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PHILIPPE LEMOINE / LASER: «Quelles limites pour un nouveau monde numérique?»

Publié par La rédaction le
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On ne peut plus avoir la naïveté de considérer le numérique comme un espace immatériel illimité. Les data centers polluent, les ordinateurs chauffent, le numérique est bourré de métaux rares: il ne peut faire abstraction des contraintes écologiques. Mais avec le numérique, on est entré dans un autre régime de modernité. Les repères se déplacent et c'est de cela qu'il faut parler. Au lieu de se pencher sur la croissance de l'économie, il faut s'intéresser à sa métamorphose. La question n'est plus celle des limites de premier ordre, mais celle des externalités et - en quelque sorte - des limites de second ordre.

Vers une métamorphose de l'économie

Nous sommes dans des économies dont le capital est financier, dont l'emploi est tertiaire, dont les schémas de gouvernement sont industriels, mais dont les principes vivants sont d'un autre ordre. On ne sait plus quelle est la valeur d'un bien et encore moins d'un actif. La loi de Gresham disait que la mauvaise monnaie chasse la bonne... Nous sommes face à une super-loi de Gresham! Le numérique devient le nouvel équivalent général, la monnaie perd sa signification. Le numérique passe à l'échelle nano et la quantité de flux et de déplacements comptabilisés dépasse l'entendement. On trace un par un les téléchargements, on apprend à spéculer sur des microvariations de cours. La monnaie fait mine de rivaliser et monétise le plus possible de compteurs. La masse monétaire enfle. Le numérique chasse la monnaie.

Sur Internet, on peut choisir à qui l'on prête, avec qui on s'associe. Tout ceci est bien matériel, mais il n'y aura bientôt plus d'économie réelle au sens courant. L'entreprise intégrée perd de sa superbe.

Les schémas d'innovation pertinents sont ceux de l'économie-pollen où des acteurs installent des?«hubs», des plateformes à vocation mondiale sur lesquelles des multitudes de nanoentrepreneurs vont aller faire leur miel. Des alliances inédites s'organisent entre acteurs hétérogènes: très grandes et très petites entreprises; entreprises cotées et auto-entrepreneurs; ONG et entreprises solidaires. Les jeunes ne s'y trompent pas. Quand on regarde où veut travailler un jeune diplômé, deux pics émergent: Google et le social business.

Nous sommes face à une métamorphose de l'économie. Des manifestes qui tentent de décrire les nouveaux régimes de relation, de propriété, de valeur, de circulation, de réparation émergent.

De l'affirmation des frontières à la revanche des externalités

Avec ce terme d'externalité, Alfred Marshall avait tracé une frontière entre ce que traite l'économie et qui s'échange sur les marchés d'une part, et les questions d'éducation, de santé, de pollution, qui relèvent de la collectivité, d'autre part.Ce n'est sans doute pas un hasard si l'on a commencé à s'interroger sur les limites de la croissance au moment où émergeait le féminisme moderne.

Aujourd'hui, les entreprises sont obligées de réinternaliser les externalités dans leurs stratégies de création de valeur. L'horizon de l'économie, c'est le green, la santé, l'éducation, le développement personnel, la base de la pyramide. Précaires et clients est même le titre d'un livre qui vient de sortir. Même en France, les entreprises doivent se situer par rapport à la pauvreté. A l'échelle du monde, on ne peut plus oublier les 3,5 milliards d'êtres humains qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. La réalité, c'est que nous sommes au début d'une démarche visant à donner un sens à deux forces aujourd'hui déchaînées: la puissance de la technologie et l'attraction des imaginaires par la prolifération des datas. Ce sens, je suis persuadé qu'il émergera à travers des combats démocratiques.

PHILIPPE LEMOINE

@ PHILIPPE LEMOINE

PHILIPPE LEMOINE

PHILIPPE LEMOINE est le p-dg de LaSer, société de services et filiale des groupes Galeries Lafayette et BNP Paribas. Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris (Service public), diplômé d'études supérieures d'économie, licencié en Droit et lauréat du concours général de droit civil, il a commencé une carrière de à l'Inria (1970). En 1976, il rejoint le ministère de l'Industrie. En 1984, il rejoint le groupe Galeries Lafayette, dont il devient coprésident du directoire en 1998. En 2005, Philippe Lemoine a rejoint LaSer, qui emploie 6 000 salariés en Europe.

La rédaction

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