La protection des fragrances par le droit de la propriété intellectuelle : un droit en devenir ?
En 2013, les ventes de parfum ont totalisé 1,9 milliard d’euros, avec quelques centaines de nouvelles fragrances lancées sur le marché qui sont venues enrichir les milliers de références déjà existantes. Au sein de ce marché extrêmement concurrentiel, la création d’un parfum représente des investissements colossaux. Or, à ce jour, seul le secret permet de protéger les créations olfactives et les investissements qu’elles représentent. Mais les choses pourraient bientôt changer!
Aujourd'hui, les fragrances de parfums ne peuvent bénéficier de la protection accordée par la propriété intellectuelle au titre du droit d’auteur. Depuis un arrêt du 13 juin 2006, les juges de la Cour de cassation ont posé le principe selon lequel « la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas (…) la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par le droit d'auteur ».
Cette décision a cependant fait l’objet d’une certaine résistance des juges du fond qui ont notamment considéré que « l’élaboration d’un parfum ne saurait être cantonné à une opération inventive à caractère purement technique et à un savoir-faire non protégeable, alors que le parfum est l’aboutissement d’un travail de recherche artistique (…) »[1]. Certains juges ont même été jusqu’à affirmer que la création d’un parfum nécessite une recherche dans la combinaison des essences « permettant de dégager une forme olfactive caractéristique qui traduit la personnalité, la sensibilité et l’imagination de son auteur et constitue, à condition d’être originale, une création artistique susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur (…) »[2].
Le dernier arrêt de la Cour de cassation, en date du 10 décembre 2013, est venu mettre fin à ces résistances en précisant que « le droit d'auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu'autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication ; que la fragrance d'un parfum, (…) ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d'auteur »[3].
La protection des fragrances a également été recherchée par certains sur le terrain du droit des marques, mais en vain. L’exigence juridique de « représentation graphique » de la marque[4] rend en effet impossible l’enregistrement des odeurs à titre de marque.
Cette impossibilité a été confirmée par la Cour de justice européenne dans un arrêt Sieckman[5] dans lequel elle a considéré, s’agissant d’un signe olfactif, que « les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description à l’aide de mots écrits (« une senteur balsamique fruitée avec une légère note de cannelle »), par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments ».
Toutefois, l’exigence juridique de « représentation graphique » de la marque pourrait disparaître prochainement et ce dans le cadre de la réforme européenne concernant le « Paquet Marques ».
Au sein de cette réforme, il est en effet envisagé de modifier les textes européens relatifs au droit des marques[6] afin de supprimer l’obligation de « représentation graphique » du signe déposé à titre de marque et de lui substituer une obligation de représentation du signe « d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'objet exact bénéficiant de la protection conférée au titulaire de la marque »[7].
Une telle réforme permettrait d’envisager l’enregistrement, à titre de marques, de fragrances et d’odeurs, en les représentant sous une forme plus appropriée qui n’est pas nécessairement la forme graphique.
Toutefois, un certain nombre d’incertitudes pèsent sur les types de supports qui pourraient être acceptés pour le dépôt d’une fragrance. S’il existe des techniques chromatiques supposées permettre la retranscription des molécules composant les odeurs, ces méthodes ne semblent en l’état ni fiables, ni compatibles avec le projet de réforme qui précise que la représentation devra « faire appel à une technologie généralement disponible et permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection »[8].
D’autres incertitudes demeurent également concernant l’appréciation de la distinctivité des odeurs. Le signe choisi pour une marque ne doit en effet pas être imposé par la nature du produit qu’elle désigne.
Enfin, des difficultés techniques risquent de se poser concernant les recherches d’antériorités pour déterminer la disponibilité de telle ou telle odeur.
Malgré ces incertitudes, à l’heure où les stratégies de communication se diversifient et où les entreprises utilisent de plus en plus de signes perceptibles par l’odorat, telles que les grandes chaînes de distribution de vêtements (Abercrombie & Fitch…) qui diffusent dans leurs magasins leurs propres parfums, la possibilité de protéger une odeur au titre du droit des marques représentera une véritable opportunité qu’il conviendra de saisir.
[1] TGI Bobigny, 28 nov. 2006
[2] CA Aix en Provence, 10 déc. 2010
[3] Cass. com., 10 déc. 2013, n°11-19.872
[4] Art. L711-1 du Code de la propriété intellectuelle
[5] CJUE, 12 déc. 2002, Aff. C-273/00
[6] Règlement de 1994 sur la marque communautaire et directive 2008/95/CE rapprochant les législations des États membres concernant les marques
[7] Article 4 du nouveau règlement et article 3 de la nouvelle directive.
[8] Considérant n°9 du nouveau règlement.