Les oeuvres d'art et la publicité peuvent-elles faire bon ménage ?
La tendance publicitaire est à l'inspiration ou la reprise d'oeuvres d'art pour promouvoir les produits et les services des annonceurs. Mais oeuvres d'art et publicité font-elles forcément bon ménage ?
La tendance publicitaire est à l’inspiration ou la reprise d’œuvres d’art pour promouvoir les produits et les services des annonceurs. De récentes publicités se sont ainsi inspirées de tableaux tels que Le Déjeuner sur l’Herbe de Manet pour Dior (cf ci-dessous les deux versions) ou Le portrait d’une négresse de Marie Guilleme Benoit pour Louboutin (cf plus bas).
D’autres ont utilisé l’œuvre originale pour y intégrer leurs propres produits comme Hermès qui a repris La grande odalisque d’Ingres (cf plus bas) ou La Vague de Bouguereau.
Cette reprise d’œuvres est l’occasion de s’interroger sur les conditions de leur utilisation publicitaire. Si les idées sont de libre parcours, l’inspiration se doit de connaître les limites fixées par la protection du droit d’auteur.
Obtenir l'autorisation du titulaire des droits
Il est ainsi nécessaire d’obtenir l’autorisation du titulaire des droits patrimoniaux de l’œuvre première et, s’il est différent, du titulaire des droits moraux. S’agissant particulièrement des droits moraux qui imposent de respecter tant l’auteur que son œuvre, il importe peu que celle-ci soit tombée dans le domaine public.
En effet, contrairement aux droits patrimoniaux, les droits moraux peuvent être exercés tant que l'œuvre existe. Ainsi, bien que l’œuvre soit tombée dans le domaine public, les publicitaires doivent obtenir l’autorisation du titulaire du droit moral avant toute utilisation de l’œuvre en question.
En effet, il a été jugé qu’utiliser une œuvre à des fins publicitaires était susceptible de porter atteinte au droit moral. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris en 2001, confirmée par la Cour de cassation en 2005, à propos de la chanson intitulée "Femme libérée" exploitée à titre publicitaire avec l’autorisation du titulaire des droits patrimoniaux mais sans l’autorisation du co-titulaire du droit moral.
Exception : la parodie ou la caricature
Afin d’échapper aux limites posées par le droit d’auteur, certains publicitaires tentent de faire entrer leur création sous l’une des exceptions prévues par le Code de la propriété intellectuelle, et notamment la parodie, le pastiche ou la caricature prévu en son article L.122-5. En effet, si la reprise ou l’adaptation publicitaire revêt une de ces formes d’expression, l’auteur ou l’ayant-droit ne peut s’y opposer.
Les juridictions apprécient toutefois ces exceptions avec parcimonie. Ainsi, si la parodie est l'imitation satirique d'un texte en le détournant de ses intentions finales afin de produire un effet comique, elle n'est cependant autorisée que si elle révèle une intention humoristique évidente, n'engendre aucune confusion entre l'œuvre seconde et l'œuvre parodiée, ne dénigre pas cette dernière et, enfin, ne lui nuit pas.
Les juges ont ainsi refusé cette qualification à la reproduction, dans un magazine, d'une photographie d'un homme politique représenté sous les traits d’un singe, avec un pendentif particulier et avec le slogan "CULTURAL (R)EVOLUTION", au motif que ceci n'avait selon elles rien de burlesque et n'avait pas pour but de faire rire.
Créativité et prudence
Les agences de publicité, dont la responsabilité peut être engagée, se doivent donc d’être prudentes tout en tachant de ne pas brider leur créativité. Laquelle doit également combiner avec les limites de la liberté d’expression dont le régime est prévu par la loi du 29 juillet 1881.
La très médiatique publicité La Cène pour la marque Marithé + François Girbaud (cf ci-dessous), inspirée d’un tableau de Léonard de Vinci, est un bel exemple de la difficile articulation de la liberté de création publicitaire avec la liberté d’expression et les droits des tiers.
Cette publicité présentait, dans la disposition des personnages du tableau la Cène de Léonard de Vinci, un groupe de jeunes femmes portant la ligne des vêtements Marithé + François Girbaud mais dont le personnage situé à la droite de Jésus était un jeune homme debout, le dos nu et tourné, vêtu d'un pantalon abaissé à mi- hanche.
Considérant qu’elle constituait une injure à l’égard des catholiques et un trouble manifestement illicite, l’association Croyances et Libertés a demandé au Tribunal de grande instance de Paris d’en interdire l’affichage public, ce que ce dernier a accueilli aux termes de son jugement de référé du 10 mars 2005, confirmé par la Cour d’appel de Paris le 8 avril 2005.
La Cour de cassation a toutefois, le 14 novembre 2006, cassé l’arrêt de la Cour d’appel. Selon elle en effet, la publicité en cause n'avait pour objectif ni d'outrager les fidèles de confession catholique ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience et ne constituait en conséquence pas une injure.
Cette affaire est révélatrice du difficile équilibre entre les intérêts en présence : la liberté de la création publicitaire qui bénéficie de la liberté d’expression - principe à valeur constitutionnelle - et les droits de tiers. C’est la difficile démarche intellectuelle et créatrice que doivent respecter les publicitaires pour proposer des créations tout à la fois commercialement efficaces et respectueuses des droits des tiers.
Voir quelques exemples d'oeuvres d'art reprises par les marques sur le site Web&Luxe.