André Delbecq : « Aux Etats-Unis, le produit est le héros, pas la promotion »
André Delbecq, consultant spécialiste de la vente à distance, connaît bien les spécificités du marché américain. Un modèle riche d'enseignements dont les entreprises françaises pourraient tirer profit. Il livre quelques-unes de ses réflexions concernant la vente à distance en B to C.
Je m'abonneQu'est ce qui, à vos yeux, différencie le plus les pratiques françaises et américaines en matière de vente à distance dans le domaine du B to C ?
l existe de nombreuses différences. Mais c'est surtout la
dynamique des catalogues spécialisés qui retient de prime abord l'attention.
Aux Etats-Unis, les géants généralistes ont pour ainsi dire tous disparu dans
les années 80, faute d'avoir compris l'importance que revêtait la mode auprès
des consommateurs. Leur image est restée en quelque sorte celle de grands
quincailliers. Elle n'était plus attractive. Les spécialistes ont pris alors le
relais avec succès. Ils ont su faire preuve de créativité et en recueillent
encore aujourd'hui les bénéfices. Il existe outre-Atlantique une très grande
richesse des catalogues de niches. Ils sont nés à l'initiative de petits
créateurs qui ont su prendre des risques et ont grandi par étapes successives.
Il existe une expression américaine qui illustre bien ce phénomène. On dit
qu'ils ont travaillé "from the kitchen table". Ce qui veut dire "à partir d'un
coin de table". Ce phénomène qui a touché les Etats-Unis rend bien compte d'une
position que je défends. Ce sont les segments de niche qui créent la dynamique
de la vente à distance. La France souffre d'une pénurie d'offres de niche
créatives. C'est une des raisons pour lesquelles la vente par catalogue perd du
terrain dans notre pays.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la créativité des spécialistes par rapport à celles des généralistes ?
Je vais prendre un exemple qui illustre bien cette différence.
La vente à distance aux Etats-Unis concerne aussi le haut de gamme. Ce qui
n'est pas le cas en France. Il existe là-bas de nombreux catalogues qui
s'adressent aux populations prospères. Des entrepreneurs inventifs ont décidé
de s'adresser à une clientèle aisée en leur proposant des catalogues qui les
flattent. Ils jouent sur une image élitiste. Ils bénéficient ainsi d'une valeur
moyenne de commandes plus élevée. Il est bien plus difficile pour les
généralistes de faire de même, surtout en France où ils ont pris l'habitude de
s'adresser à une clientèle plus populaire. Il est très difficile de jouer sur
plusieurs images à la fois.
Cette pratique de catalogues spécialisés n'améliore-t-elle pas le sentiment d'appartenance et l'identification du vépéciste en tant que marque à part entière ?
Tout à fait. Par ce biais, les Américains arrivent d'ailleurs plus facilement à
fidéliser leurs clients. L'image de la marque inspire confiance et vient
facilement à l'esprit. Par exemple, Lands'End et L.L. Bean, qui vendent de la
mode de loisir et de détente, sont aussi connus que les généralistes français,
alors que leur catalogue est dix fois moins épais. Les consommateurs
identifient de suite le vépéciste. Ils savent à qui ils ont à faire. Que les
Américains pratiquent la distribution multicanal renforce encore la
fidélisation des clients au cataloguiste en tant que marque. Près de la moitié
des entreprises qui vendent par catalogue possèdent aussi des magasins. Et
presque la totalité d'entre elles ont un site internet marchand. Le client a
ainsi accès au canal de distribution qui lui convient le mieux à un moment
donné. Il peut passer de l'un à l'autre au gré de son choix tout en restant
fidèle à la marque. Ce qui renforce encore son sentiment d'appartenance à la
communauté que fédère le cataloguiste.
La quasi-disparition des généralistes ne peut, à elle seule, expliquer le dynamisme des spécialistes aux Etats-Unis. N'y aurait-il pas d'autres facteurs qui ont joué en leur faveur ?
Il en existe d'autres en effet. La prospection par marketing
direct est très bon marché outre-Atlantique grâce aux tarifs postaux qui sont
bien plus avantageux qu'en Europe. Les cataloguistes américains ne rencontrent
en outre aucune difficulté à louer des fichiers d'adresses d'acheteurs. Et ils
payent là aussi bien moins cher qu'en Europe. Là-bas, la location de fichiers
est monnaie courante. Enfin, le coût des annonces publicitaires dans la presse
est plus faible. Les annonces sont plus ciblées et plus regardées, car les
Américains lisent davantage de magazines que les Français. Autant de facteurs
qui jouent en faveur du développement de la vente à distance sur des créneaux
spécialisés.
Et s'agissant du service ?
Les
cataloguistes américains privilégient le service à la promotion. Beaucoup
d'entre eux n'hésitent pas à offrir un retour illimité dans le temps des
articles en cas de non-satisfaction. Cette possibilité fait partie du discours
qui participe à l'identification de la marque en tant qu'offre de qualité. Ils
vont en outre tout mettre en oeuvre pour que le client reçoive vraiment le
produit attendu le plus vite possible. Le client américain achète parce que le
produit correspond à ses aspirations en termes de besoin et de prix. Aux
Etats-Unis, le produit est le héros, pas la promotion. Dans l'abondance des
catalogues spécialisés mis à sa disposition, le consommateur a d'ailleurs
toutes les chances de trouver chaussure à son pied. Tout se tient : la
spécialisation sur des créneaux de niche, l'identification de la marque, la
distribution multicanal, le service et l'utilisation réduite de la promotion.