«Capitaliser sur la valeur des marques»
PASSIONNEE PAR LA PUBLICITE, EX-PLANNEUSE STRATEGIQUE ET DIRECTRICE DU DEVELOPPEMENT DE NOMBREUSES AGENCES, NATALIE RASTOIN EST A LA TETE DU GROUPE DGILVY FRANCE DEPUIS QUATRE ANS. SA MAROTTE? DEFENDRE ET MODELER DES DISCOURS DE MARQUES POUR RENDRE CES DERNIERES ATTRACTIVES. DANS UN CONTEXTE CHAHUTE, LENDEU EST DE TAILLE. LE POINT AVEC UNE VISIONNAIRE ECLAIREE.
Je m'abonneMARKETING DIRECT Comment se porte le groupe Ogilvy?
- Je suppose que c'est une année où lorsque l'on se porte moins mal que les autres, on se porte bien. On a subi une érosion, quelques points sont en négatif alors que je les préférerais en positif. Ceci dit, rien de grave. Mais c'est aussi dû à nos clients qui ont des positions fortes.
Et qui sont fidèles?
- Oui. C'est même une des caractéristiques d'Ogilvy de pouvoir dire que IBM travaille avec nous depuis douze ans, American Express depuis trente ans, Nestlé depuis les années 80... Cela rejoint ma vision de la fidélité, à savoir être capable de prendre des risques ensemble. Notre métier est axé sur les propositions, mais aussi sur le risque. Nous connaissons bien nos clients et quand nous en proposons un à l'un d'entre eux, c'est d'une part, parce qu'il le vaut et d'autre part, parce que nous sommes solidaires de ce risque. Donc, bizarrement, la fidélité nous permet de tenter de plus en plus de choses ensemble, et non de s'endormir. Dans nos métiers, la fidélité permet d'aller plus loin. C'est le cas avec IBM ou Perrier.
Récemment, de nombreuses études révèlent que les relations changent entre les marques et les consommateurs. Ces dernières sont malmenées en période de crise...
- Ces études démontrent un phénomène que nous avons pointé du doigt il y a déjà plusieurs années. A savoir que les consommateurs allaient s'orienter vers un stade raisonné de la consommation. Pour autant, en France, on constate que l'acte de consommation résiste. Même si les Français prennent leurs distances avec un certain nombre de discours des marques, il n'y a pas de véritable signe d'une sortie de la société de consommation. Ce qui est remis en cause, c'est l'intérêt des propositions et pas celui de consommer. On peut se dire qu'aujourd'hui, la revendication de consommation est partout. C'est un moment béni pour réévaluer les propositions des marques, les mix et les stratégies de moyens. La crise brutalise les évolutions.
Pourtant, les consommateurs sont plus critiques par rapport aux marques?
- Mais par rapport à quelles marques? Si vous prenez l'exemple du bio, vous constatez d'une part que les consommateurs s'éloignent de certaines marques et, d'autre part qu'ils plébiscitent des labels. En fait, les consommateurs prennent leurs distances par rapport à certaines formes de marketing et se tournent vers d'autres propositions. Ce qu'ils recherchent, c'est de la valeur. C'est-à-dire suffisamment de bénéfices pour le prix affiché. Et acheter du bio - et donc savoir ce que l'on mange - c'est un bénéfice très proche de soi pour des consommateurs soucieux de leur santé. Certes, la consommation est raisonnée mais quand on achète, on veut de la qualité. Et la vraie différence se fait sur la valeur apportée par la marque. L'écart entre deux produits doit valoir la peine.
POINTS-CLES
Groupe Ogilvy France - 1948: Création par David Ogilvy de l'agence Ogilvy & Mather. - 1972: Création de Ogilvy France. - 1989: Rachat du groupe Monde par WPP. - Les entités: Dgilvy & Mather (publicité), Ogilvy One (marketing relationnel), Ogilvy Action (communication commerciale), Ogilvy Public Relations Worldwide (relations publiques), Néo@Ogilvy (agence média), Ogilvy Healthworld (communication santé), Redworks (design et édition) + Partenaires WPP: CB'a Design Solutions (conseil en design de marque), Peclers (bureau de style), - Ogilvy Interactive est une communauté transversale au sein du groupe. - Groupe Ogilvy Worlwide: 497 agences dans 125 pays et 14 000 collaborateurs.
OgilvyOne, agence dédiée au marketing direct, a-t-elle bénéficié de l'effet crise et des attentes des annonceurs en matière de retour sur investissement?
- OgilvyOne est traversée par une assez grosse mutation du métier. Par exemple, elle a profité de la pression liée à la crise pour s'orienter vers une plus grande digitalisation d'un certain nombre d'investissements. Comme elle est en charge de la partie digitale du groupe Ogilvy, elle a tiré profit de ce contexte. En revanche, l'agence a subi le mutisme de certains acteurs, dont ses quelques clients financiers qui se sont arrêtés pour observer. Cependant, OgilvyOne est un moteur de croissance du groupe pour deux raisons. La première, c'est qu'il s'agit de l'entité la plus experte dans les enjeux de delivery digital sur lesquels nous avons fait d'énormes progrès (par exemple, une grande partie de notre technologie digitale est out-sourcée). La seconde, c'est qu'elle est au coeur du métier de la relation, celui sur lequel nous allons opérer le plus de changements dans les années qui viennent. Notamment parce que de nouveaux canaux apparaissent, comme le mobile, et parce que nous réfléchissons à la remise à plat de nombreuses plateformes relationnelles.
Vous revendiquez l'usage du 360°. Quel sens donnez-vous à ce concept, galvaudé par beaucoup d'agences?
- Ogilvy est l'inventeur de cette notion. Avant, le groupe utilisait un autre nom barbare: «orchestration». La raison est historique: David Ogilvy, le fondateur, a inventé à la fois une agence de publicité et une agence de marketing direct. Ce qui l'intéressait à l'époque, c'était de créer des marques pour créer de la valeur. A la fin de sa vie, il a conçu une agence sous la bannière Direct Marketing et il nous a légué une culture où règnent non pas une discipline majeure mais des stratégies de moyens. Puis est arrivé le concept du 360°. Depuis, c'est vrai, nous avons été rejoints par tout le monde. Or, mener une stratégie 360° aujourd'hui, cela signifie de ne pas avoir d'à priori sur la discipline qui répond le mieux au brief et ne pas systématiser l'usage de tous les canaux. Une stratégie dite 360 s'entend au sens où l'interrogation est à 360 degrés. C'est une stratégie de moyens et non une offre en kit. Ce qui compte, c'est d'avoir la liberté de sa réponse et pas de «fourguer» toutes les disciplines à chaque marque.
Conseillez-vous aux annonceurs d'entrer en conversation avec leurs clients?
- C'est un peu une question piège. Le postulat de départ, c'est que les gens font la conversation entre eux avant d'y intégrer les marques. Et les marques doivent en avoir conscience. Ce qui a changé avec l'avènement d'Internet, c'est que l'on a aujourd'hui les moyens d'une conversation planétaire et elle se fait d'abord entre les usagers. Par exemple, concernant la nutrition infantile, le premier réflexe d'une mère de famille, c'est de discuter avec une autre mère de famille, qui si possible, partage ses préoccupations. Les marques doivent donc se rendre compte que les conversations se sont déjà établies sans elles. Donc, la vraie question pour elles n'est pas de savoir si la marque fait la conversation, mais si elle rentre dans la conversation. Ensuite, il faut des sujets intéressants. On ne peut pas obliger les marques à s'engager dans cette démarche. Il faut développer une stratégie du choix et non de l'obligation, y compris dans le digital. Enfin, il faut connaître la teneur des échanges à propos des marques - notamment à travers la veille - et leur niveau d'intensité. Si la conversation s'accélère sur un sujet, cela peut être un indice qui vaut la peine d'être considéré. Mais les marques ne sont pas attendues pour leur fonction phatique. De sorte que les enjeux de conversation sont, bien évidemment, liés à la pertinence du contenu.
Comment imaginez-vous le marketing relationnel de demain?
- Il va s'orienter vers davantage de multicanal, même si personne n'en connaît aujourd'hui les limites. D'ailleurs, on commence tout juste à comprendre quel usage l'on va faire - ou ne pas faire -, du mobile à travers les services (points de vente, géolocalisation...), de la «brand utility». Ce qui est sûr, c'est que l'on va vers une maîtrise du multicanal qui va consister à faire des choix d'expression et des choix de canal.
Même si en termes de communication le mobile est plus contraignant?
- Non, je ne crois pas. Au début, l'expression digitale était d'une pauvreté rare. La première bannière réalisée par Ogilvy pour IBM en est un bel exemple. Avec le recul, cette création est totalement dépassée. La technologie nous offre des champs d'expérimentation que nous avons parfois du mal à appréhender. Aussi, je peux dresser une longue liste d'initiatives que nous n'aurions pas pu imaginer. Par exemple, lancer les «Louis Vuitton's Journeys» sur Internet ou encore une application iPhone «Devenir maman» pour Nestlé.
Et pour tout cela, il faut remercier Internet?
- Bien sûr. Internet, c'est comme le chemin de fer ou la voiture. Ce qui compte, ce n'est pas la technologie mais les conséquences sociologiques que le Web a sur les gens, y compris dans leur quotidien, puisque cela crée des comportements qui s'exportent dans le réel. Par ailleurs, le niveau de complexité qu'apporte le Net nous rend plus utile auprès de nos clients. Donc oui, merci Internet, qui renouvelle fortement l'intérêt de nos métiers.
Combien de personnes travaillent sur le digital chez Ogilvy?
- Il y a des profils dédiés au digital dans toutes les entités du groupe, même si OgilvyOne en est la principale avec 160 personnes. Notre communauté interactive transversale est constituée de 230 collaborateurs au total. Le digital est partout.
Le groupe mène de nombreuses campagnes transversales pour des budgets mondiaux. Est-ce difficile de tenir un discours cohérent «ail around the world»?
- Une des dernières campagnes mondiales en date est celle réalisée par Ogilvy Ouest (à Los Angeles) pour le lancement de Yahoo!, «It's You». Une campagne de cette envergure est assez rare. Ce qui va être difficile pour la marque, c'est de faire adopter le produit par chaque marché. Et dans ce cadre, chaque filiale aura plus de liberté dans les stratégies de moyens.
Quel regard portez-vous sur la création dans les campagnes de MD?
- Chaque création est perfectible. L'enjeu est lié au digital car il faut redimensionner la création, notamment au regard de l'ergonomie et de la capacité à établir un confort, une utilité.
Comment percevez-vous les stratégies des grands annonceurs du luxe sur le Web? Est-ce que ces deux univers se rencontrent?
- Oui, car il n'y a pas de contradiction entre l'univers du luxe et Internet. Une marque de luxe, par définition, ne répond pas à une demande. Elle propose, trace un chemin et dit: «Qui m'aime me suive!» Elle constitue une proposition de style et de culture permanente qui suscite l'étonnement. Si on réussit à retranscrire la qualité de cet étonnement, la présence sur Internet fait sens. Et le Rich Media permet cette qualité. Le vrai défi est de faire en sorte que la proposition sur Internet ressemble à l'expression de la marque de luxe qui, encore une fois, ne se situe pas dans une réponse à une question mais dans une proposition que l'on a le choix d'adorer ou de détester. Et qui échappe à une rationalité de grande consommation.
Quelles sont les grandes campagnes 360° qui sont en préparation au sein du groupe?
- Nous allons développer des campagnes pour IBM afin de faire entrer la marque dans la conversation autour de sujets liés à l'évolution de la planète, avec beaucoup de contenus. Pour Louis Vuitton, nous avons des projets également. Et nous allons faire évoluer la plateforme relationnelle de Nestlé. Enfin, nous allons miser sur le secteur de la santé. Là encore, Internet fait bouger les frontières. Le volume des conversations autour de la santé est exponentiel. Or, les laboratoires sont très réglementés dans leur expression. Comment allons-nous réguler cet espace d'expression? C'est un sujet auquel nous réfléchissons. Nous avons une fin d'année extrêmement active.
PARCOURS
Natalie Rastoin dirige le groupe Ogilvy en France depuis quatre ans. Vingt-cinq ans d'expérience lui ont permis de travailler auprès de grandes marques internationales comme IBM, Bureau Veritas ou Nestlé, sur des enjeux technologiques ou sociétaux majeurs. Administratrice de l'AACC et vice-présidente du Groupement marketing-pub d'HEC, elle donne également des cours à l'école de communication de Sciences Po. Natalie Rastoin est diplômée d'HEC.