Grande consommation Le pari de l'intégration des canaux relationnels, Cesoir joue la complicité 1/2
Comment reprendre contact avec le consommateur final en dépit de l'écran opaque de la grande distribution, titulaire d'un quasi-monopole relationnel ? En se dotant d'outils de collecte de l'information et en animant des programmes d'offres relationnelles et transactionnelles segmentées. Pratiques et nouvelles perspectives.
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« Tous les clients ne sont pas égaux. » C'est en partant de ce constat peu
démocratique que Brian Woolf, auteur de l'ouvrage Le Marketing de la différence
(Ed. Village Mondial), a posé les bases de sa théorie inspirée d'une mission
d'expert mandaté par Coca-Cola - au sein de Coca-Cola Retailing Research
Council -, pour analyser les expériences des chaînes de distribution
alimentaire gestionnaires de cartes de fidélité. L'occasion de se rendre compte
à quel point les clients étaient souvent méconnu... et de se forger une
certitude : « L'exploitation intelligente des informations sur les clients peut
jouer un rôle décisif dans l'adaptation de la stratégie d'un distributeur. »
Jusque-là, rien de très nouveau. L'objectif ? « Mettre en place des systèmes
efficaces et rentables pour différencier l'offre en fonction des clients. »
Pour cela, il faut "dé-moyenniser" les clients et les offres afin de tenir
compte de la diversité des clientèles et d'optimiser la rentabilité. Au
distributeur de commencer par identifier quels sont les comportements qu'il
veut récompenser. Veut-il plus de clients ou de meilleurs clients ? Est-il
important d'augmenter le chiffre d'affaires ou la rentabilité ? Ensuite, quels
sont les comportements recherchés et comment les récompenser de façon efficace
? Sachant que pour Brian Woolf, le comportement suit la promesse de récompense.
Et non l'inverse : en organisant des périodes de promotions, de soldes, les
grands magasins ont depuis quarante ans "appris" à leurs clients à attendre un
événement exceptionnel pour faire leurs achats. Et, qui n'a pas attendu la
dernière relance d'abonnement à une revue pour re-souscrire, sachant que ce
serait celle qui offrirait les conditions les plus avantageuses ?
SUSCITER LES BONS COMPORTEMENTS
Un distributeur qui
accorde 10 % de réduction à tous ses clients seniors qui viennent faire leurs
achats le lundi, sait générer les comportements qui l'intéressent. En analysant
sa base de données, l'auteur du Marketing de la Différence a constaté que deux
tiers des dépenses hebdomadaires de cette catégorie de clients étaient
désormais réalisés le lundi. Soit un chiffre cinq fois plus élevé que pour les
autres clients, qui ne dépensent que 13 % de leur budget hebdomadaire ce
jour-là. Autre exemple : avec l'offre d'une dinde gratuite aux clients qui
dépensent au moins 50 dollars par semaine pendant les deux mois précédant
Thanksgiving, le nombre de foyers dont les dépenses hebdomadaires sont
supérieures à ce montant a augmenté de 20 % par rapport à l'année précédente. «
L'enjeu des programmes relationnels est d'entretenir un dialogue impliquant
avec des clients à potentiel - les gros et ceux dont on peut développer le taux
de nourriture -, pour accroître sa part de marché dans un contexte
d'intensification de la concurrence et d'hyper-segmentation », résume Marc
Vautier, directeur associé du groupe D. « C'est même la seule justification
d'une politique de marketing direct », insiste Marie-Cécile Lebard, responsable
de Service Plus, le service consommateurs de Lever. D'où la volonté des marques
de grande consommation de se forger leurs propres outils de connaissance et de
dialogue en fidélisation comme en conquête. Mieux connaître ses consommateurs
pour mieux les cibler et leur parler. De ce point de vue, qu'ont apporté les
mégabases du type Consodata (3 millions de foyers) et Claritas (près de 4
millions de foyers) ? « L'apport majeur des mégabases est d'aider les
fabricants à mieux comprendre qui sont leurs clients et à viser les profils à
potentiel », résume Olivier Noël, directeur commercial de Claritas, qui a
récemment développé en collaboration avec Sécodip un modèle prédictif qui
permet d'identifier des consommateurs à potentiel. Mais ce n'est pas tout : «
Un fabricant tirera profit des mégabases pour bâtir une typologie clients,
identifier et valider un potentiel par enseigne voire par magasin, choisir un
partenaire en affinité avec sa marque, ou un média de communication », ajoute
Roger Coste, directeur général de Consodata France. « Les mégabases sont
surtout intéressantes à des fins statistiques car elles sont beaucoup plus
fines que les panels. Mais, une fois que l'on a identifié des profils de
consommateurs qui boivent du café et du chocolat, encore faut-il les trouver
dans la population global... Les mégabases ne représentent que 10 à 15 % de la
population française », nuance Jean-Louis Ferry, dirigeant de Directis. Et
puis, acheter une question au sein de leurs questionnaires-fleuve n'est pas
toujours une bonne affaire. « Nous avons arrêté de sponsoriser des questions
car l'adresse nous revenait trop cher », confie un chef de produit d'une
multinationale alimentaire. C'est sans doute dans le domaine du géomarketing
que leur efficacité a d'abord été éprouvée et reconnue. Il s'agit de générer du
trafic dans les points de vente où ses produits sont référencés (ou en voie de
l'être), en ciblant des foyers à potentiel de la zone de chalandise. « Nous
avons des outils, comme Consomap, qui permettent d'optimiser la distribution en
visant les quartiers où la pénétration d'une marque est particulièrement forte,
explique Thomas Fabri, responsable géomarketing chez Consodata. En distribuant
seulement 30 % des boîtes aux lettres, on touchera 50 % de la cible recherchée.
»
CIBLER DES FOYERS À POTENTIEL
Une distribution d'ISA
en boîtes aux lettres peut être un argument décisif dans une négociation de
référencement. « En trade, le principe est souvent de caler la distribution
d'imprimés sans adresse sur l'arrivée du produit en magasin et la mise en place
de la tête de gondole magasin par magasin », explique Philippe de Baleine,
responsable des marchés grande consommation chez Médiapost. Quand une marque
veut lancer - à grands renforts de bons de réduction - une nouvelle eau
minérale gazeuse, elle visera dans les zones de chalandise où elle est
référencée, les sur-consommateurs de produits équivalents. Une sélection qui
s'effectuera en partenariat avec un gestionnaire de mégabase comportementale.
L'objectif peut aussi être de pratiquer une fidélisation défensive. « Prenons
l'exemple d'une marque de lessive pour lave-vaisselle en difficulté dans deux
enseignes, qui souhaite gagner des mètres de linéaires et recruter de nouveaux
clients », propose le responsable de Médiapost. Le fabricant va distribuer 2
millions d'échantillons sur les zones de chalandise en adaptant ce volume de
distribution en fonction des facings obtenus. Le ciblage visera des quartiers à
fort taux d'équipement en lave-vaisselle (70 % contre une moyenne nationale de
42 %). Cette opération a permis au fabricant qui a réalisé deux campagnes dans
l'année, d'augmenter sa part de marché d'environ 5 %. Les taux de remontées
d'imprimés avec échantillons et bons de réduction figurent parmi les plus
élevés. Milka a utilisé la formule pour le lancement de deux nouvelles
références début 99, Tendre Croquant et Mille Eclats. « Le ciblage visait des
CSP A et B, adultes dans la France entière », déclare-t-on chez Kraft Jacobs
Suchard. Des foyers qui ont su apprécier la générosité de l'échantillon - une
mini-tablette de 40 g, parfaite réplique de sa grande soeur en linéaire -
puisque la marque estime avoir bénéficié d'un excellent taux de remontées, de
l'ordre de 5,5 % sur un total de 1 million d'exemplaires distribués, dont 800
000 avec échantillon. De quoi enrichir la base de données maison !
UNE BASE SÉLECTIVE
Selon Marc Vautier, réussir une
stratégie de "customer relation management" suppose de respecter trois grands
principes : définition des profils intéressants pour la marque, segmentation de
l'offre, suivi des investissements. Auxquels on pourrait ajouter un préalable :
disposer d'une image suffisamment forte comme terreau d'ancrage et socle de
légitimité du programme relationnel. Primo, il s'agit donc de bien définir les
profils intéressants à entrer dans la base de données (en termes de potentiel
de CA et de marge). « Le but n'est pas de capter tout le monde mais de viser 30
% des gros consommateurs », estime Marc Vautier. Le recrutement se fera on-pack
(sur les produits), via le service consommateurs ou les remontées
promotionnelles. « Le taux de remontées varie en moyenne entre 3 et 15 % selon
le canal », précise-t-il. Mais un consumer magazine procurera des taux
inférieurs à 3 % et une opération d'ISA générera des retours de l'ordre de 0,1
%. Le média n'est pas le seul facteur déterminant du taux de retour. Sans
promesse relationnelle attractive et forte, les consommateurs bouderont
l'offre. Attention aussi à la sur-représentation de fichiers de remontées
promotionnelles, qui risque de rendre plus délicate une fidélisation en
profondeur via des actions relationnelles. « Le préalable à toute démarche
relationnelle est de bien connaître sa cible et d'opter pour les canaux de
recrutement cohérents avec la connaissance que l'on en a », martèle Anne Zavan,
directrice des relations consommateurs chez Nivea (et responsable des études de
marché). C'est à cette condition que la base sera composée d'un taux d'actifs
très élevé. Parmi les canaux de recrutement utilisés figurent le on-pack, les
remontées promotionnelles (une source qui réclame une validation
qualitativ...), et l'enrichissement par des mégabases. Le principe de
recrutement est à double détente : il s'agit dans un premier temps de
présélectionner des profils à potentiel qualitatif et quantitatif puis
d'envoyer un questionnaire pour valider le recrutement dans un second temps. «
A ce stade, les remontées peuvent dépasser 20 % », confie-t-elle. « Un bon
client Nivea achète au moins six produits par an. Il s'agit en général d'une
famille - ndlr : pour le potentiel quantitatif -, dotée d'un état d'esprit bien
particulier », résume Anne Zavan. A savoir : ce sont des personnes davantage
tournées vers le bien-être, l'authenticité que désireuses de donner une image
idéalisée d'elles-mêmes (à des années lumière du "Parce que je le vaux bien"
des clientes de L'Oréal). Ces terriennes, qui ont les pieds solidement ancrés
sur terre, se recrutent dans toutes les classes sociales. Si Anne Zavan connaît
sur le bout des doigts le profil de ses meilleures clientes (au point de savoir
comment elles prennent leur douche !), elle a pourtant limité le nombre de
critères utilisés dans la base. « Nous n'avons pas plus de 5 ou 6 critères
quantitatifs et qualitatifs "en dur". En introduire davantage coûterait trop
cher en stockage », explique-t-elle. Autre caractéristique du programme Nivea :
il privilégie les profils relationnels aux transactionnels, plus volatils et
moins attachés à la marque. « Dans notre système, renvoyer un bon de réduction
a moins de valeur que remplir un questionnaire sur ses habitudes de beauté. » «
Dès le départ, il est conseillé de mettre en relation les moyens investis dans
le recrutement par type de client et la valeur de ceux-ci », poursuit Marc
Vautier. La règle vaut aussi en phase d'exploitation opérationnelle de la base,
comme dans le programme Cesar (Unisabi), où les investissements marketing
direct tiennent compte du potentiel de la cible. On peut notamment jouer sur le
coût unitaire et la fréquence des messages pour moduler les dépenses de
communication en fonction de la valeur du client. Autre façon d'asseoir de
facto la rentabilité de son programme : imiter Heineken, Danone, Nivea ou
Henkel en créant une promesse ombrelle commune (Danone et la santé, par
exemple) aux différentes marques ou produits du groupe, puis en développant le
cross-selling entre elles. Bien conçu, un programme ombrelle offre la
possibilité de rentabiliser les investissements de marketing relationnel sur
plusieurs marques. « Le programme cible les gros consommateurs de nos
principales marques, celles qui génèrent l'essentiel du trafic, comme Sun,
Skip, Omo, Cif, etc. Le but est de faire de la vente croisée en montrant que
l'on est un groupe », explique Marie-Cécile Lebard. La structure traite 300
appels par jour en moyenne sur le 0 801 39 39 39. 75 % des appels sont des
demandes de conseils, les 25 % restants concernent des réclamations.
Initialement focalisé sur le traitement des réclamations et l'information sur
les produits, le service consommateurs est progressivement devenu un outil qui
alimente la démarche relationnelle. Même si tous les appelants - notamment les
mono-foyers dont les habitudes de consommation sont jugées erratiques - ne sont
pas entrés dans la base, orientée logiquement vers la collecte de clientes à
potentiel (taille du foyer, possession de lave-linge, de lave-vaisselle, nombre
de machines par semain...)