Cobranding: les marques jouent cartes sur table
La levée de l'interdiction du comarquage, effective depuis le 1er octobre dernier, ouvre de nouvelles perspectives de fidélisation pour les enseignes.
Je m'abonneC'est une petite révolution dans le secteur des cartes! Depuis le 1er octobre 2007, une carte de paiement Visa ou Mastercard peut abriter deux logos: celui d'une marque ou d'une enseigne avec celui d'un établissement bancaire ou de crédit. Plus qu'un changement radical dans ce secteur très encadré, c'est surtout celui du marketing en général, et de la fidélisation en particulier, qui entre dans une nouvelle dimension.
«Avec le cobranding, la carte de paiement n'est plus uniquement de la monétique, mais devient un outil marketing avec un programme de fidélité qu'il faut animer», estime Michel Philippin, directeur général de LaSer. Les grands gagnants de cette décision sont sans aucun doute les enseignes qui, pour l'instant, devaient se contenter de cartes privatives à périmètre d'utilisation limité.
«Près d'une cinquantaine d'acteurs réfléchissent actuellement au lancement d'une carte cobrandée», rapporte Michel Philippin. Justement, LaSer et les Galeries Lafayette peuvent se targuer d'avoir été l'une des deux premières marques, avec Fiat et Sofinco, à avoir dégainé en commercialisant une carte comarquée dès le 1er octobre. Très exactement quarante ans après avoir lancé la première carte bancaire de l'Hexagone, l'enseigne propose désormais une carte Mastercard qui remplit trois fonctions: le paiement au comptant ou à crédit dans tout le réseau Mastercard (23 millions de points de vente) et Cofinoga; l'affinitaire avec des offres privées et des services exclusifs aux Galeries Lafayette; enfin, le programme de fidélisation S'Miles. Depuis, deux autres marques leur ont emboîté le pas en annonçant, elles aussi, leur propre carte cobrandée: Renault avec RCI Banque (janvier 2008) et Nouvelles Frontières en collaboration avec Franfinance (groupe Société Générale).
Nouvelles Frontières mise sur le cash-back «Cette carte est pour nous un outil de notoriété, d'image, d'innovation, de fidélisation et d'accompagnement au quotidien de nos clients», explique Karim Soleilhavoup, responsable du marketing stratégique chez Nouvelles Frontières. Cette carte, qui devrait être commercialisée mi-novembre, est en réalité la résultante d'un objectif important du voyagiste: créer l'épargne vacances. «La création d'un tel compte était impossible pour des raisons fiscales. Nous avons trouvé ce dérivé où le cash-back représente l'épargne», précise Karim Soleilhavoup. A chaque fois que le client utilise sa carte pour régler ses achats, Nouvelles Frontières reverse une somme sur un compte épargne utilisable dans l'enseigne: 1% des dépenses réalisées chez Nouvelles Frontières, 0,2% à l'extérieur de l'enseigne et, enfin, 1 à 16% sur des achats réalisés en ligne sur la «Galerie Marchande», un site multipartenaire où les clients ont accès à 20000 références avec une réduction allant de 15 à 30%. A chaque fois que le porteur de carte cumule 20 euros sur son compte épargne, il reçoit un chèque de ce montant utilisable pendant un an. «Nous sommes sur un produit classique qui égale les cartes émises par les banques et qui, en plus, permet d'épargner pour ses vacances et d'accéder à la «Galerie Marchande»», ajoute Karim Soleilhavoup. A noter que la carte, dont la cotisation annuelle s'élève à 14 euros la première année puis 28 euros les années suivantes, intègre une assurance contre les tracas quotidiens (vols, pertes...) Si 2007 voit les premières initiatives éclore, 2008 sera une année décisive pour les marques qui veulent se positionner et perdurer sur ce segment du cobranding. «Il y aura un effet de «premier sur le marché». L'avantage concurrentiel sera segmenté par secteur industriel», déclare Guillaume Huser, directeur général France et Bénélux d'Affinion International. Car l'enjeu est bien là: les marques devront se battre pour être présentes parmi les trois cartes de paiement du portefeuille des clients. Et les premières arrivées seront les premières servies... «Pour être dans le trio de cartes du client, il faudra adossera la carte un contenu marketing élaboré et des partenaires solides», prévient Michel Philippin. Même son de cloche chez Guillaume Huser: «Attention à ce que la carte cobrandée ne soit pas une autre carte de fidélité avec les mêmes avantages. C'est bien la gamme de services et le marketing relationnel qui en feront, ou non, le succès.» Autre interrogation de poids: comment vont réagir les consommateurs français, particulièrement attachés aux cartes bancaires traditionnelles? Sont-ils prêts à remplacer leur carte classique par une carte cobrandée ou préféreront-ils conserver ces deux types de cartes en complément l'une de l'autre? «Beaucoup de programmes de cobranding vont se lancer, mais tous ne survivront pas. Tout dépend de la vitesse à laquelle les mentalités françaises vont évoluer», rapporte Stéphane Battez, Responsable marketing à la monétique chez BNP Pari bas. «Dans les marchés étrangers où le cobranding est déjà rentré en vigueur, tous les types de cartes coexistent et le nombre de cartes présentes dans le portefeuille va augmenter», ajoute Guillaume Huser.
Triple intérêt Quoi qu'il en soit, le succès des cartes comarquées sera au rendezvous. Il faut dire que tout le monde y trouve son compte: les enseignes voient leur chiffre d'affaires croître via une hausse de la fréquentation et des achats dans leur réseau, les établissements financiers augmentent le nombre de transactions et, enfin, les consommateurs profitent d'avantages et de services, et tirent finalement une contrepartie de leurs achats. Parmi les marques attendues sur ce segment, on trouve celles qui sont liées à la vie quotidienne des consommateurs: la grande distribution, l'automobile, le voyage, les télécommunications... Orange et BNP Paribas ont déjà annoncé une gamme de cartes cobrandées: l'une vers les jeunes, pour le premier trimestre 2008 et l'autre vers les adultes dans le courant de l'année. «Aujourd'hui, les groupes bancaires qui détiennent des filiales de crédit vont vers ce type de marché et tous se sont plus ou moins signalés avec des partenariats», constate Stéphane Battez. Selon le cabinet d'études Alténor, le parc de cartes bancaires comptera 18 à 33% de cartes cobrandées d'ici cinq ans. Un chiffre éloquent qui soulève une interrogation détaille: ces cartes, qui mixeront en grande majorité les fonctions débit et crédit, ne risquent-elles pas d'alourdir davantage l'endettement des ménages?
Karim Soleilhavoup (Nouvelles Frontières)
«Cette carte est un outil de notoriété, d'image, d'innovation, de fidélisation et d'accompagnement au quotidien de nos clients.»
Réaction
Thierry Dinard, directeur associé d'Alténor Consulting Le cobranding prend un bon envol en France avec d'ores et déjà de beaux projets. Cependant, pour moi, il ne s'agit pour l'instant pas encore de véritable cobranding, au vrai sens au terme. En effet, la plupart des cartes qui ont été lancées depuis la levée de l'interdiction par le GIE, si l'on excepte celles d'Orange et BNP Paris, concernent, non pas des banques, mais plutôt leurs filiales spécialisées dans le crédit. Aux Etats-Unis, où le marché bancaire n'est pas du tout structuré de la même manière, les banques sont beaucoup plus enclines à gérer des cartes bancaires cobrandées sur des comptes à vue que leurs homologues françaises. Dans la réalité, le marché français tâtonne encore pas mal sur la question car les banques appréhendent cette ouverture du marché avec un mélange de peur et d'envie. Elles qui commercialisent déjà une multitude de produits différents ont du mal à se décider et préfèrent confier la gestion de ce type de carte à leurs filiales de crédit. Mais je reste tout de même très optimiste. Les beaux projets en gestation ne manquent pas. Nos estimations sont de l'ordre de 10 à 18 millions de cartes cobrandées d'ici cinq ans pour un parc actuel d'environ 55 millions de cartes bancaires.
Propos recueillis par Isabelle Sallard