Fichiers B to C : Les annonceurs font la loi !
2002, année sinistrée ? Les clients, annonceurs et propriétaires de fichiers, ont mis la pression sur leurs intermédiaires. Ils ont exigé davantage de conseil et d'implication dans leurs campagnes, tout en durcissant leurs exigences tarifaires. A moins qu'ils ne les court-circuitent en se concentrant sur les échanges d'adresses ou par la création de régies internes. Comment les intermédiaires s'organisent pour les fidéliser...
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«En 2002, le marché de la location d'adresses postales a chuté de 30 % »,
estime Annie Phelippon, responsable du service ciblage chez Koba. En pratique,
les annonceurs ont diminué le nombre de leurs campagnes, au point d'arrêter
presque complètement la prospection, et se sont concentrés, pour les apports de
"sang frais", sur les échanges d'adresses. Un ensemble de raisons
conjoncturelles ont contribué au marasme : le marché a subi le double impact de
l'élection présidentielle, toujours défavorable à la vente par correspondance,
et celui du 11 septembre 2001. Dans la foulée, l'arrivée de l'euro début 2002 a
ralenti l'activité de la VPC et du secteur caritatif. Autant de facteurs qui
ont conduit à modifier les méthodes et exigences des annonceurs, qui
diversifient les canaux et les médias utilisés pour affiner leur ciblage.
Objectif rentabilité ! De leur côté, en période de vaches maigres, un nombre
croissant de propriétaires ont commercialisé leur fichier pour en tirer un
revenu. Particulièrement touchés, les annonceurs du secteur boursier, notamment
ceux issus de la galaxie internet, se sont retrouvés sans autre offre
commerciale... que leur fichier ! Mais la conjoncture n'expliquerait pas tout.
Au sein même du courtage, des voix s'élèvent pour parler de "problème de
réputation" du métier liés aux abus du "Golden Age" à la fin des années 80, en
particulier sur le manque de transparence de la tarification. Aux confortables
commissions, s'ajoutaient divers frais informatiques et autres sources de
revenus plus ou moins justifié... Sous la pression des annonceurs, qui ont
commencé à pratiquer les échanges entre eux, l'opacité s'est un peu éclaircie
mais ce n'est toujours pas la pleine lumière ! « Lors de notre création, en
février 1997, nous avons essayé d'appliquer la loi Sapin. Cette méthode rendait
notre commission transparente en instaurant une facturation directe du
propriétaire au client utilisateur, mais cela s'est avéré impossible car les
annonceurs et même certains fournisseurs s'y sont opposés », se souvient Annie
Deraedt, dirigeante d'Adage, un "petit" courtier du Nord de l'Hexagone.
Vivier d'adresses nouvelles
Pour autant, cette mini
crise n'a pas tari la vitalité de l'offre. Le marché de l'adresse B to C s'est
enrichi de deux nouveaux types de produits. Première base constituée à partir
de la compilation de fichiers comportementaux, Apollinis allierait des volumes
conséquents (10 millions de foyers) et une qualité déjà reconnue. « Elle
apporte un nouveau vivier d'adresses inconnues réellement comportementales,
issues de la grande distribution généraliste et spécialiste, et d'au moins deux
grands vépécistes. Jusqu'à présent, par exemple, nous n'avions pas accès aux
détenteurs de cartes de crédit d'enseignes, qui présentent des profils très
différents de ceux des "couponneurs" », estime Jean Grare, directeur général de
Conso Lists. «Le code du SNCD impose à un propriétaire de donner l'origine de
ses adresses, mais Apollinis a préféré inspirer confiance à ses partenaires en
signant un accord de confidentialité sur ce point. Ce qui est finalement un bon
calcul, car le marché apprécie plus encore les adresses fraîches et
performantes que la déontologie », observe, mi-figue, mi-raisin, un autre
courtier. Après une phase d'assainissement qui s'est traduite par la
disparition d'un certain nombre de propriétaires de sites, les fichiers
d'e-mails se sont professionnalisés et surtout enrichis d'adresses postales,
une stratégie de survie pour les acteurs issus du Net. Par ricochet, cette
évolution a incité les gestionnaires de fichiers "classiques" à ajouter
l'e-mail. « Ils ont généré un apport d'adresses nouvelles tant en e-mail qu'en
postal, qui a donné une bouffée d'oxygène aux plans fichiers. Les profils sont
des "early adopters", une donnée comportementale intéressante sur deux cibles,
les moins de 25 ans et les 25-40 ans », explique Stéphane Barthélémy, directeur
d'Adress Company. Mais encore faut-il savoir faire son marché et garder en tête
que le déclaratif - dont la qualification sur les centres d'intérêt -, comporte
un taux d'erreur de 20 %... « Si je devais citer quelques bases intéressantes,
je parlerais de Directinet, ou du distributeur de logiciels et jeux
informatiques goto.fr, de sites de bourse en ligne comme Bourse Direct et
Boursorama, qui collectent des informations financières sur les internautes »,
ajoute Jean Grare, qui décerne une mention spéciale aux sites de crédit comme,
par exemple, Panoranet. Leur activité permet de qualifier sur des données
réelles. Autres bases considérées comme sérieuses : celles du site leader du
crédit meilleurstaux.com et ceux d'aufeminin.com et d'assurland. Si le
caractère positif de la galaxie internet n'est plus contesté, certains émettent
toutefois des réserves : « Les adresses postales issues de fichiers constitués
sur le Web sont souvent mal normalisées ou pas mises à jour », regrette Annie
Phelippon.
Annonceurs : optimiser son budget
« Dans un
souci de rentabilité, un nombre croissant d'annonceurs s'orientent vers la
location de fichiers permettant une approche multicanal, via voie postale,
e-mail, téléphon...», note Stéphanie Doguet, responsable du développement chez
Geronimo Direct, spécialiste des fichiers de hauts revenus. De fait, les
relances téléphoniques ou e-mails sur une première vague de messages postaux
sont de plus en plus utilisées, en prospection notamment. « La pénurie de
nouvelles adresses postales a également favorisé ce mouvement vers
l'asile-colis, l'e-mail... Nous ne faisons plus de plans fichiers mais des
plans médias marketing direct incluant plusieurs médias », confirme Annie
Phelippon. La variété des médias disponibles favorise un ciblage plus précis,
lui-même source de profitabilité : « Il y a quelques années, les annonceurs
avaient tendance à faire des sélections aléatoires sur une récence type 0-12
mois. A présent, nous faisons des split-runs avec tests sur différents messages
et sélections en introduisant des variables de type RFM, y compris pour des
clients du secteur caritatif comme la Fédération Française de Cardiologie »,
compare Annie Deraedt. Ciblage oblige, même les gros annonceurs ne rechignent
plus à introduire de petits fichiers dans leur plan médias. « D'ailleurs, ce ne
sont pas forcément les grosses bases proposant de nombreuses sélections qui
sont les plus intéressantes. Certaines listes proposant des volumes réduits et
peu qualifiées peuvent générer d'excellents résultats, car l'activité d'origine
du propriétaire est très segmentante », ajoute-t-elle. Même si les coûts fixes
sont proportionnellement plus élevés par segment, le jeu en vaut généralement
la chandelle. « Certains de mes clients du secteur de la presse sont prêts à
payer 0,75 euro une adresse bien qualifiée, s'ils savent que 1 000 adresses
leur rapporteront 20 abonnés », illustre Annie Phelippon. L'essor des échanges
participe de la même démarche d'optimisation des budgets. Les plus frileux
d'entre eux, se concentrent sur leur jardin, la fidélisation de la clientèle
existante. A moins qu'ils ne souhaitent en faire profiter d'autres annonceurs.
« De plus en plus de propriétaires commercialisent leur fichier pour en tirer
un revenu », fait observer Patrick Visier (DPV), président de la commission
études et technologies du SNCD. Au grand plaisir des vépécistes, boulimiques de
nouvelles adresses bien fraîches (0-6 mois) ! Et, comme un fichier bien
qualifié se vend plus cher, ces entreprises dont la location d'adresses n'est
pas le coeur de métier enrichissent leurs adresses et font des études. Dans un
objectif de conseil, le groupe de presse Bayard, qui dispose d'une régie
interne pour ses adresses seniors depuis février 2002, a doté son service
fichier d'une cellule d'études. En faisant ressortir sur le fichier Notre Temps
les départements abritant une forte proportion de catholiques, une étude
récente permet de louer des adresses avec des sélections géographiques
intéressant particulièrement les annonceurs du secteur caritatif et
humanitaire.
De l'intérêt de créer sa régie
Bayard
Presse, les Editions Atlas, Cyber Press et les éditions du Futur, pour ne citer
qu'eux, ont même créé une régie intégrée. Ainsi, Bayard a-t-il confié, depuis
février 2002, à l'une de ses salariés, Christine Mariette, le soin de gérer la
location (55 % des sorties contre 45 % en échange) de ses adresses d'abonnés à
des revues destinées aux seniors (1,4 million d'adresses). La régie a identifié
sa cible privilégiée : le secteur caritatif, la téléphonie mobile, la VPC, le
tourisme, l'assurance et les produits financiers, le jardinage, l'équipement de
la maison... « Alors qu'en 2001, notre courtier avait commercialisé 700 000
adresses, nous avons atteint le chiffre de 1,5 million sur la période février
2002-février 2003 », affirme la responsable de commercialisation des fichiers.
L'intégration a également l'intérêt, sur le papier, de rapprocher le client
final du propriétaire censé connaître mieux que quiconque ses fichiers et de
pouvoir le conseiller sur les sélections et l'offre. D'un point de vue
économique, la nouvelle organisation a supprimé l'intermédiaire exclusif, qui
prélevait une dîme de 30 %. Dans l'idéal, la régie souhaiterait travailler en
direct avec les annonceurs, sans avoir à rémunérer les apporteurs d'affaires,
mais les annonceurs gérant des plans médias étoffés préfèrent en confier la
totalité à un courtier plutôt que de s'éparpiller en de multiples démarches
auprès des propriétaires. Reste toutefois à maîtriser le succès... « Notre
objectif de rotation - location et échange - est de cinq fois par an, avec un
maximal à ne pas dépasser de sept fois », déclare Christine Mariette. Très
demandé, le fichier Vermeil, composé de seniors à bon pouvoir d'achat et
généreux, a vu son prix augmenter : 229 euros le mille (contre 183 euros du
mille pour les autres, plus 15,24 euros du mille pour l'ajout d'un critère
supplémentaire).
Mode ou tendance durable ?
« Tous
les propriétaires n'ont pas vocation à se lancer dans une telle aventure. C'est
une logique intéressante si l'on dispose au moins de 30 000 adresses. En
dessous, cela n'intéressera pas un annonceur ou juste pour un test », répond
Jean Grare. Et puis gérer la commercialisation en direct suppose de maîtriser
les aspects commerciaux et publicitaires et d'investir dans des outils de
traitement informatique. Et d'accepter d'y allouer du temps et des ressources.
« J'ai travaillé un moment avec une société qui avait deux petits fichiers bien
ciblés mais n'était pas organisée pour répondre à des demandes extérieures.
Résultat, les sélections, quand elles étaient correctement réalisées (!),
arrivaient rarement à l'heure. Les adresses n'étaient ni normalisées, ni
dédoublonnées. J'ai dû arrêter », raconte un courtier. L'idéal, pour une petite
structure, serait d'accepter de confier le traitement de ses adresses à un
prestataire extérieur. Mais, tenant à leur fichier comme à la prunelle de leurs
yeux, leurs dirigeants sont en général réticents. « Je pense que la création de
régie n'est pas une tendance durable. La preuve en est que certaines sociétés,
comme le Grand Livre du Mois, ont arrêté de louer en direct depuis trois ans.
Et, plus récemment, une entreprise de vente d'assurance à distance, qui avait
confié la commercialisation de sa base à son service marketing, travaille à
nouveau avec un courtier » raconte Stéphane Barthélémy. Le bilan de la gestion
interne s'était en effet avéré négatif : le nombre d'adresses louées a chuté
entre 2000 et 2002, passant de 245 000 à 160 000, faute de ponctualité dans les
livraisons et de rigueur dans les comptages. « L'intégration d'une régie
comporte des risques, celui de s'isoler - manque de visibilité, plus
d'information sur les mauvais payeurs - et de s'endormir sans les suggestions
d'un courtier sur les qualifications demandées par le marché », ajoute
Marie-Luce Orbiscay, dirigeante de Tikal.
Bientôt une facturation en "net name" ?
De l'avis de tous les courtiers interrogés,
l'annonceur-loueur d'adresses met une pression constante sur la facturation. «
Son rêve serait de ne payer que le nom utilisé alors que le courtier et le
propriétaire veulent en louer un maximum, sur la base d'une facturation en
entrée de déduplication », résume Patrick Visier. Et il est vrai que certains
fichiers de très bonne qualité, s'ils sont placés en milieu ou fin de
déduplication, peuvent disparaître presque entièrement. D'où l'idée, de plus en
plus appliquée dans les faits, de négocier un prix se situant quelque part
entre les deux intérêts. « Nos clients nous demandent de plus en plus souvent
des négociations autour de la déduplication pour obtenir des abattements plus
importants que les moyennes pratiquées qui tournent autour de 10 %. Il est vrai
que certains gros annonceurs ont des taux de 50 %, soit 40 % d'adresses payées
pour rien », confirme Annie Phelippon. Koba a mis au point un outil qui permet
d'optimiser la déduplication : celle-ci est d'abord pratiquée au fil de l'eau
(dans l'ordre forcément aléatoire d'arrivée des fichiers), puis dans l'ordre
voulu par le client - ordre dynamique -, en fonction des résultats obtenus en
phase 1. Procurant un gain de temps, ce traitement procure également une
meilleure rentabilité par l'extraction d'un nombre maximal d'adresses. Plus
offensif, le vépéciste France Loisirs négocierait d'ores et déjà en "net name"
(nombre d'adres-ses en sortie de déduplication). « Mais certains vépécistes
sont schizophrènes. Ils réclament des abattements et refusent de les pratiquer
pour les autres », accuse Stéphane Barthélémy.
Chasse aux NPAI
Second point très surveillé : les NPAI. La Poste et le
Syndicat national de l'adresse estiment à environ 200 millions le nombre plis
NPAI par an, soit une perte minimale de 183 M€. Voir la démonstration très
complète du site laposte.fr/sna. « Les NPAI coûtent cher. C'est de l'argent
perdu, à la fois sur le coût du mailing et de son acheminement, et du chiffre
d'affaires non réalisé comparé à une situation où l'on aurait investi sur les
bonnes adresses », résume Annie Deraedt. Les membres du SNCD s'engagent à ne
pas dépasser un taux de 5 % en location d'adresses B to C. Au-delà de 5 %, le
propriétaire du fichier consentira un remboursement. « L'idéal est quand même
de faire de la prévention - restructuration-normalisation puis emploi des
fichiers Estocade et Charade de La Poste -, plutôt que de se faire rembourser a
posteriori », conseille Jean Grare. En pratique, un nombre croissant
d'annonceurs fait pratiquer un taux d'abattement sur le prix de la location
grâce au traitement préventif des NPAI. « Sur le principe, je préfère
évidemment des adresses bien tenues à jour, mais il arrive que l'on opte pour
un fichier bien ciblé - par exemple, une liste d'anciens abonnés à une revue de
cigares pour commercialiser des caves à cigares -, qui remonte bien, même si
son taux de NPAI dépasse 10 %, à un fichier type France Télécom parfaitement
mis à jour », nuance Stéphanie Doguet.
Le courtier-consultant...
La pression sur les résultats fait évoluer
le métier de courtier. Pour rester dans la course, l'intermédiaire ne peut plus
se contenter de "rentrer des fichiers en exclusivité" pour ensuite les vendre
au coup par coup. Pour fidéliser ses clients, il doit "mouiller sa chemise", se
plonger dans leur problématique, s'immiscer dans leur stratégie. « Dans les
faits, nous sommes amenés à maîtriser au maximum le couple offre-fichier, même
si, au départ, le courtier n'influe que sur les choix des seconds », reconnaît
la courtière Annie Deraedt. « Sur le papier, ce métier, normalement soumis à
une obligation de moyens, se voit progressivement dans les faits assujetti à
une obligation de résultats. Nos clients attendent de nous une excellente
synthèse : quels sont les bons fichiers dans un contexte où les rendements
s'essoufflent ? », ajoute Stéphane Barthélémy, qui reprend systématiquement
avec ses collaborateurs les résultats des campagnes précédentes pour
sélectionner les 30 meilleurs fichiers - en l'occurrence pour cette association
caritative -, ceux dont les rendements ou le don moyen ont été supérieurs à la
moyenne. « Un bon courtier doit être capable de justifier chaque ligne de son
plan médias », résume-t-il. Et de renouveler et améliorer sans cesse son offre
de fichiers. Dans ce but, Adress Company gère un fichier Excel de plus de 400
adresses pièges pour identifier, à partir de couponning, tous les fichiers
existants. Le courtier a ainsi déniché une trentaine de nouveautés par an, dont
Ictus Voyages, une liste de 8 500 croyants. Une technique qui lui permet à la
fois d'alimenter son catalogue et son portefeuille d'annonceurs !
...à la recherche de sa propre rentabilité
Chez Koba,
Chantal Dutheil se consacre aux relations avec les propriétaires de fichiers,
notamment dans le but d'enrichir la qualification des 1 200 fichiers en base
pour le seul secteur B to C, et d'obtenir l'accès à de nouvelles sélections. Sa
mission consiste aussi à décrocher de nouveaux contrats. Son rêve : convaincre
enfin de grands voyagistes comme le Club Méditerranée, détenteur d'une riche
base comportementale, de commercialiser ses adresses ! Pour étoffer leur offre,
certains se mettent en plus à créer des bases, à l'instar de Conso Lists
(Servitix, Senior List, fichier d'actifs) ou même à coupler un média et une
cible comme le fait Koba avec son bus mailing "Home Direct Program", à
destination des nouveaux emménagés. Mais là où le bât blesse, c'est que cette
inflation de prestations doit être rémunérée sur le même taux de commission (en
moyenne 15 %, sauf 30 % pour la location d'un fichier exclusif). «Très utilisé
par la VPC et le caritatif, le conseil sur l'échange n'est pas toujours
rémunéré », regrette Jean Grare. Le modèle économique du courtage serait-il en
péril ? « Il n'est pas encore possible de se faire rémunérer sur le conseil
seulement, à côté de la commission », ajoute Annie Phelippon, dont l'entreprise
a commencé à se structurer pour répondre à ce double besoin de conseil du
marché et de rentabilité pour l'intermédiaire.