« Fidélisation : Internet amène de nouvelles sensibilités »
Protection de la vie privée, développement du e-commerce, intégration de tous les canaux... Charles A. Prescott, Vice-President, International Business Development and Government Affairs de The Direct Marketing Association, de passage en France, à l'occasion des 4e Rendez-Vous de la VAD et du MD à Lille, relate, en tant qu'observateur privilégié, les évolutions du marketing direct aux Etats-Unis et dans le reste du monde...
Je m'abonneQuelles sont les actions menées par The Direct Marketing Association, plus spécifiquement à l'international ?
Il y a
quelques années, la DMA a perçu que ses adhérents avaient besoin d'assistance,
pour ouvrir des marchés à l'étranger. L'association avait reçu de nombreuses
questions sur l'implantation à l'international et cherchait à recueillir des
informations. Or, ces marchés disposaient déjà d'associations locales bien
organisées, (en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne). Nous avons discuté
avec ces autres associations de marketing direct pour partager l'information.
Nous avons engagé ces contacts depuis une dizaine d'années et, lors de la
conférence annuelle de la DMA, se tient une réunion de toutes les associations
de marketing direct. Nous avons créé une convention de la Fédération
Internationale des DMA. Chaque année, deux ou trois associations nous
rejoignent. Parmi les nouveaux arrivants : la Russie, la Tchéquie, la Pologne,
le Chili, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud. A cette
convention, tous les membres s'engagent à soutenir les efforts de développement
de la profession du marketing direct, sous toutes ses formes. En France, nous
sommes en contact avec la Fevad (Fédération des entreprises de vente à
distance), qui est un des membres fondateurs de cette fédération
d'associations, avec la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et les
Etats-Unis.
Comment se porte le marché américain ?
La
DMA prévoit une croissance dans ce secteur de 8,8 % par an pour les années à
venir. En Amérique, le marketing direct emploie 14 millions de personnes.
Depuis trois ans, nous assistons à une explosion de demandes de spécialistes :
concepteur-rédacteur, fulfillment, management de bases de données,
gestionnaires de la relation client... Pour tout dire, il n'y a pas de chômage
dans cette profession.
Quels sont les problèmes couramment rencontrés par le marketing direct aux Etats-Unis ?
Il y a de plus
en plus d'acteurs qui utilisent ces techniques mais peu savent réellement s'en
servir. La pratique augmente avec le développement du commerce électronique.
Or, le e-commerce, c'est du marketing direct à haute vitesse. Aux USA, depuis
trois ans nous faisons des opérations de promotions spéciales pour "Noël" avec
le commerce en ligne et il apparaît, de plus en plus clairement, que le secret
du succès réside dans la connaissance parfaite des systèmes pratiqués par les
professionnels du marketing direct. Mais nous avons un problème sérieux :
comment intégrer ces nouveaux canaux dans l'activité traditionnelle ? Si l'on
produit un catalogue papier, est-ce que l'on doit avoir un site ? Si oui,
comment intégrer ces données entrantes dans le système traditionnel ? Si l'on
promet sur le site un service client interactif ouvert 24 h sur 24, il faut
avoir du personnel en place pour répondre aux clients. Ce qui est difficile et
coûteux à réaliser. Les centres d'appels sont en train de développer toutes les
technologies, afin d'offrir des services pour tous les canaux de communication
(mailing, téléphone, Internet...)
Avez-vous des informations plus précises sur la pratique du e-commerce ?
La DMA vient de mener une
enquête auprès de 7 000 professionnels du MD, membres ou non de l'association.
Cette étude a révélé que 97 % de nos membres ont un site. Parmi ces derniers,
dans le B to C, 70 % l'utilisent pour vendre. Dans le B to B, 35 à 40 % font du
commerce électronique, car le site est plutôt employé pour trouver des
contacts. Parmi les sites qui pratiquent le e-commerce, 93 % délivrent des
produits hors des Etats-Unis, presque partout dans le monde... là où l'on peut
être payé ! Pays de destination les plus actifs : Canada, Grande-Bretagne,
Japon, Allemagne, et Amérique Centrale et du Sud. Ce qui démontre que la
profession s'internationalise. A titre d'exemple, le site web de L.L. Bean, a
un service client en 5 langues !
Dans le domaine de la protection du consommateur, quelles sont les dispositions existantes relatives à Internet ?
Nous avons commencé à mettre en place un système de liste
Robinson internationale, sur laquelle le consommateur peut s'inscrire afin de
ne plus recevoir de messages commerciaux dans sa boîte aux lettres
électronique. Ce service de "e-Mail Preference Service" est accessible sur
www.e-mps.org. D'ores et déjà 45 000 consommateurs se sont enregistrés sur ce
site et presque 50 sociétés de e-marketing utilisent cette liste. De plus, les
autres associations de marketing direct dans le monde sont partenaires de ce
projet. Quelques-unes ont traduit les instructions dans leur propre langue.
Et de façon plus générale ?
Aux USA, il n'y a pas de
loi globale qui touche à la protection des données. On a utilisé les lois par
secteur sensible. Par exemple, la protection des données financières est très
sévère, elle l'est moins dans le secteur médical. Il existe depuis le XIXe
siècle une tradition de partage dans le monde commercial. Dun & Bradstreet, par
exemple, dont la création remonte à 1820, est connu partout dans le monde et
constitue une force énorme dans le marketing direct, surtout dans le B to B.
Nous avons aussi, depuis une vingtaine d'années, un système de bases de données
partagées appelé Abacus, qui consiste à mettre en commun les noms et adresses
des clients d'au moins 1 000 cataloguistes. Implémenter une loi générale de
protection des données risque d'abolir ce système. Les professionnels ne sont
pas pou... Nous estimons, à la DMA, que le consommateur doit avoir le pouvoir
de se protéger. Nous disposons d'un système d'autorégulation : c'est-à-dire que
nous demandons à nos membres de respecter les souhaits des consommateurs. Selon
notre code de déontologie, mis en place depuis juillet 1999, nos membres
doivent informer leurs clients qu'ils peuvent demander à ne plus recevoir de
courrier, soit seulement pour leur société, soit de façon générale. C'est le
système du "privacy promise" et nos membres doivent tenir compte du fichier,
tenu à jour par nous, qui contient la liste des personnes qui ne veulent pas
recevoir de courrier postal, sachant qu'un système parallèle a été mis en place
pour le téléphone et l'e-mail. Tous les membres doivent certifier par écrit
qu'ils vont respecter le code et, si l'un d'entre eux ne le fait pas, il doit
quitter l'association. Cette situation est déjà arrivée trois foi... C'est la
DMA qui a en charge le contrôle du système ; nous nous inscrivons sous de
fausses identités pour voir s'il est respecté.
Quels sont vos autres sujets de préoccupation ?
Un autre problème, très difficile
à gérer, est celui de la fraude : un client qui reçoit un colis mais qui le
paie en employant des cartes de crédit volées. Plusieurs de nos membres nous
ont dit que 1,4 % des ventes sur Internet par cartes de crédit étaient
frauduleuses, ce qui est beaucoup, contre 0,33 % dans le mailing et 0,14 % dans
les ventes au détail. Ce problème est pire en dehors des Etats-Unis car, chez
nous, lorsqu'un client donne une adresse postale, il est possible de vérifier
avec la banque si celle-ci est bien identique à celle de la carte de crédit. Il
est plus difficile d'accéder à cette information à l'étranger à cause des lois
en vigueur. Enfin, un autre problème très sérieux que nous rencontrons est
celui posé par la directive européenne sur la protection des données de 1995,
qui stipule que les pays qui ont adopté cette loi ne peuvent envoyer de données
à l'étranger que lorsque le pays destinataire a une protection de données
légale suffisante. Et la conclusion générale en Europe est que le système
américain, basé sur l'autorégulation, n'est pas suffisant.
Alors, comment faites-vous pour harmoniser ces différentes législations ?
Depuis deux ans, des négociations ont été entamées entre notre Département du
Commerce et la Commission Européenne pour la mise en place d'un accord, appelé
Safe Harbour (refuge de sécurité). Selon ce traité, les sociétés américaines
qui mettent en place dans leurs opérations un système de protection des données
peuvent recevoir des données de l'Europe, elles doivent alors adopter un code
de déontologie interne, et s'enregistrer au Département du Commerce. Leur
pratique doit être en conformité avec les principes traditionnels de protection
des données : notification de l'usage au moment de la collecte des données,
droit d'accès, droit de rectification, de suppression, et principes de
sécurité. Cela rassure les consommateurs européens de savoir que leurs données
seront managées avec la même sécurité et le même respect qu'en Europe.
De votre position d'observateur, comment voyez-vous évoluer à l'international le secteur du marketing direct ?
Outre les
Etats-Unis, il y a des experts de qualité dans le monde entier : on en trouve
de très bons en Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, France, Angleterre
chez les cataloguistes mais surtout dans le domaine de l'Internet. Les plus
créatifs se trouvent probablement au Brésil, qui est un marché difficile. Le
développement de ce marché passe plus par le business to business que par le
business to consumer. Par exemple, une des plus grandes banques au Brésil
possède une très forte expertise dans les bases de données. Cette banque a
vendu son département, Metro Media, qui est devenu indépendant. Il existe aussi
une association au Brésil, l'Institut Brésilien des bases de données, qui
regroupe les professionnels des logiciels de database management et qui est
très active.
Quelles sont les tendances à venir ?
Pour
tous les acteurs de la profession, le challenge réside dans la personnalisation
des programmes de fidélisation de manière non invasive. Dans ce domaine,
l'Internet amène des sensibilités différentes : on le voit dans le e-mail avec
le permission marketing. Presque tous les cataloguistes, qui développent des
sites web, les intègrent dans leur programme de fidélisation. Différentes
techniques pratiquées sur le site permettent aux entreprises de retenir leurs
clients, tels que les anniversaires de la famille, qui sont des occasions de
donner des cadeaux. Par exemple, le vépéciste Magellan, qui vend des articles
pour voyageurs, possède un site sur lequel on peut adhérer à un Club, recevoir
des promotions, participer à un panel pour tester des produits, recevoir une
newsletter... Au début, il y a deux ans, le profil des clients du Web était
très différent de celui du catalogue papier, aujourd'hui les choses changent.
Les internautes ressemblent plus à la population générale. Aux USA, par
exemple, 50 % des femmes ont acheté sur Internet. Et ce que l'on achète sur
Internet ressemble de plus en plus à ce que l'on achète sur un catalogue. Des
sociétés telles que Land's End ou L.L. Bean commencent d'ailleurs à agréger
leurs internautes dans leurs bases de données, de façon à traiter leurs clients
de la même façon, quel que soit le canal.
Biographie
Charles A. Prescott est Vice-President, International Business Development and Government Affairs de la Direct Marketing Association des États-Unis. Il a obtenu son doctorat en Droit en 1974 à la Harvard Law School. Pendant sa carrière, il a travaillé dans des cabinets d'avocats à Tokyo et à New York et a été avocat au sein de Continental Grain Company et de Reader's Digest. Actuellement, il est délégué de la DMA à l'US Council for International Business, où il préside le comité d'études sur la protection de la vie privée et la circulation des données transfrontalières. Il représente l'association au comité consultatif du direct mail au sein de l'UPU et au comité consultatif du secteur de l'industrie au Département du Commerce américain.
The DMA
Fondée en 1917, The Direct Marketing Association regroupe les sociétés intervenant dans le marketing direct, dans le marketing par voie électronique et Internet ainsi que dans les bases de données. 5 000 membres basés aux Etats-Unis et dans 53 autres pays.