“Click and mortar” : hypocrisie ou insouciance ?
Apparue au début des années 2000, la stratégie “click and mortar” a démontré son efficacité. Aujourd'hui, ça marche! Catalogues et prix sont publiés en ligne. Alors, combien de temps encore le consommateur acceptera-t-il de payer 10 à 40 % plus cher ses achats chez un distributeur traditionnel?
La stratégie dite “click and mortar” consiste à tirer le meilleur parti de
l'Internet pour une entreprise qui dispose par ailleurs d'un réseau physique de
service ou de distribution. Cette notion est apparue au début des années 2000,
presque comme une réponse au faible chiffre d'affaires réalisé par
l'e-commerce, contrairement aux prévisions. Puisque l'on ne vendait pas en
ligne, et compte tenu des dépenses parfois colossales réalisées pour mettre à
disposition de la clientèle une offre interactive, il fallait trouver a
posteriori un nouveau retour sur investissement. Les grandes entreprises ont
alors cherché à démontrer qu'il était possible de créer du trafic vers les
réseaux physiques à partir du site internet.
Elles y sont naturellement parvenues. Il ne se passe plus une journée sans
qu'un vendeur ne reçoive en magasin un client qui, impression d'écran(s) à la
main, recherche le produit qu'il a présélectionné sur le site internet. Le
click and mortar, ça marche ! Tant et si bien que les constructeurs automobiles
considèrent aujourd'hui le Web comme un véritable “réseau d'avant-vente”.
Renault a ainsi démontré au cours d'une opération de communication multicanal
que les taux de transformation en concession étaient supérieurs pour les
clients qui étaient préalablement passés par le site internet. Mais pour
d'autres, le click and mortar pourrait bien s'avérer être rapidement…un
cauchemar…
En effet, nous assistons sur certains secteurs, tels que l'électronique et
l'électroménager grand public par exemple, à une véritable guerre des prix. Il
est confirmé que la structure de coût d'une distribution sur Internet permet de
proposer des prix plus bas que ceux de la distribution traditionnelle. La vague
déflationniste Internet annoncée à la fin du siècle dernier est sur le point de
déferler sur les secteurs commercialisant des produits standard c'est-à-dire
dont les prix peuvent être facilement comparés. C'est d'ailleurs ce qui fait le
succès des “moteurs de comparaison de prix”. Jusqu'à présent, la contrainte
physique et géographique faisait que cette comparaison était, pour un client
donné, limitée à un petit nombre d'enseignes. Les distributeurs se réfugiaient
derrière la notion de zone de chalandise pour pratiquer les prix “les plus
justes”. Le même constat peut être établi en ce qui concerne les acteurs de la
vente à distance traditionnelle. Eux également profitaient de leur faible
comparabilité pour pratiquer des prix sensiblement plus haut que la moyenne.
Mais la stratégie click and mortar oblige aujourd'hui à publier les catalogues
en ligne. Et qui dit catalogue, dit prix. Ceux-ci sont immédiatement
comparables à ceux des "distributeurs virtuels". Combien de temps encore un
consommateur acceptera-t-il de payer 10 à 40 % plus cher ses achats chez un
distributeur traditionnel ? Plus l'e-commerce entre dans les usages, plus
l'échéance se rapproche. Et pourtant, force est de constater qu'un grand nombre
d'acteurs traditionnels n'a toujours pas réagi. Soit par hypocrisie - "Je
maintiens cette stratégie, car je prendrais trop de risques à faire évoluer mon
modèle" -, soit par insouciance - “Le commerce électronique, c'est aujourd'hui
marginal”. Ils prennent un risque équivalent à celui du commerce de détail qui,
il y a quarante ans de cela, n'a pas vu arriver la grande distribution.
Cette stratégie click and mortar fournit elle-même à ses concurrents les
arguments qui leur permettent de se développer. Souvenons-nous de ce spot
publicitaire de la Fnac où l'on nous présentait un vendeur en compagnie de son
client, vantant les mérites d'un matériel en s'appuyant sur le dossier
comparatif élaboré par son laboratoire de tests. Après un zoom arrière, on
découvrait qu'il s'agissait en fait d'un petit magasin de quartier qui tirait
parti du savoir-faire de son concurrent. Un spot prémonitoire en quelque sorte…
Les entreprises concernées doivent nécessairement réétudier leurs modèles si
elles ne veulent pas jouer, à cause d'Internet, les faire valoir de leurs
e-concurrents.