Cavistes en ligne : le marché prend de la bouteille
Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ? Si les adeptes de cette philosophie ont vite disparu du paysage vinicole en ligne, nombreux sont aujourd'hui les cavistes ayant appris à tirer le meilleur parti de ce média, bien conscients de ses atouts comme de ses limites. Après la bacchanale initiale de sites de vins, et l'épuration qui s'ensuivit, la filière atteint la maturité.
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A l'instar de toutes les catégories de biens de grande consommation, le vin
n'a pas échappé au commerce électronique. Considéré, au départ, comme un
providentiel distributeur mondial, le média subissait, dès 1995, la pression
d'une kyrielle d'acteurs, improvisés ou pas, convaincus, tous, de pouvoir par
ce seul biais relancer la consommation du nectar divin et ce, à l'échelle
mondiale. Ils furent nombreux à ignorer, volens nolens, les difficultés
pourtant bien connues de ce marché : mix marketing complexe, confrontation
presque inévitable aux géants de la grande distribution qui capte 70 % des
parts, hyper-segmentation de l'offre couplée à une forte atomisation de la
filière hors mass market, marges faibles qui oscillent entre 20 et 35 % selon
le type de produit. Autre point noir de ce tableau : la consommation per capita
de vin ne cesse de baisser depuis 20 ans et ce, à l'échelle mondiale. En
France, 46 Mhl étaient consommés en 1960-1961, contre 32,5 Mhl en 2000-2001
(source : Onivins Inra 2001).
Nouveau décollage pour les vépécistes spécialisés
Ce constat établi, comment supposer qu'un
nouveau canal de distribution, aussi médiatique soit-il, puisse enrayer un
phénomène général de désaffection pour le vin ? « Cette baisse concerne
principalement les vins de table, mais se fait au profit de vins de meilleure
qualité qui bénéficient d'un bon niveau de croissance », explique Emeric Sauty
de Chalon, fondateur et P-dg de 1855. Pour ce jeune entrepreneur passionné de
vin, l'extension sur Internet (1999) a offert un décollage inattendu à son
activité initiale de VPC. Positionné depuis 1997 sur la vente en B to B de vins
fins (3 500 références au départ), 1855 s'adresse aujourd'hui à une cible
élargie au segment des particuliers amateurs. A l'instar de Millesima, son
concurrent direct, 1855 s'est positionné, dès le départ, sur le segment des
vins de prestige. « Pour ne pas se retrouver en position frontale avec la
grande distribution », poursuit-il. D'où l'idée de préempter un créneau très
haut de gamme. Objectif : devenir "l'Hermès" du vin en ligne. 1855 a tout misé
sur une gestion des stocks en flux tendus. Stratégie très particulière qui
nécessite la multiplication d'accords avec de nombreux producteurs (1 500
fournisseurs) pour s'approvisionner et assurer la disponibilité de l'offre. Les
15 000 références du site sont distribuées auprès de cibles d'amateurs en
France, et, depuis le rachat des sites Around Wine (2001) et ND Grands Vins
(2002), également aux Etats-Unis et en Asie. Bien qu'aucun chiffre concernant
les volumes de ventes, le nombre de clients ou d'hectolitres écoulés par année
ne soient communiqués, 1855 affirme avoir atteint l'équilibre financier et
compte bien s'imposer comme la référence incontournable en distribution
spécialisée.
Faire jouer les synergies catalogue/Internet
Pour recruter ses clients, l'argument phare de
1855, c'est le produit. Pour Pierre Le Marois, c'est avant tout le catalogue.
Le fondateur et dirigeant de Millesima, vépéciste en vins fins depuis 1983 et
en ligne depuis 1997, estime qu'Internet correspond à une démarche d'achat
complémentaire. Faut-il en déduire que le Net permettrait d'attirer des clients
réfractaires au catalogue ? « Nos meilleurs clients sont aussi de gros
consommateurs d'Internet, précise le P-dg, Mais le panier moyen en ligne pèse
autant que sur les autres canaux. » Situé autour des 1 500 E pour Millesima,
contre 800 E pour 1855, ce panier moyen témoigne d'une indéniable cohérence
entre le canal internet et les stratégies de VPC. Car il faut bien reconnaître
au média quelques atouts. « Pour mettre en ligne 15 000 références d'un coup et
s'adresser au monde entier, il n'y a pas mieux », lance Emeric Sauty de Chalon.
Pour Pierre le Marois, une vitrine électronique constitue avant tout un
supplément de confort. Pour le client, mais aussi pour le marchand : « Nous
pouvons multiplier les actions de marketing en ligne, y présenter une offre
très soignée et toujours accompagnée de précieux conseils en oenologie. » L'axe
internet, c'est aussi, pour Millesima, l'occasion de capter de nouvelles parts
de marché, en France comme à l'étranger (11 pays). Principal atout du vépéciste
: la logistique rodée sur 19 années d'expérience. A l'inverse de 1855,
Millesima a tout misé sur le stockage des vins. « Un positionnement up-market
s'appuie sur deux incontournables : une offre toujours disponible et la
garantie absolue du respect des conditions de conservation du vin. Ce qui est
incompatible avec une gestion en flux tendus », précise le P-dg. En 2001, 11 %
du chiffre d'affaires de Millesima (28 ME) passaient par le Web, et 15 % sont
attendus en 2002. Rentable avant même de développer le canal électronique,
Millesima est l'un des rares e-cavistes à avoir pleinement tiré parti du Net.
Ce qui n'est pas le cas du principal pure player européen, Chateauonline.
Malgré ses moult levées de fonds (25 ME sur 3 ans), l'e-caviste n'a toujours
pas trouvé son équilibre. « La grosse difficulté, c'est la situation financière
du marché lui-même », lance Christophe Poupinel, Dg de Chateauonline. Les
résultats du site sont pourtant probants : en 2001, il a généré 10 ME de CA,
contre 5 ME en 2000, et la rentabilité opérationnelle est attendue à l'issue de
l'exercice 2003.
Une stratégie en ligne défensive
Parmi ses atouts : une présence dans 7 pays d'Europe qui couvrent 50 % des
revenus du site, un catalogue de 3 000 références sélectionnées par une équipe
de sommeliers, accompagnées de conseils pointus et de services dignes des
meilleurs e-marchands. La stratégie de Chateauonline ? Miser sur la largeur et
la diversification de l'offre pour s'imposer sur tous les segments (B to C, B
to B, C to C), répondre à toutes les attentes, du particulier à l'amateur, du
connaisseur au collectionneur. Le but : devenir le leader du vin à l'échelle
européenne. La clé du succès ? « C'est le pouvoir de préconisation que nous
exerçons sur le site. Il ne tient qu'à nous de mettre en avant tel ou tel vin
pour dynamiser les ventes par segment de produit ou par profil de client »,
assure le Dg. Ce qui ne manque pas de susciter la perplexité de certains
vépécistes de longue haleine. « Une offre large et peu spécialisée se retrouve
en position frontale avec la grande distribution, dont le pouvoir est énorme et
les coûts de recrutement moindres puisque amortis sur l'ensemble des produits
du magasin », explique Bernard Rossillon, Dg du Club Français du Vin (CFV). Or,
sur Internet, le sujet des coûts d'acquisition client est une "patate chaude"
notoire que les acteurs se renvoient à tour de rôle. Au CFV, le premier axe
stratégique, c'est la marge. Positionné, depuis 1973, sur une niche étroite de
clients seniors qu'il recrute et fidélise par les techniques du marketing
direct, le CFV a bien lancé un site à son effigie, mais sans pour autant revoir
son modèle initial de vépéciste pur et dur qui relègue le Net, pour l'heure, au
rôle de simple outil de communication. Une position défensive, qui n'a pourtant
rien de définitif puisque le Club réfléchirait actuellement à l'opportunité de
briguer de nouveaux segments de clients, plus jeunes, et ce, précisément via le
Net. De l'avis de Sylvain Favard, Dga du Savour Club, « le vin est un métier
complexe où l'on ne s'improvise pas, encore moins sur Internet, où, malgré leur
petit parfum de vente directe, les modèles économiques restent coincés entre la
grande distribution et la vente à la propriété ».
Un marché en cours de rationalisation
Néanmoins, si les bénéfices se font
attendre pour certains acteurs ayant bravé cet oracle, il faut aussi
reconnaître l'intérêt croissant du média pour l'ensemble de la filière
vinicole. Pour les vépécistes, il constitue au mieux un canal de distribution
auxiliaire, au pire un support de communication en stand-by. Pour les pure
players, il est le principal vecteur de l'offre à l'échelle internationale. En
B to B, le média commence à prouver sa pertinence auprès des négociants en vins
qui découvrent l'intérêt des places de marché. Sans oublier les très nombreuses
et discrètes TPE du cru qui, à l'instar de ChateauInternet, n'hésitent pas à
saisir ce canal pour s'offrir de nouveaux débouchés professionnels. Lancé en
1999, ce site ancré dans les vignobles de Saint-Emilion exploite un modèle
économique simple, de vente directe du producteur au consommateur. L'idée de
fond : partager la passion pour le vin et exploiter le Net pour promouvoir les
meilleurs produits en France et à l'étranger. Les volumes de ventes sont encore
anecdotiques (0,2 ME de CA en 2001), mais l'entreprise familiale est rentable.
Pour Guillaume de Foussat, fondateur et dirigeant de ChateauInternet, l'arrivée
du média a été l'occasion, unique, de lancer une activité de négoce,
complémentaire à son métier de viticulteur.
repères
1855
Activité VPC en B to B initiée en 1997 et lancement du site en 1999. 15 000 références. Panier moyen : 800/1 000 euros. CA 2001 : nc. Nombre de commandes/jour : de 40 à 300.
Millesima
Activités de VPC initiée en 1983 et site lancé en 1997. 3 500 références (hors primeurs). Panier moyen : 1 500 euros. CA 2001 : 28 ME, dont 50 % en France. Nombre de commandes en ligne/an : 2 100.
Chateauonline
Lancement du site français en 1998. 3 000 références. Panier moyen : 200 euros. 10 ME de CA en 2001, dont 50 % hors Hexagone. Nombre de commandes/jour : jusqu'à 1 500.
Club Français du Vin
Lancement en 1973 et site en 2000. Entre 300 et 400 références. 12 ME de CA en Europe en 2001. 125 000 commandes annuelles.