoutée"...
Le consommateur aujourd'hui veut
une eau vraiment puisée et naturelle, qui fait du bien naturellement. Pas un
produit artificiel ou fabriqué. Nous restons attentifs à ce qui va se passer.
Vous préférez jouer les aromatisés ?
Oui, car c'est un
marché qui progresse, il y a un quasi-monopole de certains de nos concurrents.
Nous avons lancé Vichy Fraise, notre seul format actuel en aromatisé, parce que
nous avons une place à prendre. D'ailleurs on le voit : nous sommes à 2
millions et demi de cols cette année. Nous lancerons peut-être un autre parfum
l'année prochaine.
Quelles études prospectives menez-vous ?
Nous n'avons pas forcément de perspectives à long terme. Nous
sommes à la fois opportunistes et réactifs. Avec Courmayeur, une source que
notre président a achetée, il y a trois ans en Italie, nous voulions attaquer
le marché italien. En regardant sa composition, nous nous sommes dit "C'est
presque de la Contrex". Or, nous n'étions pas présents sur ce segment en
France. L'opération a été montée très vite ; toute la distribution nous a
référencé. Côté consommateur, l'objectif des 30 millions de cols la première
année sera dépassé. A trois ans, nous devrions être à 100 millions de
bouteilles. Ce qui est bien pour un lancement de produit. Comme nous sommes
soucieux du porte-monnaie du consommateur, nous avons décroché le prix de 50
centimes par rapport à Contrex. Et puis il y a le phénomène nouveauté, des
codes couleurs inédits, une belle bouteille...
Le goût des eaux est-il toujours un facteur de fidélisation aussi important ?
Oui,
surtout pour les eaux gazeuses. Nous avons des eaux assez typées : St-Yorre et
Célestins. Cela peut être segmentant mais nous avons le taux de consommateurs
les plus fidèles sur nos marques. Les distributeurs ont voulu lancer des eaux
gazéifiées par ajout de gaz carbonique. Cela a été un flop complet parce que ce
sont des eaux qui n'ont pas de goût. Et, quand un consommateur veut une eau
minérale gazeuse, il veut un goût et des fines bulles. Or, une eau gazéifiée,
c'est forcément une grosse bulle et pas du tout naturel. C'est pour cela qu'ils
ont cherché des industriels capables de lancer des marques comme Châteauneuf.
Que révèlent les tests à l'aveugle ?
Vernière est très
proche de Badoit. A l'aveugle, 9 consommateurs de Badoit sur 10 se trompent.
Difficile aussi de faire la différence entre Thonon et Evian. Même pour un
grand buveur d'eau. Idem pour Cristaline avec certaines. En revanche, vous ne
pouvez pas vous tromper entre une St-Yorre et une Badoit.
Il subsiste une grande part de culturel dans la consommation des eaux, comme dans le choix des lessives ?
C'est moins vrai aujourd'hui, car le
consommateur zappe de plus en plus sur les marques. C'est un marché qui
progresse certes mais avec tous les ans, l'arrivée de un, deux, voire trois
intervenants, ou d'une marque nouvelle.
Comment vous situez-vous par rapport à Nestlé et Danone ?
Nestlé fait 220 milliards de
francs de chiffres d'affaire dans le monde, Danone 160 et nous 11 (en
comprenant nos activités bière et vin). Nous avons une position de challenger
et de numéro trois. Nous entendons bien la défendre, continuer à lancer de
nouvelles eaux, faire progresser des marques dites anciennes. Alors que Perrier
et Badoit ont régressé l'année dernière, St-Yorre et Célestins ont progressé.
Nous serons toujours le n° 3 en termes de taille, mais en termes d'innovation,
d'action marketing, de commercialisation de nos produits, nous sommes numéro
1.
Quant à vos relations commerciales ?
Le groupe
Neptune est né lors de l'OPA de Nestlé sur Perrier. A cette occasion, Nestlé
récupérait les marques St-Yorre, Célestins et Thonon. La commission de
Bruxelles a voulu qu'il y ait un troisième intervenant sur le marché. Il n'y a
donc aucun danger de rachat par l'un des deux leaders. En revanche, dès qu'ils
peuvent nous faire une petite misère... ! Ils sont un peu surpris du succès de
Courmayeur qui, il est vrai, touche Contrex de plein fouet. Danone projetait de
lancer une eau minceur, nous les avons un peu doublé. Compte tenu des moyens
déployés par Danone pour lancer Talians, nous considérons cela comme un flop.
Courmayeur a deux fois plus de rotation en linéaire. "L'eau des os", cela fait
un peu grabataire. Aujourd'hui, les gens vieillissent mieux et ils n'ont pas
envie même à 60 ans qu'on leur dise qu'ils sont des vieillards.
Comment sont vos relations avec la distribution ?
Très
bonnes, nous jouons notre rôle de challenger. Dans les négociations, nous
sommes relativement importants avec un portefeuille de marques qui est complet.
Par rapport à Danone et Nestlé, la distribution a besoin d'un troisième
intervenant qui vienne un peu souder le marché et qui ne laisse pas les deux
autres créer une entente illicite face à laquelle elle devrait faire face.
C'est pour cela que la distribution a fait un très bon accueil à Courmayeur.
Vous relancez Pschitt... !
C'est lancé. Nous attendons
la licence Pokémon, pour mettre Pschitt Pokémon en linéaire vers
octobre/novembre et nous serons au même moment sur TF1 avec, bien sûr, des
primes à gagner.
Biographie
Autodidacte, Thierry Boidé, 39 ans, marié, un enfant, débute sa vie professionnelle en 1981, au sein d'une entreprise familiale vendéenne de travaux publics. Il intègre en mai 1989 le Groupe Castel, où il prend la direction du site Cristalline à Saint-Martin-de-Gurçon en Dordogne. Jusqu'à fin 1992, il s'implique également dans la gestion commerciale et la distribution pour la région grand Sud-Ouest. En janvier 1993, il prend la direction de la source Vernière à Lamalou-les-Bains avec pour objectif stratégique d'en faire une marque nationale. En 1994, il ajoute à ses fonctions de directeur du site, celles de directeur national des ventes de Neptune Distribution. En 1995, il devient directeur des grands comptes et prend la responsabilité du site Cristalline de Saint-Médard (Dordogne). En mars 1998, il est nommé Directeur Général de Neptune Distribution.
L'entreprise
Le groupe Neptune a été créé en juin 1993. Il exploite et commercialise plus de 10 marques d'eau minérale naturelle et d'eau de source (Chateldon, Pierval, St-Yorre, Thonon, Vernière, Vichy Célestins, Vichy Fraise). Il est le troisième acteur sur le marché français avec plus de 25 % de part de marché. Le groupe a réalisé en 1999, un chiffre d'affaires de 1,02 milliard de francs dont 14 % à l'export. Il a produit 1,2 milliard de cols en 1999 et compte 100 personnes.